Cet accord est-il positif ? Est-ce un accord en trompe-l'oeil ou un échec collectif ? Pour tout vous dire, nous avions plus ou moins décidé collectivement, avant la COP, d'annoncer, une fois qu'elle serait terminée, qu'elle avait été un succès. Nous ne voulions pas, en effet, que se reproduise ce qui s'était passé à Copenhague, où l'on était arrivé en affirmant que l'avenir du monde se jouait là, avant de devoir reconnaître qu'on avait échoué. Si l'on affirme que l'on n'y arrivera pas, nos sociétés, qui sont tout de même conscientes de la gravité de la situation, décideront de s'adapter. Or, si le réchauffement est de trois ou quatre degrés, s'adapter, c'est d'abord faire face à des migrations et à des guerres, et donc investir dans des unités de production de fil barbelé et de kalachnikov. Aussi devons-nous absolument tenir un discours qui permette à chacun d'assumer positivement sa part de responsabilité, faute de quoi nous allons vers un repli rapide.
Je rappelle tout de même qu'un réchauffement d'un degré – c'est-à-dire la situation actuelle –, cela correspond à la fameuse sécheresse qui a sévi en Chine il y a une dizaine d'années. Elle a provoqué une importante baisse de la production de ce pays, une augmentation du prix des produits alimentaires dans un marché mondialisé, la cherté de la vie, qui est à l'origine des printemps arabes, et une accélération de l'exode rural en Syrie. C'est donc l'histoire immédiate de ces dix dernières années ! Aujourd'hui, on ne sait que faire avec un million de réfugiés : imaginez ce qu'il en serait avec les deux milliards d'habitants de l'Afrique !
Le monde du réchauffement climatique n'est pas un monde d'adaptation technologique ; c'est un monde de désagrégation, et nos sociétés le perçoivent plus ou moins. Dès lors, si on ne leur présente pas un scénario de stabilisation du climat, les mandats politiques qui nous seront confiés seront des mandats de protection contre l'Autre. Nous y sommes déjà, d'ailleurs ! Notre responsabilité politique consiste donc à élaborer, dans ce monde imparfait composé d'acteurs aux intérêts divergents, un scénario. Et le seul scénario possible, c'est celui du volontarisme. Or, l'accord de Paris est intéressant à cet égard, puisqu'il rassemble les contributions de 185 États qui jouent le jeu dans ce cadre-là. En outre, il s'agit désormais de négocier des dynamiques d'action. Cet accord marque donc une étape précieuse en ce qu'il définit un cadre pour vingt, trente ou quarante ans.
Beaucoup de questions ont porté sur le prix du carbone et les grands enjeux économiques. Nous sommes, de ce point de vue, dans le moment de la contradiction. Longtemps, on s'est senti dans l'obligation de faire un petit quelque chose : on élaborait un plan climat, on accrochait trois panneaux photovoltaïques sur le toit de la mairie, et cela suffisait pour l'article qui paraissait dans la presse locale. Aujourd'hui, nous sommes dans le temps de la contradiction : dès lors que prévaut un scénario de stabilisation du climat, nous sommes obligés de nous demander comment nous allons adapter nos économies et nos propres logiciels de développement dans le cadre d'une compétition qui s'est imposée à l'échelle mondiale. Ces confrontations-là, il va falloir se les coltiner.
« Ton territoire, me demande-t-on souvent, n'est-ce pas celui où est prévu un projet d'aéroport fondé sur un développement exponentiel du trafic aérien ? » Dès que l'on quitte l'échelle globale pour revenir à l'échelle locale, les confrontations réapparaissent. Les partisans de ce projet de transfert d'aéroport – et il peut y en avoir parmi vous – considèrent encore aujourd'hui que la logique libérale de la compétition territoriale justifie, au regard de la situation de l'ouest de la France dans l'Europe, que l'on investisse dans un tel projet. Or, il est clair que si le transport aérien continue de croître à la vitesse actuelle, il nous sera impossible de stabiliser le climat. Voilà une contradiction absolue ! Et comme, de surcroît, la France vend beaucoup d'avions, favoriser une diminution du trafic aérien peut poser problème… Nous ne savons pas dépasser ces contradictions. L'exemple du territoire nantais est intéressant à cet égard, puisque, dans le même temps, il finance le sommet sur le climat – et ce n'est pas une opération de greenwashing, car le président de ce sommet est un opposant résolu au projet d'aéroport – et il est probablement, avec celui de Grenoble, le seul territoire qui parviendra à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 50 % d'ici à 2030 parce que, depuis des décennies, il investit dans la mobilité, la planification, l'habitat.
Cette remarque vaut également pour les grandes régulations économiques. Notre crainte majeure, s'agissant de la ratification du traité, elle est liée à la position des États-Unis, compte tenu des réserves émises par la Cour suprême. Pensez-vous vraiment que l'on puisse signer le TAFTA sans savoir si les Américains s'engagent en faveur d'une régulation climatique ? En ce qui concerne le prix du carbone, la question qui se pose est celle de savoir comment il peut être décliné dans le cadre de la fameuse responsabilité commune mais différenciée, c'est-à-dire, à la limite, une équivalence d'unités carbone entre les marchés chinois, européen et américain, mais pas forcément au même prix. Il faut creuser cette idée, sur laquelle nous aurons un dialogue de haut niveau lors du sommet de Nantes.
J'en viens à la gouvernance du climat. Ce qui est en jeu ici, c'est la capacité d'acteurs culturellement et politiquement différents, dont les intérêts sont divergents, de se mettre d'accord. La question est donc complexe, mais je crois que nous avons avancé sur ce point, notamment grâce aux acteurs non étatiques – je pense notamment aux villes. À leur niveau, la gouvernance est en effet plus facile car, à l'échelle mondiale, les différentes réponses aux défis climatiques sont assez proches : il faut agir sur la planification, la mobilité, l'habitat et l'inclusion sociale. On crée ainsi des cultures transversales mondiales. Pour conclure en une phrase, je dirai qu'une des responsabilités de la France, après le Plan d'action Lima-Paris – et nous sommes en train de prendre du retard –, c'est de réussir à finaliser avant Marrakech une gouvernance composée d'acteurs non étatiques ; c'est un point-clé.