Intervention de Pierre Ferracci

Réunion du 23 mars 2016 à 16h00
Mission d'information relative au paritarisme

Pierre Ferracci, président du Groupe Alpha :

Nous pourrions d'ailleurs discuter aussi du paritarisme hors entreprise, car il est en crise et nécessiterait d'être abordé de façon positive. Mais commençons par la négociation en entreprise, qui a suscité de nombreux débats à la faveur du projet de loi qui va être présenté au Parlement, à la suite des travaux auxquels j'ai participé avec la commission Combrexelle. Au passage, je précise que lorsqu'on parle du rapport Combrexelle, il s'agit en fait du rapport de Jean-Denis Combrexelle, appuyé par une commission, même si tout le monde s'est globalement retrouvé dans ses conclusions et dans son diagnostic.

J'ai toujours été favorable à la négociation d'entreprise – c'est un peu la conséquence naturelle de la loi d'août 2008 et de la position commune adoptée à l'époque par la CFDT, la CGT, le MEDEF et la CGPME – mais encore faut-il en définir les conditions. Plutôt que de parler de dialogue, je préfère me focaliser sur les enjeux de la négociation, débouché naturel d'un dialogue constructif.

Pour qu'une négociation soit réussie, il faut que le rapport de forces soit équilibré dans l'entreprise, ce qui est loin d'être garanti compte tenu de la faiblesse et de la division du syndicalisme français. Dans notre pays, le taux de syndicalisation est l'un des plus faibles d'Europe. Pour se rassurer, on dit que la représentativité se mesure aussi lors des élections professionnelles : la participation y est loin d'être négligeable et elle supporte la comparaison avec le terrain politique car, très souvent, son taux dépasse largement 50 % des salariés. La division syndicale est d'ailleurs tout aussi préoccupante que le faible taux de syndiqués puisqu'il y a cinq organisations représentatives, et même huit quand on élargit le spectre à l'UNSA, la FSU et SUD qui, à des degrés divers, participent aussi à ces échanges et à ces négociations. Cela fait beaucoup.

D'aucuns estiment qu'il y a trop de lois. Lors des travaux de la commission Combrexelle, j'ai défendu l'idée que le passage de cette situation à un système de relations du travail fondé sur la négociation d'entreprise devait se faire par un sas important : la négociation de branche qui est, à juste titre, mise en exergue dans le rapport de M. Jean-Denis Combrexelle. Beaucoup de rapports – sans doute trop – ont été produits au cours de la même période, avant que le législateur et le pouvoir politique ne s'emparent vraiment du sujet. Comparé à d'autres, celui de M. Jean-Denis Combrexelle pose assez correctement la question de la hiérarchie des normes. Je le trouve plus équilibré que les rapports de l'Institut Montaigne et de Terra Nova, qui mettaient en cause cette hiérarchie.

Le problème est moins de savoir si la loi s'applique à tous les salariés ou à tous les actifs que de savoir ce qu'elle contient. Il faut que le débat soit clair sur ce point, aussi bien pour les partenaires sociaux que pour les parlementaires et le pouvoir politique. Le rapport de M. Jean-Denis Combrexelle a un deuxième avantage : il insiste beaucoup sur les conditions qui permettront de développer la négociation en entreprise. Parmi les conditions préalables, il évoque le renforcement de l'équilibre du rapport de forces, particulièrement dans les très petites entreprises (TPE) et dans les petites et moyennes entreprises (PME). En essayant de développer la négociation en entreprise, il ne faut pas que nous développions surtout la liberté du dirigeant de faire ce qu'il veut. Je crois à la négociation qui implique un équilibre des forces entre les deux parties.

Puisque votre commission s'intéresse aussi à la répartition des rôles entre l'État, les régions et les partenaires sociaux, j'aimerais insister sur la grande confusion qui règne en la matière dans notre pays. Que doivent faire le pouvoir politique et la démocratie politique ? Que doivent faire les partenaires sociaux et la démocratie sociale ? Si l'on regarde l'évolution du paritarisme au-delà de l'entreprise, on s'aperçoit qu'il est un peu malade. À cet égard, les quinquennats se suivent et se ressemblent : le débat sur l'équilibre à trouver entre démocratie sociale et démocratie politique est depuis longtemps confus et il n'est jamais mené à son terme.

