La mission du groupe Total est de répondre à la fois à une demande mondiale croissante d'énergie et aux préoccupations de la transition énergétique. Notre organisation et nos choix répondent à ces deux exigences. Nous souhaitons accompagner nos clients avec les technologies, les produits et les services que nous pouvons leur offrir tout en inscrivant l'entreprise dans un climat de modernité et d'innovation.
Avant de répondre à vos questions, j'évoquerai trois points : la conjoncture pétrolière mondiale, l'évolution du mix énergétique et l'évolution du parc automobile, des technologies, de la mobilité et des énergies nouvelles qui doivent trouver leur place dans ce mix.
S'agissant tout d'abord de la conjoncture pétrolière mondiale, le prix du baril est très bas, ayant baissé de plus de 50 % en un an. Cela est notamment dû à une offre croissante d'huile et de gaz de schiste américains et à une croissance plus faible de la demande. Ainsi s'est créé un écart entre l'offre et la demande d'environ deux millions de barils par jour pour une demande globale de 95 millions par jour. La baisse des prix a conduit à un redémarrage de la demande qui a crû de 1,8 million de barils par jour en 2015, contre un million par jour au cours des années précédentes. Ce redémarrage a été le fait de pays dont la demande est élastique aux prix, tels que les États-Unis, où la fiscalité est faible, ou la France qui a enregistré une croissance de 1 % de la demande en 2015 pour des raisons de prix et des raisons géopolitiques. En revanche, la demande a stagné dans des pays où les prix n'ont pas varié – les gouvernements ayant soit réduit leurs subventions soit augmenté leur fiscalité. On a même vu des pays producteurs comme le Nigéria, l'Arabie Saoudite ou le Venezuela augmenter leurs prix à la pompe. Nous anticipons un rééquilibrage du marché à la fin de l'année 2016 ou au début de l'année 2017 : la décroissance naturelle des champs pétroliers et le ralentissement des investissements sur ces champs devraient affecter la croissance de l'offre et le maintien de prix relativement bas devrait entraîner un maintien du niveau de la demande. Ce rééquilibrage devrait conduire à une révision des prix à la hausse à cette période.
Dans cet environnement, les défis du mix énergétique vont évoluer mais nous aurons besoin de toutes les énergies pour répondre à la demande – aujourd'hui croissante. Il y aura moins de pétrole mais plus de gaz et plus d'énergies renouvelables Les énergies fossiles – charbon, pétrole et gaz – représentent aujourd'hui 81 % du mix énergétique et devraient constituer 65 % de ce mix en 2035, dans le scénario le plus sévère, établi par la 21e Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP21) : il prévoit un réchauffement planétaire de deux degrés et la limitation des émissions de CO2 à 450 parties par million (450 ppm). Une telle baisse de consommation d'énergies fossiles est significative mais leur laisse encore une part importante. Vous noterez la part importante des transports dans l'usage de celles-ci : ils pèsent pour 60 % de la consommation de pétrole, part qui devrait croître puisque c'est dans ce secteur que la substitution entre énergies est la plus difficile, compte tenu de la densité énergétique du fossile pétrolier et de la facilité à le manipuler.
Que l'on retienne un scénario à « deux degrés » ou de « business as usual » comme le qualifie l'Agence internationale de l'énergie (AIE), la demande de produits pétroliers baissera en Europe. La baisse de 1,5 % par an constatée en France au cours des dernières années devrait se poursuivre, la loi de transition énergétique fixant un objectif de -30 % entre 2012 et 2030, cohérent avec le scénario dit « deux degrés » dans lequel nous nous inscrivons. La baisse portera principalement sur les véhicules légers et le secteur résidentiel : leur consommation diminuera respectivement de 30 % et de 55 %.
Il nous faut, pour atteindre ces objectifs, utiliser tous les leviers : poursuivre l'amélioration de l'efficacité énergétique des véhicules et tendre vers les deux ou trois litres aux cent kilomètres ; élargir les capacités d'incorporation de biocarburants tels que le diesel B10 et l'E85 ; accélérer la pénétration de solutions innovantes ou en rupture tels que le recours au gaz naturel, à l'énergie électrique ou à l'hydrogène ; enfin, faire évoluer le comportement des consommateurs.
