C'est possible, mais Laurent Berger sait bien que la démocratie sociale et le paritarisme sont, eux aussi, malades – la CFDT fait d'ailleurs une analyse assez lucide de l'état du paritarisme. En tout cas, je suis partisan de jouer la carte de la démocratie sociale plutôt que de mettre en cause les organisations syndicales et patronales et, plus largement, les corps intermédiaires.
Ces corps intermédiaires, y compris ceux avec lesquels je travaille régulièrement, peuvent être un peu agaçants, car ils sont conservateurs et ont peur du changement. Selon moi, il faut bouger face aux enjeux de mobilité. La mobilité peut être vécue de façon positive : c'est aussi l'élévation des compétences et des qualifications. Les jeunes ne sont pas désespérés quand on leur demande de changer de métier ; ils veulent simplement être accompagnés et rémunérés. À entendre certains, on a l'impression que toute forme de mobilité relève de la perversion, qu'elle est nécessairement synonyme de restructurations et de licenciements. Or l'absence de mobilité peut aussi signifier que l'on va rester longtemps au chômage. Du reste, on n'échappera pas à la mobilité. L'économie fonctionne aujourd'hui de manière beaucoup plus brutale et radicale. On voit venir certains changements, mais d'autres pas du tout : certains grands groupes ont connu une chute brutale, par exemple Nokia.
S'agissant des taxis, auxquels vous avez fait allusion, monsieur le président, il se trouve que j'ai fait partie de la commission Attali il y a quelques années. Nous aurions mieux fait d'écouter les propositions de cette commission, auxquelles j'adhérais globalement. Nous sommes d'ailleurs en train d'y venir, avec un rôle régulateur pour l'État. Les taxis ont défendu maladroitement leur rente. J'exerce moi-même une profession réglementée pour une partie de mes activités, et je vois bien que la tentation est souvent d'élever des barrières plutôt que de reconnaître que d'autres peuvent fournir une prestation de qualité équivalente. Cela dit, il ne faut pas non plus que la concurrence soit totalement débridée et déloyale. En l'espèce, on savait très bien qu'il y avait un problème de qualité de la prestation, mais aussi de prix par rapport à d'autres pays, et on aurait sans doute pu réguler les choses autrement. Aujourd'hui, je crains que la régulation ne soit brutale et radicale pour les taxis, qu'ils aient un peu de mal à s'y adapter.
Je reviens à votre question, monsieur le président. Je n'aime pas faire systématiquement référence aux modèles étrangers ou aux modèles politiques – pour ma part, je ne suis pas social-démocrate. En tout cas, je préfère un État fort et interventionniste, mais qui agit dans un périmètre clair – ainsi que je l'ai indiqué tout à l'heure à propos du paritarisme, il faut redéfinir le rôle de l'État – et dont l'action est incontestable aux yeux de nos concitoyens, à un État qui intervient un peu partout sans se donner les moyens d'être efficace. Les questions d'emploi et de formation sont un bon exemple : c'est un terrain sur lequel l'État devrait soit s'engager davantage et prendre véritablement le leadership – ainsi que l'évoquait M. le rapporteur tout à l'heure –, soit se retirer et laisser la place aux régions et aux partenaires sociaux.
Il n'y a rien de pire que de nager entre deux eaux ou de croire que l'on est plus intelligent que les autres et que l'on va inventer un système qui prendra le meilleur de chacun des deux modèles, anglo-saxon et scandinave. De temps en temps, il faut choisir, même si choisir, c'est renoncer. Ces modèles ont, l'un et l'autre, leur cohérence, et débouchent sur des solutions qui peuvent paraître satisfaisantes ou intéressantes en matière d'emploi. Cependant, le prix à payer n'est pas tout à fait le même : le chemin qui permet d'atteindre ces objectifs est sans doute moins difficile pour les salariés et, parfois, pour les entreprises dans un modèle que dans l'autre. Mais c'est un autre débat.