Intervention de Jean-Marc Merriaux

Réunion du 30 mars 2016 à 9h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Jean-Marc Merriaux, directeur général du réseau Canopé :

Comme espaces d'innovation et de création, nos lieux de proximité ont un rôle essentiel à jouer au sein des ESPE, aussi bien en matière de formation initiale que de formation continue. Une convention a été signée entre le réseau et les directeurs d'ESPE prévoyant le déploiement de nos outils et de nos dispositifs au sein de celles-ci. Mais nous ne pouvons pas le faire dans toutes les ESPE, car je ne vous cache pas que nous nous heurtons à des problématiques immobilières.

Dans un premier temps, les ESPE se sont concentrées sur la formation initiale, si bien que nos dispositifs en matière de formation continue ne sont pas encore totalement déployés. Nous intervenons comme force de complément dans une approche transversale, et non disciplinaire. À titre d'exemple, nous avons créé en 2015 le portail « Les valeurs de la République » et avons lancé lundi dernier la plateforme « Éduquer contre le racisme et l'antisémitisme ». Ainsi, nous développons des parcours de formation dédiés.

Nous réfléchissons aussi à des partenariats. Nous avons ainsi créé avec l'ESPE de Bordeaux un MOOC sur la classe inversée, coproduction qui a rencontré un franc succès et permis l'inscription simultanée de 3 000 personnes sur Viaéduc.

Aujourd'hui, nous sommes présents dans 20 ESPE ; en cas de contraintes de lieux et d'espaces, nous développons des partenariats. Je souligne que les recteurs accompagnent fortement ces synergies. Les relations entre le réseau et les ESPE constituent donc un enjeu fondamental.

Autre enjeu : notre présence en milieu rural. Nous avons développé le concept d'atelier mobile, qui nous permet d'être présents durant plusieurs jours dans les écoles primaires, les collèges et les lycées. Cette offre de proximité nous permet de faire le lien avec les parents, pour lesquels nous réfléchissons à l'ouverture de nos lieux d'accueil en soirée. L'ouverture de nos espaces le soir permet ce lien essentiel avec les parents – je ne vous cache pas que cela n'est pas toujours évident dans la mesure où il faut convaincre nos personnels de travailler le soir.

Nous avons également un rôle à jouer avec les associations de l'éducation populaire et les collectivités en matière de temps périscolaire. À cet effet, nous avons développé les « Petits ateliers », des modules d'animation du temps périscolaire, à destination des communes et de nos partenaires de l'éducation populaire – nous avons signé récemment un partenariat avec la Ligue de l'enseignement et les CEMEA. Nous travaillons actuellement à la mise à disposition de la plateforme Magistère pour accompagner la formation des animateurs sur le temps périscolaire.

Autre sujet très important : le climat scolaire. Le réseau CANOPÉ a beaucoup travaillé avec la mission ministérielle sur les violences en milieu scolaire pour co-construire des outils, ce qui nous a amenés à créer le site Climat scolaire. En outre, une délégation « éducation et société » permet à des correspondants dans chaque direction territoriale de relayer les questions autour du climat scolaire et de faire remonter des demandes en lien avec la création de contenus et de formations.

J'en viens au lien avec la tutelle. À mon arrivée à la tête de l'établissement, j'ai demandé une clarification des commandes de l'opérateur. Nous avons mis en place des lettres de commande de la DGESCO, pour laquelle nous produisons un grand nombre de contenus, et avec laquelle nous travaillons main dans la main. C'est ainsi que notre site Éduquer contre le racisme et l'antisémitisme s'est déployé dans le cadre d'un comité éditorial réunissant l'Inspection générale et la DGESCO. Il y a encore beaucoup à faire pour clarifier nos relations avec la tutelle et j'aurai l'occasion d'aborder cet enjeu vendredi prochain, dans le cadre de mon audition par la mission en cours des deux inspections générales sur la question de l'édition publique.

Outre cette logique de rationalisation, nous voulons nous inscrire dans une logique d'approches complémentaires. Nous avons donc mis en place un comité de tutelle (direction générale de Canopé, Secrétariat général de l'Éducation nationale, DGESCO), qui se réunit une fois par trimestre pour établir les axes stratégiques de l'opérateur dans le cadre de l'accompagnement de la politique ministérielle. L'enjeu pour nous en 2016, après avoir travaillé en 2015 sur notre réorganisation, est de construire notre contrat d'objectifs et de performance.

La question de l'autonomie de l'opérateur par rapport au ministère pose la question même de la nature de cet opérateur. Le réseau a pour mission d'accompagner la politique ministérielle, mais aussi de prendre des initiatives pour accompagner cette politique sur la base de nos expertises. C'est cet équilibre que nous devons trouver avec la tutelle. Là encore, nos relations de plus en plus fréquentes avec la DGESCO nous permettent d'envisager des axes d'amélioration. Bien évidemment, cette dimension peut être améliorée.