En tant que fournisseur de la plupart de ces énergies, Total a inscrit sa stratégie dans un scénario compatible avec celui dit des « deux degrés ». Nous prévoyons ainsi d'augmenter notre production de gaz, qui devrait passer de 52 à 65 % de notre portefeuille d'activité dans vingt ans ; de développer notre production d'énergies renouvelables qui devraient représenter 20 % de notre portefeuille à la même échéance – ce qui est particulièrement vrai pour l'énergie solaire, secteur dans lequel Total est aujourd'hui le troisième acteur mondial – ; de sortir dès 2016 de la production de charbon ; enfin, de progresser en termes d'efficacité énergétique, non seulement dans le cadre de nos activités qui enregistrent un gain annuel d'1,5 % d'efficacité mais aussi vis-à-vis de nos clients à qui nous proposons des carburants, des lubrifiants et des services spécifiques.
J'en viens à présent à l'évolution des parcs automobiles. En tant qu'industriel et distributeur, nous avons à la fois des contacts quotidiens avec nos clients – professionnels et particuliers – et des partenariats avec de nombreux constructeurs – français mais aussi coréens, chinois, allemands et américains. Pour vous donner un exemple emblématique de coopération, nous avons fourni à PSA des lubrifiants destinés aux moteurs et aux boîtes de vitesse qui ont fait économiser 5 % de consommation aux véhicules neufs – ce qui représente plusieurs grammes de CO2.
Je vais à présent vous exposer notre point de vue sur chacune des énergies.
Le diesel est une spécificité européenne en pleine évolution. Deux véhicules sur trois roulent au diesel aujourd'hui. Aucun autre pays du monde n'atteint un tel seuil à part peut-être l'Inde et le Maroc. La tendance s'inverse très rapidement : les ventes de diesel sont passées de 77 % en 2008 à 57 % en 2015 et devraient passer à 40 % en 2030. La part des particuliers est déjà de 44 % en 2015, ce qui signifie que l'essentiel de la diésélisation provient actuellement des flottes de véhicules professionnels. Compte tenu des surcoûts liés à la dépollution du diesel et aux taxations, le diesel ne devient rentable qu'à partir de 20 000 kilomètres de trajet, ce qui explique aussi ce resserrement de son développement.
Le diesel a la vertu de consommer moins que l'essence, ce qui représente un gain de 15 % d'émissions de CO2. La quantité d'émissions d'oxydes d'azote a quant à elle été très fortement réduite au cours des dernières années grâce au post-traitement à l'urée : après dépollution, le niveau d'émissions des véhicules diesel neufs, de l'ordre de 80 milligrammes par kilomètre, est très voisin de celui des moteurs à essence qui est de 60 milligrammes. De même, la quantité de particules a été divisée par dix sur les véhicules diesel. Les véhicules neufs sont même à un niveau légèrement inférieur à celui des véhicules essence. Les spécifications relatives aux particules seront identiques en 2017 pour les deux types de motorisation.
C'est pourquoi, d'un point de vue technologique, technique et environnemental, nous n'avons pas de raison, en tant que fournisseur, de privilégier une énergie par rapport à une autre, le diesel et l'essence ayant atteint les mêmes niveaux d'émission. Nous avons toujours été en faveur d'un rééquilibrage entre l'essence et le diesel vis-à-vis des capacités de production du raffinage, le marché français étant fortement excédentaire en essence et déficitaire en diesel.
Nous prônons un rééquilibrage progressif, c'est-à-dire une réduction du taux de diésélisation, par le biais des ventes de véhicules neufs. Sachant qu'aujourd'hui, ce sont principalement les flottes des entreprises qui sont concernées, une des solutions pour y parvenir consiste en une déductibilité de la TVA sur les essences.
J'en viens à un sujet connexe à celui du diesel : l'AdBlue, solution d'urée qui, par injection dans les gaz d'échappement, permet de réduire les émissions d'oxydes d'azote. Je pense pouvoir affirmer que Total répond présent à cette nouvelle demande. Installé sur pratiquement tous les camions depuis de nombreuses années, le dispositif de réduction catalytique sélective (SCR) équipera la quasi-totalité des véhicules diesel à partir de 2017. Historiquement, Total a accompagné la sortie des poids de lourds équipés de ce dispositif : nous avons équipé d'une pompe d'AdBlue plus de 1 000 stations en Europe, dont 200 en France. En 2020, toutes nos stations poids lourds seront équipées.
