Intervention de Carole Cano

Réunion du 22 mars 2016 à 17h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Carole Cano, vice-présidente du Syndicat national des cadres de l'assurance, de la prévoyance et de l'assistance, SNCAPA, de la CFE-CGC :

Au nom de mon organisation comme à titre personnel, je suis très satisfaite de votre remarque sur les instances qui travaillent à l'égalité professionnelle, madame la présidente, étant moi-même membre du CSEP.

Alors que l'objectif du Gouvernement est de créer un nouveau modèle social capable de s'adapter au travail qui se transforme, celui-ci oublie complètement la dimension de l'égalité femmes-hommes. Dans son discours du 14 mars dernier, le Premier ministre déclarait que le projet de loi avait pour but de réformer notre marché du travail, de casser les inégalités qui le caractérisent, de donner plus de souplesse aux entreprises et plus de protections aux salariés. Or aucune des dispositions du projet de loi ne casse les inégalités entre les hommes et les femmes ; au contraire, la CFE-CGC estime que le texte installe ces inégalités dans la durée.

Les femmes sont majoritaires à occuper des emplois à temps partiel, elles sont très nombreuses dans les petites et moyennes entreprises et sont souvent moins bien rémunérées que les hommes. Or avec ce projet de loi, elles se trouveront encore une fois défavorablement impactées, en particulier à cause des dispositions relatives au temps de travail et à la rémunération des heures complémentaires et supplémentaires.

La dimension de l'égalité professionnelle, qui avait déjà été mise à mal par le fait de la lier à la négociation sur la qualité de vie au travail, n'est pas ou peu prise en compte dans le texte. Pourtant, celle-ci est encore loin d'être atteinte.

Les « nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise » ne doivent pas amener à détériorer la santé du salarié ou de la salariée, ou intervenir au détriment de l'articulation des temps de vie.

Le renforcement des décisions unilatérales de l'employeur et la remise en cause de la hiérarchie des normes constituent des régressions en matière d'égalité professionnelle.

Le recours au référendum pour entériner la validité d'un accord d'entreprise qui recueillerait un engagement de 50 % des suffrages n'incite pas non plus à un dialogue social de qualité.

Les changements proposés pour la médecine du travail ne garantissent plus le suivi médical. Pour les femmes qui occupent des emplois dont la pénibilité etou les risques sont beaucoup moins visibles que dans les filières dites « masculines », ces changements risquent, encore une fois, de façon indirecte de peser sur leur santé.

Le projet de loi fragilise la négociation sur l'égalité professionnelle, tant au niveau de la branche – qui se fera tous les cinq ans – que dans l'entreprise, qui se fera tous les trois ans. La négociation sur les salaires – aujourd'hui annuelle dans la branche comme dans l'entreprise – pourrait devenir triennale dans la branche et dans l'entreprise. Or en différant la négociation sur l'égalité hommes-femmes et celle sur les salaires, le Gouvernement freine la lutte contre les inégalités salariales. À l'heure où les femmes sont moins payées que les hommes, il est primordial de dynamiser la négociation collective en la matière. Qu'elle soit au niveau de la branche ou de l'entreprise, la négociation collective est un vecteur primordial pour faire bouger les lignes. Elle permet de définir les objectifs d'égalité professionnelle et salariale entre les femmes et les hommes, ainsi que les mesures qui permettent de les atteindre avec un suivi et des indicateurs.

Ces dispositions sont à mettre en perspective avec le mouvement de restructuration des branches engagé et accéléré par le Gouvernement. Il est reproché aux branches d'avoir une activité atone, d'où le chantier de réduction du nombre de branches. Or allonger la périodicité des négociations obligatoires de branche va à l'encontre du renforcement du dialogue social dans les branches, souhaité par le Gouvernement.

Pour ce qui concerne la remise en cause de la hiérarchie des normes, le texte renforce les décisions unilatérales de l'employeur. Or actuellement, les femmes, très nombreuses dans les PME, ne bénéficient pas forcément des accords d'entreprise – alors que les accords conventionnels leur sont applicables, ce qui constitue un socle de droits pour elles.

