Intervention de Myriam El Khomri

Réunion du 30 mars 2016 à 19h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Myriam El Khomri, ministre du Travail, de l'Emploi, de la Formation Professionnelle et du Dialogue social :

Je suis heureuse de présenter à votre Délégation le projet de loi instituant de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs et, plus largement, d'évoquer avec vous l'égalité entre les femmes et les hommes. Parce que ce combat me tient particulièrement à coeur, j'ai voulu, depuis ma prise de fonctions au ministère du travail, que l'on tienne les femmes pour prioritaires au moment de lancer le plan de 500 000 actions de formation supplémentaires destinées aux demandeurs d'emploi, ou encore la Grande École du numérique. C'est le sens de mon engagement politique ; il vaut aussi pour le sort des femmes dans les quartiers dit populaires – et vous savez l'importance du rôle qu'elles y jouent. Ce n'est pas sans une pointe de fierté que, ce matin même, j'ai présenté en conseil des ministres l'ordonnance relative à la désignation des conseillers prud'hommes, qui met enfin en oeuvre le principe de parité entre les femmes et les hommes, suite à la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes et la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi.

Nous progressons donc par petites touches, mais je n'ignore pas le chemin qu'il nous reste à parcourir. Je sais que, malgré nos efforts, être une femme aujourd'hui signifie souvent, à poste équivalent, être moins bien rémunérée qu'un homme : l'écart des salaires, en 2016, est toujours de 19 %. Être une femme, c'est toujours devoir faire face, davantage que les hommes, au temps partiel subi. Être une femme, c'est aussi affronter une double journée de travail. Être une femme, c'est connaître des difficultés persistantes pour trouver une place en crèche ou un mode de garde d'enfant, problème qui affecte plus gravement les familles monoparentales, dont on sait qu'elles ont une femme à leur tête dans 80 % des cas, et davantage encore dans les quartiers populaires. Être une femme, c'est enfin subir des remarques et des comportements sexistes, y compris sur les lieux de travail. Nous le savons, les stéréotypes au travail ont malheureusement la vie dure, et les mécanismes sociaux empêchant les femmes de bénéficier des mêmes opportunités que leurs collègues hommes font que les plafonds de verre existent toujours, qu'il s'agisse du déroulement des carrières, de l'accès à des emplois stables et de qualité ou de la question centrale de la conciliation entre vie personnelle, parentalité et vie professionnelle.

Mais je sais aussi, pour l'avoir constaté alors que j'étais secrétaire d'État chargée de la politique de la ville, et encore lors de ma visite récente à la mission locale des Ulis avec Mme la députée Maud Olivier, le rôle majeur que tiennent les femmes en matière de développement et de cohésion sociale. J'ai eu à connaître d'exceptionnelles initiatives de terrain portées par des femmes en matière d'insertion par l'emploi dans l'économie sociale et solidaire et aussi de développement économique, dans les villes comme dans les campagnes ; je continuerai de les soutenir. Je rencontre constamment des femmes qui entreprennent, qui osent, qui connaissent des carrières brillantes, affirment leurs droits et prennent enfin la place qui est la leur.

Le combat pour l'égalité entre les femmes et les hommes demande une mobilisation sans cesse réaffirmée. Je fais immédiatement mon mea culpa au sujet de l'étude d'impact : il est exact, madame la présidente, que pour ce qui est de l'analyse, sur ce plan, de la négociation sociale, et en particulier des accords d'entreprise, il n'y a pas encore d'évolution. Peut-être la loi, en imposant la transparence sur tous les accords, nous permettra-t-elle de les apprécier de manière plus générale et ainsi de progresser. Aujourd'hui, 27 % des femmes ont des postes peu qualifiés d'employées ou d'ouvrières contre 15 % des hommes, et elles sont employées en contrat à durée déterminée (CDD) presque deux fois plus souvent qu'eux. C'est contre ces inégalités que je veux agir, notamment par le biais du projet de loi que je vais vous présenter.

Avant d'en venir à ce texte, je souhaite toutefois rappeler que nous avons permis des avancées importantes en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans le monde du travail – des progrès réalisés avec l'appui de votre Délégation, dont les observations ont parfois tout du « poil à gratter », mais ce rôle est essentiel. Je rappelle en premier lieu que la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes a considérablement renforcé les obligations des entreprises relatives à la mise en oeuvre des actions en faveur de l'égalité, par le biais de la négociation. Elle a aussi réformé le congé parental, notamment pour encourager les pères à en bénéficier et favoriser de la sorte l'égalité dans les couples. Je salue à ce sujet la proposition de loi de Mme la députée Dominique Orliac, qui va considérablement améliorer la protection contre le licenciement des mères à l'issue de leur congé maternité et de leur conjoint à compter de l'arrivée de l'enfant.

La loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi a permis une avancée majeure : une durée minimale hebdomadaire de travail à temps partiel de 24 heures. Cette disposition vise à combattre la précarité au travail, qui frappe particulièrement les femmes. Le texte a aussi permis de mettre en place une modulation des cotisations d'assurance chômage sur les contrats courts pour inciter les employeurs à opter pour le contrat à durée indéterminée (CDI) plutôt que pour le CDD. Comme vous le savez, une négociation est en cours sur la nouvelle convention d'assurance-chômage, et certains des partenaires sociaux portent cette question ; c'est à eux qu'il revient de négocier, mais il sera important de faire dans ce cadre un premier bilan de cette disposition.

La loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, qui a suscité de nombreux débats, a finalement apporté des progrès majeurs en renforçant la parité dans les instances représentatives du personnel (IRP), les conseils d'administration et les conseils de prud'hommes, et en mettant l'égalité professionnelle au coeur du dialogue social en entreprise.

Le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs s'inscrit dans la continuité de ces textes.

Il présente une forte cohérence, fondée sur la conviction que j'ai exposée hier à la commission des Affaires sociales de votre assemblée : il faut créer un mouvement profond qui fasse franchir à notre démocratie sociale une étape nouvelle, pour la rendre plus forte et plus efficace. C'est par la négociation au plus près du terrain que se nouent les bons compromis, favorables à la compétitivité de notre économie et à la protection des salariés – et donc aussi des femmes. Je le redis devant vous : s'il n'y a pas d'accord, c'est le droit actuel qui continuera de s'appliquer. Nous voulons donner dans un même mouvement plus de moyens aux acteurs du dialogue social et plus de place à la négociation collective. Loin d'opposer négociation et droits des femmes, je pense au contraire que c'est par le dialogue social que l'on peut, aussi, améliorer leurs droits.

Certains voient dans le renvoi à l'accord d'entreprise un danger pour la protection des salariés. Trois raisons font que je ne partage pas cette analyse.

D'abord, ces accords devront être majoritaires ; alors que des modulations de temps de travail sont aujourd'hui possible avec l'accord de 30 % des représentants des salariés, la modulation reposera, demain, sur un consensus social beaucoup plus fort qu'il ne l'est présentement. Ensuite, dans les matières les plus sensibles – telle la durée minimale hebdomadaire de 24 heures pour le travail à temps partiel –, l'accord de branche restera prépondérant. Enfin, si nous pensons qu'un accord négocié par des syndicats signifie la diminution des droits des salariés, c'est que nous ne sommes pas mûrs pour une démocratie sociale digne de ce nom, et ce n'est pas ma vision des choses. Je considère que la démocratie sociale est à la croisée des chemins et que pour renforcer la légitimité des accords il faut renforcer le pouvoir de les négocier.

Je veux être tout à fait claire : je ne porterais tout simplement pas cette loi si je pensais qu'elle est, d'une façon ou d'une autre, contraire à l'intérêt et aux droits des femmes.

Au-delà de la philosophie d'ensemble que je viens d'exposer, le projet de loi que je vous présente tend à sanctuariser un certain nombre d'acquis essentiels. Tout d'abord, le principe même de l'égalité professionnelle, figurant parmi les grands principes issus des travaux de la commission Badinter, qui guideront la réécriture du code du travail devant s'achever en 2019. Je sais que votre Délégation souhaite proposer des amendements à ces principes, et j'y serai particulièrement attentive.

Ensuite, pour ce qui est du temps partiel, le projet de loi sanctuarise la durée minimale de 24 heures hebdomadaire pour les salariés à temps partiel sauf accord de branche, comme aujourd'hui. J'insiste sur le fait que rien n'est changé à l'équilibre de la loi sur la sécurisation de l'emploi.

De même, pour ce qui est des délais de prévenance ou du taux de majoration des heures complémentaires, nous sommes totalement à droit constant. Dans le cadre de la concertation avec les partenaires sociaux, il y a eu des demandes de réécriture visant à ce que l'on puisse déroger aux accords sur le temps partiel, mais nous n'avons rien modifié.

En ce qui concerne l'obligation de négocier sur l'égalité professionnelle, qui est, je le sais, un outil puissant en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes, la loi clarifie aussi les choses. En effet, suite aux remarques faites par le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP), j'ai souhaité qu'il soit précisé dans la saisine rectificative envoyée au Conseil d'État que, lorsque la négociation sur l'égalité entre les femmes et les hommes devient triennale et qu'aucun accord n'est conclu sur ce sujet, l'obligation d'élaborer tous les ans un plan d'action demeure. Il va également de soi que cette loi ne remet pas en cause les pénalités financières prévues en cas de manquements en la matière.

Sur ce point, il n'y a pas de relâchement, bien au contraire. Les services de mon ministère sont plus que jamais mobilisés pour que la législation soit appliquée, et je me suis engagée devant vous à ce que soit effectuée, si vous le souhaitez, une évaluation précise de la situation. À ce jour, 83 % des entreprises de plus de 1 000 salariés sont couvertes par un accord ou un plan d'action. Nous devons encore progresser, mais il faut aussi rappeler ces chiffres, qui montrent que les choses changent sur le terrain grâce à l'action du Gouvernement, mais aussi et surtout du fait d'une mobilisation croissante de l'ensemble des acteurs concernés, notamment les petites entreprises. Nous devons, au moyen de la formation des partenaires sociaux et en nous appuyant sur l'Union professionnelle artisanale (UPA), veiller à ce qu'un plus grand nombre de petites entreprises bénéficient de l'action de formation.