Le développement est en cours pour les véhicules légers : aujourd'hui, leur consommation est telle que le plein peut être fait entre deux vidanges, lors de la maintenance, soit entre 15 000 et 20 000 kilomètres de parcours. L'utilisateur ne se rend donc pas compte qu'il est équipé d'un réservoir d'AdBlue. Pour les véhicules vendus à partir de 2017, la consommation d'AdBlue sera d'un à trois litres tous les 1 000 kilomètres. Les utilisateurs devront donc faire un plein d'AdBlue tous les quatre pleins de diesel. Pour éviter l'immobilisation des véhicules, nous avons décidé de mettre à disposition des bidons de cinq et dix litres d'AdBlue dans toutes les stations Total de France. Ces bidons auront un embout flexible permettant d'accéder au bouchon. Aujourd'hui, le remplissage se fait plutôt dans les coffres, ce qui est assez compliqué. Demain, il se fera en façade. Nous allons aussi installer des pompes dans environ une station sur sept dans les années à venir. Nous nous sommes également intégrés dans la chaîne logistique car si l'urée est un produit assez courant, la solution liquide d'AdBlue l'est moins. Nous avons donc installé deux unités de production d'AdBlue, l'une à Marmande dans notre filiale Alvéa, l'autre sur le site de l'ancienne raffinerie de La Mède. Nous allons également installer une unité de conditionnement à Lyon.
Quant à la consommation d'essence, elle est en évolution continue. La progression des moteurs à essence tient, d'une part, à une réduction de leur taille et, d'autre part, à l'hybridation – classique ou rechargeable. D'ici à 2030, la moitié des véhicules à essence sortant sur le marché devraient être équipés d'un moteur hybride, représentant 10 % du parc. Aujourd'hui, la principale contrainte est celle du prix mais nous sommes vraiment désormais sur la voie d'une forte réduction de la consommation des moteurs à essence qui ne devraient plus avoir besoin que de quelques litres aux cent kilomètres. Toyota a vendu plus de 8 millions de véhicules hybrides depuis 1997. Total avait en 2013 développé avec PSA un démonstrateur consommant deux litres aux cent kilomètres et offrant un confort de conduite remarquable, grâce à une hybridation très poussée et à un allègement du véhicule.
En dehors des énergies classiques, il existe des énergies plus nouvelles.
Le gaz naturel nous semble une alternative crédible au diesel, à tout le moins en zone urbaine et pour les livraisons de zones périurbaines. La technologie est bien connue, mûre et très développée dans certains pays comme l'Argentine, le Brésil, l'Iran et le Bangladesh. Nous avons nous-mêmes 400 stations-service vendant du gaz dans tous les pays du monde où nous sommes présents, notamment au Pakistan. Cette énergie présente un véritable intérêt en termes de réduction des émissions sonores et de particules. Les coûts d'infrastructure sont relativement raisonnables car lorsque l'on dispose d'un réseau de gaz relativement développé comme cela est le cas de la France, il suffit de s'y brancher et l'installation est relativement simple à intégrer dans nos stations. L'usage du gaz nécessite donc moins de transport routier de matières premières. L'avantage en termes d'émissions de CO2 est cependant assez réduit, sauf à intégrer au moins 15 % de biogaz dans sa consommation de gaz naturel. Le marché du gaz naturel se développe dans les zones urbaines, surtout dans les pays producteurs de gaz tels que les États-Unis mais aussi la Chine, pour des raisons environnementales – les véhicules diesel n'y étant pas équipés de filtres à particules.
Quant aux véhicules électriques, ils constituent, selon nous, une solution viable, adaptée principalement au développement urbain. Ils ne produisent évidemment, lors de leurs déplacements, aucune émission de CO2 ni de particules et que de faibles émissions sonores. En revanche, la production d'électricité entraîne des émissions de CO2 – sauf si elle est issue d'énergie nucléaire ou renouvelable. Le manque d'autonomie des véhicules électriques est certes un frein mais ce dernier n'est pas aussi important qu'on peut l'imaginer : 50 % des déplacements en véhicule étant inférieurs à cent kilomètres, ils pourraient très bien être effectués dans une voiture électrique. De plus, le développement futur de nouveaux types de pratiques d'autopartage et de location de courte durée devrait aussi faciliter l'utilisation de ces véhicules. Ceux-ci posent cependant aujourd'hui un problème de surcoût. Les gains d'autonomie des batteries seront lents et l'on n'envisage pas de rupture technologique qui puisse significativement augmenter cette autonomie à des prix raisonnables, du moins pas à court terme. Il faut donc principalement concentrer l'usage de ces véhicules sur des parcours urbains. La charge lente à domicile, sur le lieu de travail ou dans un parking nous semble la solution la plus vertueuse. Elle permet de lisser la consommation électrique. La recharge rapide présente en revanche plusieurs inconvénients. C'est tout d'abord un appel d'énergie très important sur le réseau électrique à un endroit non prévu à l'avance. Cela a aussi un impact négatif sur la durée de vie des batteries – qui supportent bien mieux une charge lente. Enfin, c'est une perte de temps difficilement acceptable pour le consommateur. Nous considérons donc la charge rapide comme une solution de dépannage. Nous accompagnons néanmoins le mouvement et travaillons en partenariat avec Sodetrel pour installer une cinquantaine de bornes de recharge rapide dans nos stations-service dans le courant de l'année 2016. Nous estimons que les véhicules électriques devraient représenter environ 5 % des ventes à l'horizon 2030 et une part minimale de la flotte de véhicules.