Par ailleurs, aux termes de l'article 37 du préambule, « les salariés à temps partiel bénéficient des mêmes droits dans l'entreprise que les autres salariés ». Or l'article L. 3123-29 du code du travail indique que « le temps de travail mensuel d'un salarié à temps partiel ne peut être réduit de plus d'un tiers par l'utilisation du crédit d'heures auquel il peut prétendre pour l'exercice de mandats qu'il détient au sein d'une entreprise. »

Si la CFE-CGC ne doute pas des compétences des femmes en tant que négociatrices, elle doute de la possibilité pour elles d'exercer ces droits pour la simple raison que 82 % des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes qui, je le répète, sont majoritaires dans les petites entreprises. Comment exercer ces droits si elles ne peuvent utiliser qu'un tiers de leur temps de travail ? La formation, l'engagement et l'investissement nécessaires pour des femmes qui vont devoir prendre en main ces sujets de façon immédiate nécessitent qu'elles puissent y consacrer du temps. En revanche, pourquoi devraient-elles y sacrifier leur vie personnelle ? Une réécriture du code du travail aurait dû rétablir une égalité de traitement, ou au moins une égalité de droits.

Les articles sur l'augmentation du temps de travail, les délais de prévenance, la rémunération des heures complémentaires et supplémentaires et les congés, sont incompatibles avec le 9° du préambule qui pose le principe de la recherche, dans la relation de travail, de la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale, et avec celui posé par le 39° de l'article 1er du projet de loi, aux termes duquel « l'employeur doit assurer la sécurité et protéger la santé des salariés dans tous les domaines liés au travail ».

La deuxième version du projet de loi prévoit, dans le cadre de la négociation d'entreprise, un minimum garanti pour la durée des congés pour événements familiaux. Ainsi, les accords d'entreprise en question ne pourront plus déterminer une durée inférieure à la durée légale. Il s'agit là d'une demi-avancée puisqu'un accord d'entreprise pourra toujours porter la durée des autres congés de conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle en dessous des dispositions légales.

Le projet de loi supprime les avantages individuels acquis au profit d'un simple maintien de rémunération dont le montant annuel ne peut être inférieur à la rémunération versée lors des douze derniers mois. Les avantages individuels acquis sont donc limités aux seuls aspects de la rémunération, et la nouvelle définition écarte notamment les droits individuels à congé.

La CFE-CGC plaide pour une reprise dans la loi des critères de la jurisprudence, qui vont plus loin que la seule rémunération, avec une possibilité par accord collectif de compléter ces critères légaux de façon plus favorable.

Le renforcement des décisions unilatérales de l'employeur, particulièrement en matière de temps de travail, ne prend pas en compte les conséquences sexuées. Le partage des tâches n'est pas encore équilibré en France. Les femmes, qui constituent la majeure partie des familles monoparentales, doivent déjà gérer leurs heures de travail par rapport aux gardes d'enfant. Comment les mères pourraient-elles concilier leurs obligations avec l'augmentation du temps de travail du fait d'une modulation calculée sur trois ans ? Ces dispositions seraient particulièrement défavorables aux femmes.

La rémunération des heures complémentaires et supplémentaires et l'étalement possible de la comptabilisation du temps de travail sur trois ans feraient subir la double peine aux femmes au regard de l'articulation des temps de vie, mais aussi du fait que les heures supplémentaires ne seraient pas forcément rémunérées, alors que les femmes auraient la charge supplémentaire des gardes d'enfant.

Par ces dispositions sur le temps, la durée, l'organisation du travail, ce projet de loi induit des discriminations indirectes qui vont accentuer les inégalités entre les femmes et les hommes en termes de rémunération comme d'évolution de carrière. Ces changements risquent encore une fois de façon indirecte de peser sur la santé des femmes qui exercent des métiers dont la pénibilité etou les risques sont beaucoup moins visibles que dans les filières masculines.

Je souhaite insister sur le sixième principe posé par le préambule qui concerne la liberté de manifester ses convictions religieuses. Au-delà du clivage qui serait créé entre les salariés du public et les salariés du privé, ces derniers pourraient se voir traités différemment selon l'entreprise dans laquelle ils travaillent. Il serait également problématique de laisser à l'entreprise le soin de déterminer les nécessités de son « bon fonctionnement » – la conviction religieuse n'est pas un sujet d'entreprise, mais un sujet de société. En outre, et alors que le fait de se prévaloir de convictions religieuses est un danger lorsque cela aboutit à traiter différemment les salariés selon le genre, cet article ne ferait que renforcer ce à quoi on assiste déjà dans certaines entreprises : refus de serrer la main à une femme, refus d'obéir à une femme manager.

Enfin, la possibilité de modification unilatérale du contrat de travail en vue de la préservation de l'emploi, entraînant en cas de refus du salarié un licenciement individuel pour cause réelle et sérieuse, est particulièrement défavorable aux femmes qui seront les premières à subir ces décisions de leurs employeurs. Alors que les femmes subissent déjà de fortes contraintes, la flexibilité qui sera exigée risque ainsi de générer encore plus de précarité pour les salariées.

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