Nous avons également un partenariat avec le CNESCO, qui nous permet de publier des contenus et d'avoir des retours de la communauté éducative sur nos outils. Je fais partie du comité stratégique de mise en place des conférences de consensus, et nous travaillons également main dans la main avec le CNESCO sur les questions relatives à l'évaluation.

Autre question : l'efficacité réelle des outils numériques. Aujourd'hui, il est difficile de savoir si ces outils sont efficaces, car le numérique n'est pas déployé massivement comme dans d'autres pays, et que les modèles pédagogiques ne sont pas similaires d'un pays à l'autre. Dans le cadre de la refondation du réseau, j'ai créé une direction « Recherche et développement sur les usages du numérique éducatif », et, à la suite d'un appel à projets, nous avons signé un partenariat avec le laboratoire Techné de l'université de Poitiers, spécialisé sur les usages du numérique éducatif. Notre objectif est de mesurer l'efficacité des outils que nous mettons en place, afin de répondre au mieux aux attentes des enseignants. Comme je l'ai dit tout à l'heure, la démarche de l'édition transmédia nous amène à intégrer les retours d'usage dans les processus de production : la plateforme Viaéduc a ainsi été entièrement co-construite avec les enseignants afin de l'adapter à leurs attentes.

Nous avons des liens avec le Conseil supérieur des programmes, mais c'est surtout avec la DGESCO que nous construisons des outils. Le réseau a ainsi mis à disposition des enseignants un outil numérique destiné aux maternelles, conçu avec des enseignants et nos pédagogues.

Nous avons encore beaucoup à faire pour que les contenus proposés aux enseignants soient accessibles aux parents. Par conséquent, nous nous inscrivons très souvent dans des logiques de partenariat avec des éditeurs privés, parce que nous ne sommes pas les meilleurs : nous apportons une expertise dans un champ concurrentiel où l'éditeur public n'a pas vocation à aller. C'est ainsi que dans le cadre d'un partenariat avec les éditions PlayBac, nous développons les programmes de maternelle, du primaire et du collège à destination des parents, qui sortiront avant l'été.

Je suis arrivé à la tête de l'établissement le 1er janvier 2012, mais avant la publication du rapport de la Cour des comptes en février 2014, qui portait sur la période 2006-2012, le ministre avait annoncé la transformation de l'opérateur. En fait, nous avons anticipé les recommandations de la Cour des comptes en mettant en place un établissement unique, en amorçant une refonte de la politique éditoriale et en repensant le réseau de proximité. Nous nous sommes donné jusqu'à 2017 pour finaliser notre transformation, qui passe par des repositionnements de personnels et des plans de formations au regard des évolutions de métiers.

À côté de la direction générale, le réseau Canopé comprend un directeur général adjoint, axé sur les métiers, et douze directeurs territoriaux, qui eux-mêmes supervisent des directeurs d'ateliers. Chaque semaine, je participe à une réunion avec l'ensemble des directeurs territoriaux, très souvent en visioconférence ; une fois par mois, les directions nationales et les directeurs territoriaux se réunissent en présentiel. Gérer un opérateur qui a vocation à être présent sur l'ensemble du territoire n'est pas chose aisée, et c'est pourquoi j'ai mis en place des dispositifs de visioconférence dans l'ensemble des espaces. Par ailleurs, dans le cadre de cette organisation matricielle avec l'ensemble des services, nous travaillons sur des thématiques communes en regroupant chaque année l'ensemble des experts du réseau.

Notre subvention pour charge de mission de service public a diminué depuis 2012 de 5 à 6 millions d'euros et, aujourd'hui, ce sont 1 500 collaborateurs qui figurent sur la carte d'emplois, contre 1 700 collaborateurs à mon arrivée. Dans la droite ligne des recommandations de la Cour des comptes, dont le rapport de 2012 indiquait que plus de 30 % des personnels administraient l'opérateur, nous avons été amenés à repenser le rôle des fonctions supports.

Le différentiel entre les 135 millions de budget et les 20 millions de chiffre d'affaires s'explique par le fait que ces chiffres ne sont pas actualisés, puisqu'ils correspondent au budget initial. Ils ne prennent pas en compte nos subventions émanant des collectivités territoriales – à hauteur de 10 millions d'euros –, ni les opérations réciproques de chaque ex-CRDP, non plus qu'un certain nombre de prestations qui n'étaient pas imputées dans le cadre de la doctrine comptable. Ainsi, le budget 2015 du réseau Canopé avoisine en réalité les 120 à 125 millions d'euros, à la faveur également de la mise en place de l'établissement unique. Nous avons eu du mal à construire ce budget de transition, faute de visibilité. Aujourd'hui, nous repensons nos outils comptables en nous appuyant sur la gestion budgétaire et comptable publique (GBCP).

Cela étant dit, même avec un budget en baisse, nous avons les moyens de notre transformation. En effet, le ministère du budget a accepté que nous utilisions notre fonds de roulement – qui existait dans le cadre du CNDP et des CRDP – pour transformer l'opérateur.

