Intervention de Sophie Binet

Réunion du 22 mars 2016 à 17h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Sophie Binet, membre de la direction confédérale de la CGT, chargée de l'égalité femmes-hommes :

En second lieu, l'inversion de la hiérarchie des normes introduite par le projet de loi aura des conséquences particulièrement dangereuses pour les salariées.

D'abord, la négociation par le salarié mandaté sera dérogatoire avec ce projet de loi. Or les femmes sont plus nombreuses dans les TPE-PME, où les organisations syndicales sont moins représentées. Par conséquent, la CGT prône le développement de la négociation, non pas de façon dérogatoire en entreprise, mais au niveau de la branche pour créer une sécurité sociale professionnelle. Dans le même ordre d'idée, il faut lutter contre la discrimination syndicale – se syndiquer est un facteur de discrimination pour 30 % des salariés –, mais aussi renforcer les droits et la représentation des salariés des très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME), avec par exemple des commissions des TPE en charge de l'égalité professionnelle.

Ensuite, cette inversion de la hiérarchie de normes aboutit à généraliser les logiques de dumping social et de low cost, avec des logiques de concurrence qui s'accroîtront entre les entreprises.

Plus grave : cette inversion de la hiérarchie des normes fait de la négociation en entreprise le lieu de la négociation des régressions, et non plus le lieu où peuvent être négociés des accords de conquête qui permettent d'obtenir des droits supplémentaires grâce à la loi ou un accord de branche. L'égalité professionnelle a avancé grâce à la loi, avec les obligations de négociation et les sanctions. Or renvoyer la négociation au niveau de l'entreprise sera dangereux en particulier pour les femmes.

Par ailleurs, ce projet de loi induit des reculs pour les droits des salariés, mais je vais axer mon propos sur ceux qui concernent particulièrement les femmes. L'inversion de la hiérarchie des normes s'applique d'abord au chapitre du temps de travail, mais ce projet de loi n'est qu'une première étape, les autres chapitres du code du travail seront concernés par la suite. Ce projet de loi finalise le détricotage des 35 heures, initié par la loi Fillon. En effet, la modulation du temps de travail passe d'un an à trois ans ! Or ces accords de modulation s'appliquent aussi bien pour les salariés à temps plein que pour les salariés à temps partiel, lesquels sont déjà très pénalisés par huit avenants relatifs aux compléments d'heures. Par conséquent, cette période de référence reculera d'autant le déclenchement des heures supplémentaires. En outre, la période maximale de modulation du temps de travail par décision unilatérale de l'employeur passe de quatre à neuf semaines. Ces dispositions pénaliseront donc particulièrement les femmes.

Toujours au chapitre temps de travail, les dispositions concernant les salariés à temps partiel nous inquiètent au plus haut point. D'ores et déjà, la rémunération des heures complémentaires des salariés à temps partiel est discriminatoire par rapport à celle des salariés à temps plein – avec des majorations de 10 % à 25 %, contre 25 % à 50 %. Or le projet de loi prévoit désormais que le taux de majoration des heures complémentaires est de 10 %, ce qui suppose une baisse de la rémunération des salariés à temps partiel. De la même manière, le texte prévoit que les changements d'horaire des salariés à temps partiel sont possibles dans un délai de prévenance de trois jours – au lieu de sept jours, sauf s'il y a un accord de branche, qui ne peut fixer une durée inférieure à trois jours.

Par ailleurs, le Gouvernement recule sur les congés familiaux, qui ne sont plus définis dans la loi mais par accord d'entreprise. Or les aidants familiaux sont essentiellement des femmes. Quant aux règles des congés payés actuellement définies dans la loi – interdiction pour l'employeur de modifier les dates des congés payés un mois avant le départ du salarié, prise en compte de la situation familiale des salariées pour définir les dates de congés payés –, elles ne sont plus garanties dans le texte.

Au chapitre du dialogue social, ce projet de loi introduit également des reculs très graves.

D'abord, il introduit une validité de cinq ans pour les accords d'entreprise. Jusqu'à présent, le maintien des avantages acquis prévalait jusqu'à ce qu'il y ait un nouvel accord ; avec ce texte, l'accord est périmé automatiquement au bout de cinq ans sans maintien des avantages acquis. Or actuellement, le patronat est tenté de nous faire renégocier sur une base plus faible les accords sur l'égalité professionnelle qui arrivent à terme.

Ensuite, avec ce projet de loi, la périodicité des négociations annuelles obligatoires (NAO) peut devenir triennale. La loi Rebsamen permet que les négociations annuelles soient seulement organisées tous les trois ans sous réserve qu'il y ait un accord majoritaire d'entreprise. Demain, il suffira d'un accord de branche pour que les négociations annuelles deviennent triennales, ce qui aura un impact très négatif pour l'égalité femmes-hommes, en reculant d'autant les mesures de suppression des inégalités salariales et les mesures en faveur de l'égalité professionnelle et de la qualité de vie au travail.

Enfin, avec ce projet de loi, l'employeur peut s'opposer, sur décision unilatérale, à la publication d'un accord.

Dernier chapitre que je veux aborder : les licenciements.

Nous trouvons choquant que le patronat et le Gouvernement aient refusé de bouger sur la question des plans sociaux d'entreprise (PSE).

Plus grave : les accords de compétitivité dits « offensifs » élargissent considérablement la possibilité pour les entreprises de licencier, puisque le texte prévoit qu'elles peuvent le faire en vue du « développement » de l'emploi même en l'absence de difficulté économique. Ces accords de compétitivité offensifs peuvent imposer aux salariés des clauses de mobilité, une augmentation du temps de travail sans augmentation de salaire, une modification du rythme de travail, autant de dispositions pénalisantes pour les femmes en raison des inégalités en matière de répartition des temps familiaux. En outre, si un salarié refuse de voir son contrat de travail modifié suite à un tel accord, il sera licencié selon les règles du licenciement pour motif personnel. Or une étude a montré que 50 % des femmes qui arrêtent de travailler pour élever leurs enfants avaient auparavant des horaires atypiques – travail de nuit, du soir ou le week-end. Ainsi, ce type de disposition est particulièrement défavorable aux femmes, en les fragilisant considérablement par rapport à leur droit au travail.

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