Je vais d'abord répondre aux questions sur la croissance et notamment à celle que vous avez soulevée, monsieur le président, à propos de la croissance potentielle. Que ce soit par le Haut Conseil des finances publiques, la Commission européenne ou nous-mêmes, ce sujet doit être abordé avec beaucoup de modestie parce que le débat académique n'est absolument pas stabilisé. Si consensus il y a, il se fait plutôt autour de l'idée que personne ne sait vraiment intégrer certains facteurs – en particulier l'impact du numérique et de l'économie collaborative – dans la croissance potentielle de nos économies. Nous sommes face à une sorte de nouveau paradoxe de Solow. Nous devons donc rester très prudents et préciser que nos calculs ont un caractère très conventionnel. L'économie collaborative fait sortir beaucoup de notre richesse du PIB, mais elle crée aussi de l'emploi, des transferts de valeur. La modestie s'applique à nos propres prévisions.
Le Haut Conseil des finances publiques s'est appuyé sur un débat récurrent entre la Commission européenne et nos services. Ce débat, qui relève de la casuistique, a connu une parenthèse éphémère l'année dernière quand nous nous étions alignés sur les positions de la Commission qui avait elle-même fait un pas vers nous. Rappelons que, l'an dernier, la Commission avait évalué la croissance potentielle à 1,3 % pour 2016. Le point de divergence est toujours le même : elle ne prend pas en compte les mesures nouvelles que nous avions intégrées en estimant leur effet à 0,2 %. Revenant sur l'accord méthodologique que nous avions obtenu, la Commission a refait un calcul décalé de 0,2 %. C'est ce qui explique l'écart de 0,4 % qui existe en 2016 entre ses chiffres et les nôtres : 0,2 % de révision méthodologique et 0,2 % de mesures non prises en compte par la Commission. Nous allons vivre avec cet écart dans l'évaluation de la croissance potentielle : 1,1 % contre 1,5 % pour 2016 ; 1,2 % contre 1,5 % pour 2017.
Monsieur Caresche, vous nous avez interrogés sur la contribution des stocks à la croissance, dont l'INSEE a publié le chiffre pour 2015. L'essentiel de la contribution des stocks à la croissance en 2016 vient d'un effet d'acquis, c'est-à-dire de l'élan pris à la fin de l'année 2015. Comme l'ont souligné M. Alauzet et Mme Louwagie, le FMI a une approche particulièrement pessimiste, sachant qu'il est toujours plus pessimiste que d'autres institutions chargées de la prévision qui, elles, sont traditionnellement optimistes. Quoi qu'il en soit, tout cela montre que nous devons être extrêmement prudents.
Monsieur le président, vous m'avez aussi posé une question sur les mesures prises en faveur des jeunes. Pour clarifier les choses, j'indique qu'il n'y a pas de RSA pour les moins de vingt-cinq ans dans les mesures annoncées. Nous prévoyons une garantie jeunes qui n'est pas une mesure d'assistance car elle suppose un engagement actif dans un parcours - formation ou stage – et qui est ciblée. Pour 2017, le coût de cette mesure est évalué à 200 millions d'euros. Quant aux mesures jeunes, qui prolongent les bourses pendant quatre mois afin de favoriser le retour à l'emploi, elles sont conditionnées et limitées. Leur coût est estimé à 100 millions d'euros en 2017. Les deux mesures représentent donc un montant annuel de 300 millions d'euros. Elles sont conditionnées à des obligations de formation et, en particulier la première, visent le public des jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation, une catégorie que la Commission européenne désigne sous le terme de NEET (not in employment, education or training). S'il s'agissait d'un RSA jeunes, les masses financières n'auraient rien à voir avec les 300 millions d'euros prévus pour 2017.
La question qui nous est posée – et qui dépasse très largement notre débat du jour – est celle-ci : compte tenu des changements économiques et sociaux en cours, comment pouvons-nous repenser nos politiques d'entrée et d'évolution dans l'emploi ? La réforme de la formation professionnelle n'est qu'une partie de la réponse. Dans une économie de rupture, l'entrée dans l'emploi et le changement de parcours d'une entreprise à l'autre ou d'un secteur à l'autre sont de plus en plus difficiles pour les jeunes, en particulier pour ceux qui sont peu qualifiés. Il faut privilégier cette approche plutôt que de se focaliser sur le ciblage d'un public ou le coût d'une mesure. Quoi qu'il en soit, j'y insiste, les mesures annoncées ne relèvent pas d'une politique de l'assistance ; elles constituent un filet de sécurité dans un ensemble qui est actuellement imparfait, compte tenu des difficultés de l'entrée sur le marché du travail et des politiques de formation ou d'accompagnement.
Votre approche de la généralisation du tiers payant est un peu biaisée. On peut penser que la mesure aura un impact sur la trésorerie. Pour autant, posera-t-elle un problème structurel en contribuant à décaler nos dépenses de santé en général ? Je ne le crois pas, et d'autant moins quand je compare avec des pays comme les États-Unis qui ont des mécanismes plus forts en matière d'incitation ou de contrôle des individus. Aux États-Unis, le ratio des dépenses de santé rapportées au PIB est l'un des plus élevé au monde, et le système de santé est le plus inefficient. La généralisation du tiers payant permet l'accès aux soins, ce qui est bénéfique pour la croissance potentielle à long terme, mais elle a un effet sur la trésorerie à court terme. D'un point de vue structurel, cette mesure est loin d'être négative : son caractère inclusif est bon pour notre croissance potentielle.
La revalorisation du point d'indice dans la fonction publique n'est pas une mesure structurelle. Quand on compare la trajectoire – hors mesures catégorielles – des fonctionnaires avec celle des autres actifs, on constate qu'un effort leur a été demandé au cours des dernières années par deux majorités successives. Il n'était pas illégitime de revoir le niveau du point. Si réforme structurelle de la fonction publique il doit y avoir, elle doit porter sur les missions, les périmètres, etc. En revanche, la revalorisation du point d'indice est une mesure conjoncturelle qui ne me paraît pas illégitime.
Madame Auroi, vous avez soulevé le sujet de l'investissement pour lequel deux actions sont en cours : le plan Juncker, qui représente 315 milliards d'euros pour l'ensemble des pays de l'Union européenne ; la nouvelle génération de programmes d'investissements d'avenir (PIA). Rappelons que le PIA a des composantes d'avances remboursables, de subventions ou de dotations, avec une partie maastrichtienne et l'autre non, alors que l'essentiel du plan Juncker est constitué de financements du type prêts à long terme. La part en fonds propres du plan s'élève à 21 milliards d'euros, et c'est l'effet de levier public et privé qui permet d'atteindre 315 milliards d'euros. La France est le premier pays bénéficiaire du plan avec 28 projets approuvés pour un montant de 11,3 milliards d'euros d'investissements, principalement dans les domaines du très haut débit et des énergies renouvelables.