Le partenariat avec Amazon n'est est pas vraiment un – il ne consiste pas à mobiliser des fonds publics : il s'agit d'une prestation. La Cour des comptes s'était interrogée sur la relation du réseau avec le monde industriel, relation qui n'était pas normée sur l'ensemble du territoire. J'ai donc voulu un cadre précis et, aujourd'hui, notre offre de prestation est identique pour l'ensemble des industriels et elle nous permet d'augmenter nos ressources propres. Le partenariat avec Amazon est né d'une initiative du Canopé de Lille : des enseignants désireux de faire de l'édition numérique ont commencé à travailler sur le système Kindle direct publishing d'Amazon. En apprenant que nous effectuions une expérimentation dans ce cadre, Amazon a souhaité la développer ; j'ai donc clarifié cette relation en indiquant qu'elle devait s'inscrire uniquement dans une logique de prestation. Pour autant, ce contrat ne va pas révolutionner le monde de l'édition : 50 000 euros, 60 professeurs sur l'ensemble du territoire, on est dans l'ordre du symbole. Par la suite, nous avons été contactés par les imprimeurs du Net, auxquels nous allons offrir le même type de prestation, et nous avons signé d'autres accords avec des industriels, comme ITOP éducation et Orange. Cette relation clarifiée avec le monde industriel est saine, ce qui n'était pas le cas auparavant. Du reste, dans le cadre de la refondation du réseau, il était mentionné que nous devions être capables de proposer des prestations en lien avec l'ingénierie pédagogique.

Dans ce rapprochement avec Amazon, nous ne sommes pas co-éditeurs des contenus : nous accompagnons des enseignants qui veulent éditer, et les enseignants gardent la totalité de leurs droits. L'expérimentation des enseignants à Lille était très éloignée du contenu des manuels scolaires – elle portait plutôt sur la pédagogie Freinet pour les mathématiques ou sur des approches autour de contes, par exemple. En aucun cas, nous n'avons vocation à produire des manuels scolaires – nous n'avons pas le droit de le faire.

Certes, les frontières sont poreuses, et nous avons été attaqués l'année dernière à propos de nos modules vidéo « Les fondamentaux ». Vous avez abordé la question du socle de compétences : si nous n'avions pas produit ces 400 petits films d'animation organisés par domaines disciplinaires – notions fondamentales de l'école élémentaire en français, mathématiques et histoire-géographie-instruction civique –, personne d'autre ne l'aurait fait ; les éditeurs ne produisent pas des contenus audiovisuels, ils les achètent à d'autres acteurs. « Les fondamentaux » sont des contenus libres, tout le monde peut les télécharger, à commencer par les parents à destination desquels nous avons créé des fiches d'accompagnement. D'ailleurs, « Les fondamentaux » sont un réel succès – nous avons même vendu la série au Canada.

Par ailleurs, je persiste à dire qu'il faut créer le maximum de liens entre le temps scolaire et le temps périscolaire, en adaptant l'ensemble des outils. Néanmoins, il faut veiller aussi à ce que la culture numérique de l'enfant ne soit pas totalement déconnectée de la culture « classe ». C'est un enjeu essentiel.

Autre enjeu primordial : le codage, qui est avant tout un outil au service de la pensée algorithmique. Le challenge est d'intégrer le codage dans le cadre des apprentissages de manière transversale. Là aussi, il y a beaucoup à faire.

La refondation de l'opérateur intègre le CLEMI. La Semaine de la presse et des médias a mobilisé la semaine dernière un grand nombre d'établissements. Nous avons signé un partenariat avec France Médias Monde : ses journalistes sont allés dans les classes pour partager leur réflexion sur la liberté de la presse, ce qui est d'autant plus important aujourd'hui dans le cadre de la lutte contre les thèses complotistes.

Autre question très importante : l'enseignement professionnel. Grâce à notre expertise en Ile-de-France, Canopé a répondu à l'appel à projets « Culture scientifique, technique et industrielle et égalité des chances », lancé dans le cadre du programme d'investissements d'avenir. Le projet « École, numérique et industrie » (ENI) porté par le réseau a été retenu. Il consiste en la mise en place d'une plateforme web aux fonctionnalités avancées offrant des contenus pédagogiques innovants et attractifs sur des sujets industriels.

Pour aller plus loin, nous souhaitons le déploiement dans chaque établissement professionnel de « fablabs », qui seront des espaces ouverts et une formidable opportunité permettant aux élèves de produire leurs propres objets. Nous travaillons à quelques expérimentations dans ce cadre.

Dans le cadre de la démarche qualité de transformation des CDDP en ateliers, nos ateliers sont labellisés selon des indicateurs. Les premiers ateliers labellisés montrent une fréquentation en hausse, de 40 % à certains endroits, principalement en milieu rural. Nous mettrons en place de nouveaux indicateurs, pour augmenter notre adaptabilité.

Enfin, s'agissant des parents, la ministre a porté très fortement la question de la coéducation. Dans cette perspective, une délégation nationale autour de la coéducation et de la parentalité vient d'être créée au sein du réseau Canopé, ce qui nous amène à mettre en place des délégués dans chaque direction territoriale autour de ces enjeux.

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