Enfin et toujours pour préciser les choses, j'ai souhaité indiquer dans la saisine rectificative envoyée au Conseil d'État que, s'agissant des congés pour événements familiaux – mariages, naissances, décès –, qui sont des congés payés essentiels pour tous, l'accord ne pourrait pas descendre en dessous des durées aujourd'hui prévues par la loi. Cette disposition n'est pas tout à fait dans l'esprit du rapport de Jean-Denis Combrexelle, mais nous avons prévu ces dispositions, et il m'a paru nécessaire d'harmoniser vers le haut les congés pour décès car, dans les moments les plus douloureux de la vie, le tri qu'opère aujourd'hui le code du travail ne me semble pas acceptable.

Au-delà des acquis que le projet de loi sanctuarise, ce projet comporte des avancées importantes qui profiteront aux femmes. Je pense bien sûr en premier lieu au compte personnel d'activité (CPA), conçu pour tenir compte du monde du travail tel qu'il est aujourd'hui. Chacun sait que l'on n'entre plus dans une entreprise à dix-huit ans pour en ressortir à l'âge de la retraite, et que la vie professionnelle est faite de ruptures et de changements de statut – de salarié, on devient auto-entrepreneur, ou l'inverse –, d'une alternance de périodes d'activité et de chômage. Dans ce contexte, il m'a semblé important de permettre à tous les actifs – hommes, femmes, salariés ou à la recherche d'un emploi, indépendants ou entrepreneurs – de bénéficier des mêmes droits et des mêmes protections, indépendamment de leur statut. C'est une avancée sociale majeure et qui bénéficiera en particulier aux femmes, qui présentent des parcours professionnels plus accidentés et qui sont, plus souvent que les hommes, en situation de précarité. Avec le CPA, nous avons décidé d'abonder le compte des salariés les moins qualifiés – qui se trouvent être surtout des femmes – en faisant passer leurs droits à la formation de 24 à 40 heures par an.

Le plan « 500 000 actions de formation supplémentaires » prévu pour les demandeurs d'emploi en 2016 bénéficiera également en grande partie aux femmes, ainsi que la Garantie Jeunes. Enfin, pour aider les femmes à accéder à certains métiers, ce qui leur est parfois difficile, j'ai demandé que le label de qualité de la Grande École du numérique prévoie le recrutement d'au moins 30 % de femmes.

Je pense aussi au droit à la déconnexion, qui permet de mieux tracer la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle à l'heure du numérique. Le dispositif innovant proposé par le Gouvernement souligne sa volonté de préserver la vie en dehors du travail, pour les femmes comme pour les hommes, et constitue une avancée majeure qui devra faire l'objet de négociations au sein des entreprises.

Enfin, les dispositions en faveur du télétravail permettront de mieux prendre en compte certaines nouvelles modalités de travail et apporteront plus de souplesse aux salariés, tout en préservant la dimension collective du travail, qui me semble importante.

Cette politique bénéficiera à toutes les personnes éloignées des emplois stables, donc aux femmes. Je ne suis pas la seule à le dire : ce que nous souhaitons en apportant plus de clarté et de visibilité aux chefs d'entreprise – notamment de petites et moyennes entreprises (PME) et de très petites entreprises (TPE) –, c'est encourager l'emploi durable, notamment en CDI, car à l'heure actuelle, neuf embauches sur dix se font en CDD.

Même si tous les économistes ne sont pas d'accord, certains parmi les plus réputés – Jean Tirole, prix Nobel d'économie, et Philippe Aghion, pour ne citer qu'eux – ont souligné que le fait de donner de la visibilité aux chefs d'entreprise sur la rupture des contrats, en particulier des CDI, avait pour effet d'encourager l'emploi durable, ce dont les personnes les moins qualifiées, les jeunes et les femmes, c'est-à-dire ceux qui se trouvent souvent durablement exclus du monde du travail, et ne font que collectionner les CDD courts – nous sommes le deuxième pays de l'Union européenne utilisateur de CDD de moins d'un mois – doivent bénéficier. En février dernier, on a assisté à la bascule en catégorie A de nombreuses personnes inscrites à Pôle Emploi et appartenant à la catégorie C – les personnes ayant exercé une activité réduite longue, c'est-à-dire de plus de 78 heures au cours du mois.

Voici, mesdames et messieurs les députés, ce que je souhaitais préciser devant vous aujourd'hui. Je pense que notre échange sera également l'occasion de vous faire part des autres actions portées par mon ministère en faveur de la mixité des métiers, notamment dans le cadre de l'Euro 2016, où je souhaite féminiser le corps de la sécurité, et dans le domaine du numérique.

C'est en ne cédant rien sur les droits fondamentaux et, au contraire, en créant de nouveaux droits et protections, que nous voulons apporter la souplesse qui permettra à notre économie d'être plus dynamique et plus créatrice d'emplois durables.

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