L'hydrogène, lui, est utilisé pour accroître l'autonomie des véhicules électriques : cinq kilogrammes d'hydrogène suffisent pour parcourir 500 kilomètres, ce qui permet un ravitaillement classique, en quelques minutes. L'usage de cette énergie ne se fera néanmoins qu'à long terme car il pose encore des défis techniques et économiques importants. Il y a trois marchés pionniers aujourd'hui dans le monde : le Japon et la Corée, la Californie et l'Allemagne. Total est présent sur le marché allemand et participe au partenariat H2 Mobility afin d'acquérir une compétence sur ce marché. Nous avons déjà neuf stations d'hydrogène en Allemagne et avons prévu d'en avoir quatre-vingt-onze à l'horizon 2025 dans ce pays. Nous assurons une veille active sur le marché français en collaboration avec Air Liquide et avons en France quelques projets de stations pour des flottes captives comme celle de La Poste ou certains taxis. Point essentiel, si la production d'hydrogène se fait à base de gaz naturel, les émissions de CO2 seront significatives. Cette énergie ne présente donc d'intérêt que si elle est produite à partir d'énergies renouvelables.
Enfin, vous avez mentionné les biocarburants dont Total est le leader en Europe. La question des biocarburants doit être étudiée selon trois axes – réglementaire, technique et de durabilité. En matière réglementaire, les choses sont claires : le secteur de la mobilité doit atteindre un objectif de 10 % d'énergies renouvelables en 2020 – objectif qui pourrait être porté à 15 % conformément à la loi de transition énergétique. Les contraintes techniques sont surtout liées à la présence de composés oxygénés. Nous nous assurons pour notre part d'être au maximum de ce qui est acceptable par les constructeurs automobiles. Ainsi, l'E10 représente 70 % de nos ventes alors que le marché français n'en est qu'à 35 %.
Pour lever cette contrainte technique, nous développons des solutions de traitement spécifique des huiles végétales, notamment dans le cadre du projet « HVO » que nous menons à l'usine de La Mède. Nous allons pouvoir y traiter 500 000 tonnes de biodiesel pour en faire des hydrocarbures neutralisés injectables dans du diesel sans contrainte technique.
La troisième contrainte concerne la durabilité. La limite est aujourd'hui fixée à 7 % de biocarburants de première génération – qui sont en compétition avec l'alimentaire. Nous avons pris en compte cette contrainte dans le choix des matières premières dans notre usine de La Mède – matières premières qui seront constituées à 40 % d'huiles de friture ou encore de produits recyclés ou inaptes à l'alimentaire. Nous avons également réalisé des investissements à plus long terme dans des biotechnologies de deuxième génération dans le cadre des projets Futurol en France, BioTfueL et avec la start up américaine Amyris pour la transformation de sucre en diesel.
En conclusion, Total est résolument engagé dans la transition énergétique. Nous aurons encore besoin des hydrocarbures dans le futur mais ce besoin devra être intégré dans la transition. Il n'y a pas selon nous de contradiction entre l'investissement dans les hydrocarbures et le développement des énergies renouvelables. Nous accompagnons le développement de toutes les énergies – qu'il s'agisse du gaz, de l'hydrogène ou des biocarburants à un rythme d'investissement adapté à la flotte de véhicules. Ces investissements doivent se faire dans un cadre réglementaire stable, offrant de la visibilité non seulement aux consommateurs mais aussi aux producteurs et aux fournisseurs d'énergie.