Intervention de Anne-Sophie Avé

Réunion du 30 mars 2016 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Anne-Sophie Avé, directeur des ressources humaines du ministère de la Défense :

Pour le recrutement, l'armée de terre a fait preuve d'une incroyable efficacité, lorsqu'il a fallu se mettre en ordre de bataille. Elle a en effet été capable de recruter par des redéploiements d'effectifs au sein des centres d'information et de recrutement des forces armées (CIRFA), et de mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires pour recevoir les dossiers, les analyser, et soumettre les candidats aux tests d'aptitudes. Cela prouve que l'armée de terre est aujourd'hui capable d'assurer ces recrutements.

Pour montrer sa capacité à s'adapter à ses missions et à leurs contraintes, et à déployer ses moyens là où ils sont nécessaires, je prendrais volontiers un exemple échappant un peu au domaine du recrutement : la mise en place du service militaire volontaire, ou SMV. Alors que la création de ce dernier a été annoncée en février 2015 par le président de la République, puis votée en juillet suivant, le premier centre SMV était opérationnel dès le mois de septembre 2015. Je vous invite d'ailleurs à vous rendre dans l'un des centres du SMV à Metz, à Brétigny ou à La Rochelle pour visiter ce remarquable dispositif. Mettre en place un tel dispositif dans des délais aussi restreints, c'est assez incroyable.

Au sujet des ouvriers de l'État, vous savez que le ministre est particulièrement attaché à ce statut. Certes, alors qu'il devait bénéficier à des personnels possédant des compétences rares, ce statut extrêmement coûteux, comme vous le dites, a peu à peu été étendu à des personnels exerçant des métiers qui ne le justifiaient pas : secrétariat, jardinage. Est-il pour autant totalement injustifié ? Au contraire il faut en effet garder à l'esprit que dans certains domaines, comme le maintien en condition opérationnelle, les compétences sont rares et que, pour les recruter, la concurrence est vive entre l'État et le secteur privé. Or, aucun statut de la fonction publique ne permet au recruteur public de s'aligner sur les conditions d'embauche et les parcours de carrière offerts, par exemple, par l'industrie de défense. Par ailleurs, une fois recrutés, il nous faut aussi les conserver, car seuls ces personnels expérimentés peuvent permettre d'entretenir un dialogue intelligent avec les entreprises prestataires du maintien en condition opérationnelle. On ne peut pas, en effet, par exemple, se laisser dire par une entreprise du MCO aéronautique qu'une pièce est à changer, quand on pourrait la réparer : or, nos ouvriers de l'État connaissent parfaitement le matériel sur lequel ils travaillent.

Il faut, aussi, bien évaluer le coût réel du statut d'ouvrier de l'État. Si ce statut a en effet un coût en matière de dépenses de personnels (dites de titre 2) à court terme, c'est un coût que nous récupérons à long terme par les économies que nous réalisons sur dépenses de maintien en condition opérationnelle grâce à leur expertise dans le dialogue avec les entreprises prestataires : il en va de la crédibilité du ministère. Il faut aussi accepter l'idée que si nous devions mettre en place, pour la catégorie de personnels concernés, un autre statut attractif, il coûterait tout aussi cher. S'agissant du régime de pension de retraite des ouvriers de l'État, qui agace au regard de son coût, il faut enfin garder à l'esprit que ce régime contribue à l'attractivité du ministère pour les personnels concernés : c'est ce qui nous permet d'attirer les meilleurs et surtout de les garder.

S'agissant du « dépyramidage infra-catégoriel » des effectifs, aucun objectif chiffré n'est fixé par la LPM. Notre démarche consiste à repérer les personnels éligibles à une aide au départ, et qui ont le plus de chances d'avoir une seconde carrière réussie en dehors du ministère. Elle vise aussi à rationaliser ce que l'on appelle de façon peu élégante des « stocks » de personnels qui ne progresseront plus en grade : à l'évidence, on ne créera pas autant de généraux que nous avons de colonels. Il vaut donc mieux qu'on aide le plus tôt possible les personnels concernés à valoriser leurs compétences. Nous avons d'ailleurs des cas de reconversions très réussies, ce qui constitue le meilleur des exemples pour les autres personnels concernés, même si leur nombre est encore difficile à connaître avec précision, car il résulte autant de départs « naturels » que de décisions individuelles. Ainsi, certaines aides au départ peuvent représenter un effet d'aubaine mais ni plus ni moins que certaines indemnités de départ volontaire, ce qui peut se comprendre lorsque la conjoncture économique est faite plus d'incertitude que de garantie d'emploi.

