Intervention de Harlem Désir

Réunion du 29 mars 2016 à 8h30
Commission des affaires européennes

Harlem Désir, secrétaire d'état aux affaires européennes :

Je tiens à mon tour à vous remercier d'avoir bien voulu accepter de décaler cette audition. Il est important que des échanges constructifs puissent avoir lieu entre le Gouvernement et les parlementaires sur l'actualité européenne. Les événements tragiques des attentats de Bruxelles constituent une menace pour l'idéal européen car c'était à l'évidence la construction européenne qui était visée en portant la violence au coeur même du quartier des institutions européennes. Face à cette menace, notre réponse n'est pas assez européenne comme le montrent les réticences du Parlement européen à adopter définitivement le PNR. Toutes les garanties ont été apportées en matière de protection des données suite à l'accord politique lors du trilogue du 18 décembre 2015 sur règlement général sur la protection des données, il faut donc aller de l'avant et mettre en oeuvre le PNR.

À plusieurs reprises, les Conseil JAI ont réaffirmé l'urgence à utiliser pleinement les outils existants pour garantir un niveau optimal de sécurité et se prémunir contre les attaques terroristes. Les États membres doivent résolument s'engager à alimenter les différents fichiers comme celui des données SIS pour l'espace Schengen ou les bases de données d'Europol ou encore à enrichir le système ECRIS où figurent les casiers judiciaires. Nous devons faire des progrès décisifs pour parvenir à un contrôle effectif des frontières extérieures communes en instaurant par exemple des contrôles systématiques sur les ressortissants Européens à leur entrée dans le territoire européen. Une autre étape en matière de sécurité sera l'adoption d'ici juin 2016, de la directive sur l'acquisition et la détention d'armes à feu.

L'Union européenne a été prise au dépourvu par les questions de sécurité car sa vocation initiale était plutôt économique avec l'instauration d'un marché unique reposant sur le principe de libre circulation des personnes et des marchandises. Il faut désormais changer d'approche car les questions de sécurité publique deviennent cruciales.

Suite aux attentats de Paris en Janvier 2015, plusieurs initiatives ont été prises pour mobiliser l'Union européenne sur ces questions. La déclaration des membres du Conseil européen du 12 février 2015 a établi une feuille de route pour des actions concrètes et a défini trois priorités : assurer la sécurité des citoyens en utilisant mieux et en étoffant les instruments existants, prévenir la radicalisation et protéger les valeurs de l'Union, coopérer avec les partenaires de l'Union à l'échelon international. Cette approche de court terme a été complétée par l'Agenda européen pour la sécurité 2015-2020, présenté par la Commission européenne le 28 avril 2015, qui place aussi la lutte contre le terrorisme et la radicalisation au coeur de la nouvelle stratégie.

Venons-en à présent au Conseil européen des 17 et 18 mars qui a été largement consacré à la crise migratoire et à la mise au point de l'accord entre l'Union européenne et la Turquie.

Rappelons que cet accord se situe dans le prolongement du plan d'action commun qui a été acté le 29 novembre 2015. Le Gouvernement français est tout à fait conscient des fortes réticences que suscite cet accord au regard des droits fondamentaux et du respect de la Convention de Genève sur le Droit d'asile.

Je voudrais rappeler ici quelle est la logique de cet accord et dans quel environnement il intervient. La route des Balkans est aujourd'hui fermée, plusieurs pays de l'Europe orientale et centrale ayant fermé leur frontière depuis quelques semaines, le point le plus problématique étant Idomenei à la frontière avec la Macédoine où plusieurs dizaines de milliers de migrants sont bloqués. Au cours de l'année 2015, certains pays traditionnellement accueillants vis-à-vis des réfugiés ont revu leur position comme la Suède par exemple ou plus récemment l'Allemagne car l'afflux des migrants créaient des réactions de rejet au sein des populations locales. L'Union européenne était donc confrontée à une crise humanitaire sans précédent certains pays comme la Grèce devant faire face à une situation inextricable dès lors que les migrants qui arrivaient sur son sol se trouvaient contraints d'y rester puisque les autres États voisins ont progressivement fermés leurs frontières .

La première justification de cet accord est de démanteler le modèle économique des passeurs et d'offrir aux migrants une perspective autre que celle de risquer leur vie pour traverser la mer Egée. Cet accord vise à décourager les trafics d'êtres humains et met en place des corridors sécurisés pour arriver en Europe, légalement.

Tous les nouveaux migrants en situation irrégulière qui partent de la Turquie pour gagner les îles grecques à partir du 20 mars 2016 seront renvoyés en Turquie. Cela se fera en totale conformité avec le droit de l'UE et le droit international, excluant ainsi toute forme d'expulsion collective.

Les migrants arrivant dans les îles grecques seront dûment enregistrés et toute demande d'asile sera traitée individuellement par les autorités grecques conformément à la directive sur les procédures d'asile, en coopération avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Les migrants ne demandant pas l'asile, ou dont la demande d'asile a été jugée infondée ou irrecevable conformément à la directive précitée, seront renvoyés en Turquie. La Turquie et la Grèce, avec l'aide des institutions et agences de l'UE, prendront les mesures qui s'imposent et conviendront des arrangements bilatéraux nécessaires, pour assurer le côté opérationnel de cet accord.