Le fonctionnement du paritarisme aujourd'hui montre qu'une confusion similaire existe dans les organismes paritaires, quant aux compétences respectives de l'État et des partenaires sociaux et quant aux nouveaux équilibres entre l'État et les régions associés aux enjeux de la décentralisation. L'Unédic, la formation professionnelle et Pôle emploi en sont de bons exemples. L'Unédic est un organisme paritaire. Pôle emploi est un service public, dont le directeur général est nommé par l'État en conseil des ministres, mais les partenaires sociaux sont majoritaires au sein de son conseil d'administration. Quitte à me fâcher un peu avec mes amis syndicalistes, j'avoue que cette dernière caractéristique a toujours été un grand mystère pour moi. J'en connais la genèse : lors de la fusion des Assédic et de l'ANPE, comme l'assurance chômage était gérée de manière paritaire, on s'est dit qu'il fallait que les partenaires sociaux soient majoritaires dans Pôle emploi pour que les choses se passent bien. Résultat : la gouvernance est compliquée et confuse. D'abord, le conseil d'administration – en tout cas sa majorité – ne désigne pas le directeur général. Ensuite, sur des enjeux comme celui de la formation professionnelle, il y a un débat de fond sur le rôle respectif de l'État, des régions et des partenaires sociaux au travers de Pôle emploi pour les uns ou de l'Unédic pour les autres.

Cette confusion nuit à l'efficacité, ce qui est dommage en période de crise et de chômage élevé. Les régions jouent un rôle prépondérant dans le domaine de la formation professionnelle – en tout cas celle des jeunes et des demandeurs d'emploi – et de l'orientation depuis le développement des services régionaux d'orientation. En revanche, l'accompagnement dans la recherche d'emploi est un service public national qui n'a d'ailleurs pas toujours été aussi déconcentré qu'il l'aurait fallu. Du coup, les partenaires sociaux contestent. Lors de l'annonce du plan de formation de 500 000 chômeurs, la CFDT a déclaré qu'elle ne souhaitait pas que Pôle emploi soit régionalisé. Est-ce que ça veut dire déconcentré ou décentralisé ? À mon avis, la CFDT voulait dire qu'elle ne souhaitait pas que les régions prennent la main. Dans le même temps, elle rappelait que les partenaires sociaux, par l'intermédiaire de l'Unédic, financent l'essentiel du budget de Pôle emploi.

Il serait temps de mettre un peu d'ordre dans tout cela, au profit du demandeur d'emploi qui a besoin que l'on s'occupe de trois choses pour lui : de son orientation – où doit-il aller ? quels sont les métiers en tension ? ; de son accompagnement dans la recherche d'un emploi ; de sa formation. Parfois, il faut aussi lever certains obstacles à la mobilité, liés au conjoint ou au logement.

Pôle emploi s'occupe d'accompagnement, mais aussi un peu de formation et d'orientation. Les régions, qui s'occupent de formation et d'orientation, ont la tentation de s'occuper un peu d'accompagnement. Celles qui ont cette tentation sont aussi bien de droite que de gauche, et elles reprochent à Pôle emploi de n'être pas assez efficace. Je ne sais pas si l'on en viendra à commenter les chiffres du chômage région par région, tous les mois, comme on commente le niveau du chômage national. Au milieu de tout cela, vous avez les partenaires sociaux qui sont majoritaires dans Pôle emploi, un service public, et majoritaires dans l'Unédic, une structure paritaire qui doit faire appel au financement de l'État depuis quelques années – tous les demandeurs d'emploi ne sont toujours pas indemnisés, mais on a peu à peu élargi le champ de l'indemnisation. Il serait donc temps de mettre un peu d'ordre dans le paritarisme et, plus globalement, dans le fonctionnement des services publics.

Au-delà de tout cela, un autre enjeu se dessine dans l'évolution récente de l'Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA). Voilà encore une structure, où les régions sont présentes, dont la gouvernance est un peu impossible. Heureusement que l'État est intervenu dernièrement pour éviter la crise et le dépôt de bilan de l'AFPA. Quand on met toutes les parties autour de la table sans vraiment désigner de pilote, on rend les structures globalement inefficaces.