Pour ce qui est de l'unicité du statut, on entend par « statut militaire » l'application des mêmes règles pour l'ensemble des militaires. Ce statut est constitué de l'ensemble des droits et des obligations qui s'appliquent aux personnels. À ce titre, la comparaison des régimes respectifs des OPEX et des opérations intérieures ne constitue donc pas stricto sensu une question touchant à l'unicité du statut militaire. S'il existe des dispositions juridiques exorbitantes du droit commun pour les personnels engagés en OPEX, car être « projeté » sur un théâtre d'opérations extérieures au péril de sa vie constitue des conditions très spécifiques pour les militaires, et que pour l'application de ces dispositions, une OPEX doit être décidée par le président de la République et définie dans le temps et l'espace par un arrêté interministériel (dont le détail n'est d'ailleurs pas publié, comme vous, législateurs, l'avez souhaité, afin que restent confidentiels les territoires limitrophes de la zone d'intervention principale, territoires sur lesquels nous pourrions avoir à opérer), à l'inverse, les opérations intérieures n'ont pas de définition juridique aussi précise que les OPEX. Dès lors que c'est au quotidien que des forces de sécurité opèrent sur le territoire national, définir les bornes temporelles d'une opération est complexe ; en outre, pourquoi Sentinelle serait-elle assimilée à une opération et pas l'ensemble des missions de sécurité intérieure ? Il est vrai que certaines missions conduites sur le territoire national, comme la mission Harpie en Guyane, ressemblent terriblement à des OPEX… mais cela est pris en compte, y compris dans la loi au regard par exemple du congé du blessé.

En effet, dans l'actualisation de la loi de programmation militaire vous avez voté une disposition présentant une forme de définition de l'opération intérieure comme une opération visant à garantir et préserver la souveraineté de l'État, d'une dangerosité d'une intensité comparable à celle d'une OPEX.

Au sujet de Louvois, Madame Gosselin-Fleury, c'est notre caillou dans la chaussure, et le logiciel n'est à l'évidence ni fiable, ni stabilisé. À chaque fois que nous avons pu penser en stabiliser le fonctionnement de nouveaux problèmes sont apparus. Les deux derniers mois ont été difficiles. En arrière-cuisine, si je puis m'exprimer ainsi, c'est un désastre même si les mesures correctives et palliatives que nous avons prises (et le dévouement du personnel qui s'y consacre est remarquable) permettent de corriger ce désastre avant l'arrivée des plats à table… Il n'en reste pas moins que le système n'est pas fiable, ne sera jamais fiable, quelque effort que nous fassions, et nous nous réjouissons tous les jours de la décision du ministre, qui a bien perçu les limites de l'acharnement thérapeutique sur Louvois, d'abandonner ce logiciel pour passer à Source Solde, développé suivant une méthode plus robuste.

Il y a d'abord un énorme travail de fiabilisation des données constitutives de la solde dans les SIRH. Il faut revenir au strict réglementaire, préciser les fiches qui recensent les droits financiers de chaque militaire (les fiches appelées « médrofim »), de sorte que les données de gestion des ressources humaines fournies au calculateur de solde soient exemptes de toute ambiguïté. Un système informatique, c'est binaire : il comprend « zéro » ou « un », mais pas « un peu » ou « oui mais quand même ». Les problèmes de qualité des données dans les systèmes d'information de gestion des ressources humaines ont contribué aux dysfonctionnements de Louvois. Les armées s'attachent aujourd'hui à améliorer la qualité des données de leurs SIRH. Tel est le cas, en particulier, pour la marine nationale, qui va « entrer en premier » dans le système Source Solde et qui a mobilisé à cette fin ses meilleurs « soldiers ».

Deuxième point de méthode : nous avons conduit le programme Source Solde comme un programme d'armement, c'est-à-dire piloté par la DGA et conduit par étape, avec des validations, des qualifications, des vérifications et des tests et ce jusqu'à ce que l'on puisse basculer en toute sécurité.

S'agissant de la réserve et du réseau de partenaires de la défense, Monsieur Boisserie, voilà un sujet très politique, comme l'avait montré d'ailleurs la discussion du projet de loi actualisant la programmation militaire. Nous sommes bien conscients de la difficulté qu'ont les employeurs à libérer leurs salariés, d'autant qu'en cas de crise, certains sont tout aussi indispensables dans leurs fonctions habituelles : à titre d'exemple, un médecin réserviste est aussi utile dans son hôpital public ou une clinique privée en cas de crise majeure que dans un hôpital d'instruction des armées. Charité bien ordonnée commençant par soi-même, le ministère de la Défense a lui-même encouragé ses propres personnels civils à s'engager dans la réserve ; nous en observerons les résultats. Je note cependant qu'il y a une véritable demande dans la population, qu'atteste le nombre de candidats à l'engagement en 2015 dans la réserve opérationnelle ou la réserve citoyenne.

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