Pour chaque Syrien renvoyé en Turquie au départ des îles grecques, un autre Syrien sera réinstallé de la Turquie vers l'UE en tenant compte des critères de vulnérabilité des Nations unies. Un mécanisme sera mis en place, avec le soutien de la Commission, des agences de l'UE et d'autres États membres, ainsi que du HCR, afin de s'assurer de la mise en oeuvre de ce principe à partir du jour même où les retours commenceront. La priorité sera donnée aux migrants qui ne sont pas déjà entrés, ou n'ont pas tenté d'entrer, de manière irrégulière sur le territoire de l'UE. Du côté de l'UE, les réinstallations prévues par ce mécanisme seront, dans un premier temps, mises en oeuvre en honorant les engagements pris par les États membres dans les conclusions des représentants des gouvernements des États membres réunis au sein du Conseil le 20 juillet 2015, 18 000 places de réinstallation étant encore disponibles dans ce contexte. Il sera répondu à tout nouveau besoin de réinstallation au moyen d'un arrangement volontaire similaire, dans la limite de 54 000 personnes supplémentaires, soit au total 72 000 personnes qui seront concernées par ce mécanisme de réinstallation.

Les demandes d'asile se feront désormais à partir de pays tiers, ici en l'occurrence de la Turquie, mais il existe d'autres centres au Liban ou en Jordanie où des mécanismes de réinstallations ont déjà eu lieu grâce à l'intervention du HCR qui est chargé de recueillir les demandes. Désormais, il faut que le message soit clair : avoir recours à un passeur ne permettra plus d'obtenir le droit d'asile. Toutes les demandes seront instruites depuis un pays tiers.

Ce mécanisme de réinstallation devra s'organiser avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et d'autres organismes humanitaires notamment pour définir des priorités d'accueil en tenant compte par exemple des personnes les plus vulnérables .

Cet accord suppose pour être pleinement opérationnel un certain nombre d'aménagements juridiques tant du côté grec que turc, la Grèce devant reconnaître à titre bilatéral que la Turquie est un pays tiers sûr et la Turquie devant modifier ses réserves d'adhésion à la Convention de Genève puisqu'actuellement elle n'accorde de protection qu'aux ressortissants des pays membres du Conseil de l'Europe.

La Grèce devra aussi veiller à adapter ses moyens juridictionnels pour que les déboutés en première instance du droit d'asile puissent faire valoir leur droit de recours dans des délais raisonnables. Les États membres se sont engagés à fournir à la Grèce, à bref délai, les moyens nécessaires, notamment des garde‑frontière, des experts en matière d'asile et des interprètes. Le président de la Commission, Jean-Claude Juncker a estimé à 4 000 le nombre d'experts qui devront être déployés en Grèce.

Très récemment l'Union Européenne a décidé de modifier son programme d'aide humanitaire dit ECHO, qui pourra désormais être utilisé pour soutenir certains États membres confrontés à des graves difficultés comme l'est actuellement la Grèce. Ce sont 700 millions de fonds qui vont être débloqués, 300 millions en 2016 puis le même montant en 2017 et le solde de 200 millions en 2018. A très court terme le centre de réfugiés d'Idomenei va recevoir des contributions en vivres et couvertures pour faire face à des conditions de vie très précaires des réfugiés.

Je comprends les interrogations sur cet accord et je m'inscris en faux contre l'idée que ce serait une sorte de chèque en blanc à la Turquie, l'Union européenne se délestant sur la Turquie de la charge des flux migratoires. Je souligne que les conclusions adoptées à l'issue du Conseil rappellent que l'UE attend de la Turquie qu'elle respecte les normes les plus élevées qui soient en ce qui concerne la démocratie, l'État de droit et le respect des libertés fondamentales, dont la liberté d'expression. Cet accord ne sacrifie en rien les principes fondamentaux de l'Union européenne.

Je tiens par ailleurs à souligner que l'Union européenne poursuit son soutien aux pays limitrophes comme la Jordanie et le Liban qui recevront des moyens financiers et logistiques renforcés pour l'accueil des réfugiés. Mme Federica Mogherini, Haute représentante de l'Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, et vice-présidente de la Commission européenne, lors d'un récent déplacement en Jordanie et au Liban, a témoigné avoir rencontré des réfugiés syriens qui voulaient rester à proximité de leur pays d'origine pour y retourner plus facilement lorsque la situation serait meilleure. Les mauvaises conditions de vie des camps dans les pays du voisinage de la Syrie expliquent en partie l'afflux des réfugiés en Europe ; il est donc primordial de soutenir ces pays de premier accueil pour éviter des déplacements de population.