Nous en revenons au rapport entre la branche, l'entreprise et la loi. Plutôt que d'avoir un débat un peu surréaliste sur l'inversion de la hiérarchie des normes, nous devrions plutôt discuter de ce qu'il faut mettre aux différents niveaux. En matière de temps de travail, faut-il mettre un minimum ou un maximum légal dans la loi ? Faut-il laisser la priorité aux branches ? Je suis favorable à ce que l'on aille vers la négociation d'entreprise, mais à condition que l'on s'en donne les moyens. À ce stade, un basculement trop rapide serait dangereux, et pas seulement dans les TPE et les PME. Même en Allemagne, la négociation de branche structure encore beaucoup de choses, y compris dans les grandes entreprises et y compris en termes de politique salariale, malgré les effets des lois Hartz. Il faut trouver cet équilibre, ce qui n'est pas facile.

En France, la confusion naît aussi de l'existence d'un nombre invraisemblable de branches – dans la plupart d'entre elles, il n'y a d'ailleurs pas de dialogue et de négociations. Il y a deux ans, le Premier ministre avait évoqué l'idée de passer à une centaine de branches – sachant qu'il n'y en a qu'une cinquantaine en Allemagne – mais nous en sommes encore loin et le nettoyage n'est pas aisé.

En matière d'équilibre des forces dans l'entreprise, on donne souvent l'Allemagne en exemple, en ayant parfois des idées fausses. Dans la commission Combrexelle, nous nous étions amusés à jouer aux devinettes et nous avions réalisé que beaucoup de membres de la commission pensaient que le taux de syndiqués se situait entre 40 % et 50 % en Allemagne, alors qu'il est de l'ordre de 15 %, c'est-à-dire proche du taux français. Cela tient probablement – ce qui doit nous faire réfléchir quand nous évoquons ces questions-là et les enjeux de négociations – à l'élargissement du bénéfice des conventions collectives pour les salariés. Quand les conventions collectives couvrent un nombre croissant de salariés, comme c'est le cas en Allemagne depuis quelques années, le taux de syndicalisation baisse.

Le constat est clair même si le lien de cause à effet reste à étayer. Alors que nous assistons à un développement de l'individualisme dans toutes nos sociétés, en France comme dans les autres pays européens, le phénomène s'explique : si le fait de se syndiquer n'ouvre pas de droits supplémentaires, on éprouve un peu moins le besoin de se syndiquer. Dans certains pays, en Europe du nord et en Belgique, où l'adhésion à un syndicat donne accès à certaines prestations, le taux de syndicalisation est forcément très élevé. Il faut avoir ce phénomène en tête lorsque l'on réfléchit à la question du rapport de forces dans l'entreprise. Le faible taux de syndicalisation ne doit pas être pris comme une donnée absolue, il doit être mis en relation avec l'importance des conventions collectives qui couvrent 97 % ou 98 % des salariés français.

Cela étant, dans une tribune que j'avais écrite pour Les Échos à la fin des travaux de la commission Combrexelle, je concluais à l'urgente nécessité de réduire le nombre des organisations syndicales. On peut toujours parler de culture française et se rassurer en prétendant qu'avoir huit syndicats est une richesse et un signe de pluralisme. Pour moi, cette division est un véritable frein à la maîtrise du paritarisme – quand il n'est pas déjà suffisamment « amoché » dans certaines structures paritaires – et à l'équilibre des forces dans l'entreprise. Il serait inopportun de chercher à n'avoir qu'une seule confédération comme en Allemagne, dans les pays de l'Europe du Nord ou même la Grande-Bretagne. Mais rapprochons-nous au moins du modèle de pays latins tels que l'Espagne ou l'Italie où il n'y a que deux ou trois syndicats. Aller vers trois ou quatre organisations, ce serait déjà un effort significatif. Le patronat n'est pas non plus un corps tout à fait homogène, comme nous avons pu le constater ces derniers temps, ce qui créé des difficultés supplémentaires.

Il faut tenir compte de tout cela pour faire évoluer les choses. Il faut y aller gaillardement, car je pense que personne ne niera qu'il faut se situer un peu plus souvent au niveau de l'entreprise pour négocier certains enjeux pour les salariés et pour prendre en compte les problèmes de compétitivité. Pour autant, il faut que la négociation ait un sens et qu'elle puisse se faire de façon équilibrée.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion