Intervention de Georges Pau-Langevin

Réunion du 29 mars 2016 à 17h45
Délégation aux outre-mer

Georges Pau-Langevin, ministre des outre-mer :

Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés je vous remercie de m'accueillir pour travailler sur ce projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs, projet que Myriam El Khomri et Emmanuel Macron ont présenté en conseil des ministres jeudi dernier.

Ce projet fait l'objet de débats très vifs et nourris. Je me demande d'ailleurs si tout le monde a bien lu ce texte.

L'objectif du projet de loi est de donner plus de place à la négociation collective dans le droit du travail, pour renforcer la compétitivité de l'économie et développer l'emploi. Ce texte s'inscrit dans le prolongement des réformes que le Gouvernement a engagées depuis 2012 pour sécuriser l'emploi, renforcer l'accès à la formation professionnelle et améliorer le dialogue social. Pour nous évidemment, dans les outre-mer, c'est un sujet particulièrement important. Déjà, ici, en France métropolitaine, la question de l'emploi, et de l'emploi des jeunes est une préoccupation majeure ; pour nous, c'est un enjeu primordial.

Je vous rappellerai pourquoi ce sujet a une acuité particulière dans les outre-mer, et quels ont été nos leviers d'action pour lutter contre le chômage.

Depuis de très nombreuses années, la situation de l'emploi est très préoccupante dans les outre-mer, avec des taux de chômage allant de 20 à 27 % selon les territoires, de 40 à 56 % pour les moins de vingt-cinq ans – très souvent des jeunes qui ont quitté l'école sans formation ni qualification.

Cette situation est difficile à supporter pour nos sociétés et de nature à compromettre la cohésion sociale des territoires. Depuis 2012, nous avons mis en place des actions volontaristes pour encourager la création d'emploi, en soutenant la compétitivité des entreprises, en accompagnant les chefs d'entreprise dans le recrutement des salariés, tout particulièrement dans le cadre de l'économie sociale et solidaire – car ce sont des emplois pérennes et non délocalisables.

Nous avons pris des mesures ambitieuses pour favoriser l'accès à l'emploi des publics les plus éloignés de l'emploi, en allouant aux territoires ultra-marins un nombre important de contrats aidés, ou en mettant en place des dispositifs spécifiques pour les jeunes, comme, par exemple, des emplois d'avenir ou la garantie jeunes. J'ai ainsi rencontré à Saint-Denis, des jeunes qui avaient pu s'en sortir grâce à la garantie jeunes qui a été expérimentée à la Réunion.

C'est sans doute grâce à l'intensité de notre politique que la situation s'est stabilisée dans les outre-mer. Nous avons même observé, en un an, une baisse de 8 % du chômage des jeunes. Mais nous sommes conscients que nous devons encore améliorer l'accès à l'emploi pour la jeunesse des outre-mer, qui est tellement en difficulté. À un âge où l'on forme des projets pour soi, pour son territoire, il n'est pas supportable de ne pas pouvoir exercer un emploi pérenne, à la hauteur de ses compétences, ou de devoir quitter son territoire, souvent d'une manière durable, pour pouvoir le faire.

Nous essayons d'agir sur plusieurs leviers.

Nous connaissons le rôle essentiel de la commande publique outre-mer, pour l'économie et la création d'activité. Nous savons que, notamment dans les contrats de plan, on a prévu des niveaux d'engagement assez importants de commande publique, de nature à développer l'activité dans ces territoires. Mais il nous faut évidemment faire en sorte de renforcer l'effet d'entraînement de cette commande publique sur l'emploi des jeunes.

Voilà pourquoi j'ai souhaité que l'on prenne une mesure spécifique aux outre-mer dans le cadre des marchés publics. Nous avons donc fait insérer dans l'ordonnance sur la commande publique une disposition prévoyant que, lorsqu'il y a un taux de chômage extrêmement élevé, notamment chez les jeunes, l'entreprise qui soumissionne a l'obligation d'employer un certain nombre de jeunes du territoire. Je forme beaucoup d'espoir dans cette mesure puisque nous savons que c'est à travers la commande publique que nous pourrons améliorer la situation.

Bien évidemment, il faut que ce ne soit pas seulement une clause « sociale » pour des jeunes qui ne sont pas formés, mais une clause qui puisse s'appliquer à tous les niveaux dans les entreprises. Quand on sait le montant d'investissements que la route du littoral à la Réunion représente, on pourrait en espérer des retombées à la hauteur de la somme. Or force est de reconnaître que ce n'est pas encore le cas.

On souhaite également offrir aux jeunes des parcours de formation sécurisés, en rapport avec leurs besoins et porteurs d'emploi. La loi du 5 mars 2014 a rénové la gouvernance des instances de l'emploi et de la formation sur les territoires. Aux acteurs compétents sur les territoires d'établir un diagnostic partagé des besoins, et d'apporter des réponses articulées et complémentaires.

Par ailleurs, nous avons récemment modernisé le statut de LADOM pour lui permettre de mieux répondre aux besoins du territoire, et faire en sorte qu'elle puisse agir en cohérence avec les forces économiques du territoire pour proposer aux jeunes des formations aboutissant à un emploi.

Ce qui nous préoccupe aujourd'hui, c'est que s'il faut relever le niveau de compétences des jeunes, beaucoup de ceux qui sont formés et qualifiés n'accèdent pas non plus au marché du travail. C'est du gâchis, dans la mesure où les jeunes que l'on a pris le soin de former se retrouvent sans emploi. Et cela détruit la confiance des jeunes dans le pacte républicain.

Nous sommes donc en train de travailler avec LADOM et Pôle emploi pour voir comment mieux sécuriser le passage entre la formation et l'accès à l'emploi. En effet, notamment à travers la commande publique et Pôle emploi, on doit pouvoir anticiper sur quelques années les besoins en emplois sur les territoires. Souvent, le jeune qui part en formation et obtient son diplôme n'a pas accès aux offres d'emploi sur son territoire, par manque de procédure organisée. Certes, LADOM lui paie son billet de retour. Sauf qu'ensuite, il doit se débrouiller pour trouver des opportunités.

Nous nous sommes dit qu'il fallait mieux structurer les procédures, notamment avec les régions qui sont elles aussi concernées, dans la mesure où elles participent au coût de formation des jeunes. Il faut donc qu'elles fassent connaître à ces jeunes les opportunités existant sur le territoire.

Nous sommes vraiment engagés dans une bataille pour l'emploi. Comme l'a dit le président, il ne semble pas que dans le projet de loi, on se soit particulièrement préoccupé de la situation dans les outre-mer. C'est peut-être à nous de faire en sorte que nos préoccupations y soient prises en considération.

Ce qui me fait douter, c'est que la philosophie du projet de loi est d'essayer de sortir d'une codification précise de tous les items, et de renvoyer nombre de décisions à la négociation collective, entre branches, dans les entreprises. Or, comme l'a très bien dit Jean-Claude Fruteau, dans les outre-mer, la négociation est beaucoup plus heurtée qu'en métropole. Et dans de nombreuses TPE, la négociation n'est pas capable, selon moi, de prendre à bras le corps certaines questions importantes que le texte lui délègue.

En outre, nos organisations syndicales ne sont pas toujours exactement à l'image des organisations syndicales métropolitaines. Nous devons donc réfléchir à ces questions de représentativité, et voir comment transposer dans les outre-mer ce qui est aujourd'hui en train de s'esquisser en métropole.

Je pense qu'avec vos questions et vos observations, nous allons définir comment faire pour que ce projet de loi prenne en compte nos problématiques ultramarines, et quelles améliorations proposer pour qu'il nous soit utile.

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