Enfin, le Conseil européen s'est dit très vigilant quant à d'éventuelles nouvelles routes de migration irrégulière et s'est dit prêt à prendre les mesures qui pourraient se révéler nécessaires à cet égard. Dans ce contexte, il demeure essentiel de lutter contre les passeurs, partout et par tous les moyens appropriés. L'UE se tient prête à soutenir le gouvernement d'entente nationale, en tant que seul gouvernement légitime de la Libye, y compris, à sa demande, pour rétablir la stabilité, lutter contre le terrorisme et gérer les migrations en Méditerranée centrale.

En contrepartie de cet accord, il est prévu que la concrétisation de la feuille de route sur la libéralisation du régime des visas sera accélérée à l'égard de l'ensemble des États membres participants, afin que les obligations en matière de visa pour les citoyens turcs soient levées au plus tard à la fin du mois de juin 2016. Mais il est clairement indiqué aussi que tous les critères de référence doivent être respectés. Or, la liste comprend 72 critères, dont 35 sont actuellement remplis, ce qui place la Turquie devant un défi important.

En ce qui concerne la relance du processus d'adhésion, demande expresse du gouvernement turc en contrepartie de cet accord, la déclaration indique que la prochaine étape sera d'ouvrir le chapitre 33, relatif aux dispositions financières et budgétaires d'ici la fin du mois de juin 2016. La Commission présentera une proposition à cet effet en avril. "Les travaux préparatoires relatifs à l'ouverture d'autres chapitres se poursuivront à un rythme accéléré sans préjudice des positions des États membres conformément aux règles en vigueur", est-il indiqué ensuite dans la déclaration officielle relative à cet accord, une formulation qui a permis d'obtenir un accord unanime du côté de l'UE et a levé par conséquent les réticences exprimées par Chypre en amont du Conseil, car Chypre était opposée à l'ouverture d'autres chapitres. L'objectif de l'Union européenne était en effet d'arriver à un accord avec la Turquie sans risquer de compromettre les négociations interchypriotes.

Je tiens à préciser clairement que deux chapitres pour les négociations préparatoires à l'adhésion ont été ouverts depuis 2012 alors qu'il y en avait eu 13 entre 2007 et 2012. On ne peut donc pas affirmer qu'il y ait une accélération des pourparlers sur l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne mais une simple reprise des discussions. Il s'agit d'une démarche de long terme où les enjeux de sécurité sont très importants.

Autre contrepartie de l'accord, le versement de trois milliards d'euros alloué au titre de la facilité en faveur des réfugiés en Turquie sera accéléré, et il est prévu que cette somme serve à financer des projets en faveur de personnes bénéficiant d'une protection temporaire. La Turquie doit identifier avant la fin mars une première liste de projets concrets en faveur des réfugiés, notamment en ce qui concerne la santé, l'éducation, les infrastructures, l'alimentation et autres frais de subsistance, qui peuvent être rapidement financés à l'aide de la facilité.

Ce n'est qu'une fois que ces ressources seront sur le point d'être intégralement utilisées, et pour autant que les engagements précités soient remplis, que l'UE mobilisera un financement additionnel pour la facilité, à hauteur de trois milliards d'euros supplémentaires jusqu'à la fin de 2018.

En conclusion sur ce point, je dirai qu'il est vital que les engagements des États membres soient respectés pour les programmes de relocalisation et de réinstallation. En contrepartie, la Turquie doit se mobiliser pour mettre un terme aux trafics d'êtres humains et à toute l'économie clandestine qui s'est organisée autour des passeurs. Il faut mettre fin à ce système meurtrier.

J'en arrive maintenant aux questions économiques qui ont été abordées au cours de ce Conseil.

Le Conseil européen a débattu de la situation économique. Dans le cadre du Semestre européen 2016, les dirigeants européens ont approuvé les priorités stratégiques recensées dans l'examen annuel de la croissance à savoir relancer l'investissement, mettre en oeuvre des réformes structurelles pour moderniser nos économies, mener des politiques budgétaires responsables. Mario Draghi, président de la Banque Centrale Européenne a présenté son analyse de la conjoncture économique qui révèle une reprise économique fragile et a fait le point sur sa politique monétaire très vigoureuse.

La France tenait à ce que le Conseil débatte de la question de la sidérurgie européenne, qui est confrontée à une crise de surcapacité et qui doit aussi faire face à la concurrence déloyale de certains concurrents internationaux.

Le Conseil a aussi fait le point sur la crise agricole notamment dans le secteur laitier et de l'élevage porcin.

Il était important que l'Union européenne montre son engagement à mettre en oeuvre les engagements de la Conférence sur le climat. Les dirigeants européens se sont ainsi félicités de la perspective de la signature de l'accord de Paris, le 22 avril à New York, et se sont engagés à accélérer sa ratification pour qu'il puisse rapidement entrer en vigueur.

Le Conseil européen s'est aussi félicité de la présentation par la Commission du paquet sur la sécurité énergétique, qui traduit l'engagement de l'UE à réduire les émissions de gaz à effet de serre sur son territoire, à accroître la part des énergies renouvelables et à améliorer l'efficacité énergétique, l'adaptation de la législation communautaire aux fins de la mise en oeuvre de ce cadre constituant une priorité.

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