Intervention de Jean-Marc Germain

Réunion du 23 mars 2016 à 16h00
Mission d'information relative au paritarisme

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Marc Germain, rapporteur :

Tout d'abord, je ferai une remarque sur ce que vous avez dit des négociations de branche et d'entreprise. Comme vous, je pense que ce débat sur la hiérarchie des normes est un peu théorique : c'est à la loi de définir les domaines respectifs de la branche et de l'entreprise. La notion d'accord plus favorable au salarié est d'ailleurs difficile appréhender dès lors qu'il y a plus d'un sujet de négociation couvert par ledit accord.

Cela étant, certains principes défendus dans le rapport Combrexelle me heurtent. L'idée qu'un accord majoritaire puisse s'imposer aux contrats de travail me paraît dangereuse, même si c'est déjà le cas dans notre droit positif. Elle conduit à retirer aux salariés qui refusent l'accord le droit – qui existe aujourd'hui – d'avoir des protections collectives telles que le licenciement économique qui prévoit des mesures de reclassement et de réinsertion. L'idée qu'une personne ne puisse pas s'opposer à l'intérêt général de l'entreprise peut paraître séduisante. En réalité, les modifications envisagées réduisent les droits des salariés en partant d'un postulat faux dans 99 % des cas : le salarié refuserait l'accord pour empêcher le bon fonctionnement de l'entreprise. Or le refus d'un salarié s'explique plutôt par des raisons concrètes : il ne peut pas aller travailler à 200 kilomètres de son domicile, un logement social qu'il a mis quinze ans à obtenir et qu'il ne retrouverait pas ailleurs, ou pour des raisons familiales. L'entreprise peut avoir la possibilité de le reclasser dans d'autres postes compatibles avec ces contraintes-là. Ce droit doit être préservé. On peut comprendre les principes mais, dès que l'on sort des généralités, on se heurte à des obstacles très concrets. C'est ce qui fait l'intérêt du débat.

Vous avez insisté, à juste titre, sur la nécessité d'avoir un rapport de forces équilibré. Vous avez abordé le sujet sous l'angle de la division syndicale. Il faut aussi l'envisager au regard de la situation très dégradée du marché du travail : beaucoup de négociations, et vous en savez quelque chose compte tenu de vos activités professionnelles, se font le pistolet sur la tempe, pour reprendre une expression imagée même si je ne l'aime pas beaucoup, c'est-à-dire qu'elles sont très déséquilibrées.

J'en viens à ma première question. D'une manière générale, ces débats me semblent dépassés ou en voie de l'être, en raison des transformations profondes de l'économie : les enjeux sont désormais beaucoup plus interprofessionnels que professionnels, les grands collectifs d'entreprise perdent de leur importance alors que toutes ces dispositions sont conçues pour eux. Les entreprises et leurs structures évoluant de façon très rapide, il faut des règles communes, qu'elles soient interprofessionnelles ou inscrites dans le code du travail. Pour ne pas avoir à faire des codes du travail par branche ou des accords collectifs de branches ou d'entreprise, il faudrait essayer de retrouver des règles communes permettant à la fois aux entreprises de fonctionner et aux salariés d'être protégés. Qu'en pensez-vous ?

Quant à ma deuxième question, évoquée par le président, elle sert de fil rouge à nos travaux sur le paritarisme : ne faut-il pas, comme objectif de long terme ou comme idéal, repenser totalement le système autour des personnes et non plus autour des risques ou des assurances ? Nous avons l'assurance revenu, la formation professionnelle, la retraite, les possibilités d'aménager son temps de travail tout au long de la vie, les complémentaires santé, etc. Ne faudrait-il pas réfléchir à une unification du système autour d'une sécurité sociale professionnelle, dont il faudrait définir les modalités de gestion, et de son pendant qui serait un service public de l'accompagnement des parcours ? J'ai souvent défendu cette idée à la faveur des discussions sur un certain nombre de textes. Je reconnais qu'il peut sembler un peu décalé, compte tenu des difficultés de Pôle emploi, d'imaginer la création d'un Pôle emploi formation qui gérerait à la fois les situations de chômage et de formation en entreprise, et donc la progression du salarié tout au long de son parcours professionnel. À votre avis, ce modèle peut-il servir de guide à la réflexion ?

Ma dernière question part d'un constat que nous avons pu faire au cours de nos auditions : les organismes strictement paritaires – avec des employeurs d'un côté, des syndicats de salariés de l'autre, et des présidences tournantes – sont plutôt bien gérés. Les comptes sont peu ou prou équilibrés. Après de longues phases de chômage, l'assurance chômage est certes en déficit, mais des solutions sont trouvées pour rééquilibrer les comptes. On sent que ces organismes purement paritaires sont capables de prendre en compte des situations réelles, de prendre à bras le corps leurs difficultés et d'avoir des processus de décision plutôt efficaces. Le strict paritarisme peut donc aller de pair avec une gestion efficace.

Reste que le rôle de l'État et des régions change en fonction des évolutions du marché du travail. Les régions sont devenues un acteur dominant ; l'État, qui défend l'intérêt général, est prégnant quand il s'agit de protection de la santé ou de revenus d'existence. Cela pourrait pousser à aller vers un système tripartite ou quadripartite qui aurait peut-être plus de légitimité. Or, il est difficile de prendre des décisions ou de définir des rapports de forces quand on est quatre autour d'une table. Dans ces conditions, ne faudrait-il pas imaginer un modèle de type paritaire pour ce qui est du processus de décision, mais en prévoyant un système d'agrément de l'État ou des régions, afin de concilier efficacité et légitimité ?

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