Intervention de Harlem Désir

Réunion du 29 mars 2016 à 8h30
Commission des affaires européennes

Harlem Désir, secrétaire d'état aux affaires européennes :

Tout d'abord, la question de Sophia nous renvoie à celle de la route migratoire en Méditerranée centrale et donc à la situation de la Libye. Je remercie d'ailleurs Joaquim Pueyo et Yves Fromion pour leurs témoignages sur la mission qu'ils ont effectuée.

L'opération Sophia, qui est une opération EUNAVFOR Med, est aujourd'hui dans sa phase « 2 a ». L'Union européenne peut donc procéder à des interceptions en haute mer, à la fois pour secourir les personnes, parties de Lybie, qui sont à bord de ces bateaux, et détruire les embarcations et, lorsque cela est possible, arrêter les passeurs et les amener devant la justice. En général, les passeurs ne sont plus sur le bateau : ils ont laissé l'embarcation dériver et déclenché, ou fait déclencher par les migrants qui sont sur le bateau, le signal de détresse au moment où le bateau se trouve en haute mer. C'est la raison pour laquelle il y a beaucoup de naufrages, parce que de telles traversées présentent, à ce stade, de très importants risques. Ensuite, les passagers sont amenés dans des hotspots en Italie.

Pour répondre à la question de Joaquim Pueyo, je crois qu'il y a cinq hotspots qui fonctionnent en Grèce. En Italie, il y a le hotspot de Lampedusa et la plupart de ceux prévus en Sicile fonctionnent également. Ces centres ont vocation à enregistrer les personnes qui sont arrivées – parmi elles, beaucoup ont été sauvées par l'opération Sophia – et faire la distinction entre celles qui auront l'opportunité de bénéficier de la protection internationale associée au droit d'asile en Europe et celles qui ne relèvent pas du droit d'asile, qui sont des migrants irréguliers et économiques et qui devront faire l'objet de procédures de reconduite dans leurs pays d'origine.

Dans une certaine mesure - Yves Fromion a raison -, nous sommes confrontés à des difficultés similaires à celles que nous avons connues en mer Egée. Cette opération, qui a pris le relais de l'opération Mare Nostrum, fait face aux mêmes problématiques : s'il n'y a pas d'accord de réadmission avec un autre pays – en l'occurrence, il ne peut y en avoir avec la Libye aujourd'hui – nous pouvons considérer que, tout en sauvant des vies du risque de naufrage et de la mort, l'opération contribue, en même temps, à ce que les gens puissent arriver jusqu'en Europe.

C'est la raison pour laquelle notre priorité est de parvenir à une coopération avec la Libye, afin de pouvoir passer aux phases suivantes de l'opération Sophia, qui prévoient notamment la possibilité d'intervenir en eaux territoriales libyennes pour y ramener les bateaux et détruire les embarcations s'il le faut, ainsi que la lutte contre le départ même des bateaux qui constitue la phase trois de l'opération. Pour faire cela, il faut qu'il y ait un gouvernement d'Union nationale en Libye qui soit une autorité légitime avec laquelle un tel accord de coopération puisse être convenu, ou qu'il y ait un accord et un mandat donné par la communauté internationale, en l'occurrence le Conseil de sécurité des Nations unies.

Aujourd'hui, il y a, de fait, quasiment trois gouvernements en Libye : un qui était issu d'un précédent Parlement, basé à Tripoli - le Congrès Général National - ; un autre du Parlement élu qui s'appelle la Chambre des Représentants et le troisième, qui est celui que la communauté internationale considère comme le gouvernement légitime, parce qu'il est issu de la négociation que l'envoyé spécial des Nations unies a menée pour réunifier l'ensemble des factions libyennes, et faire en sorte qu'une unité politique puisse être reconstituée dans ce pays afin, notamment de lutter contre la progression de Daesh dans la région de Syrthe, qui menace des sites historiques, et qui menace aussi, tout simplement, la sécurité de ce pays et de son environnement. Je pense aussi aux attaques menées par les djihadistes en Tunisie il y a encore quelques semaines.

La priorité, c'est donc que ce gouvernement puisse, avec le soutien qu'il a d'ores et déjà du représentant spécial des Nations unies, s'installer sur le territoire libyen, à Tripoli, car la capitale est le lieu où doit être installé le gouvernement, et qu'il puisse y assumer toutes ses fonctions. À partir de là, nous pourrons envisager un accord de coopération sur la lutte contre ces passeurs. Je rappelle qu'il existe tout un ensemble de dispositions qui sont prévues pour appuyer ce gouvernement, afin de l'aider à reconstituer une administration, des forces de sécurité, mais aussi lutter contre des milices qui ne reconnaîtraient pas son autorité et lutter contre les terroristes.

C'est aujourd'hui absolument nécessaire et indispensable, car cette route de la Méditerranée centrale concernait encore l'an dernier plus de 140 000 personnes et nous arrivons à une période où les conditions météorologiques vont devenir plus favorables à la traversée. Je crois que, ne serait-ce que ce week-end, il y a eu près de 1 500 personnes qui ont été secourues par les bateaux de l'opération Sophia au large des côtes italiennes et en provenance de Libye. Cela donne une idée du flux qui est en train de se reconstituer et prouve aussi que les réseaux de passeurs n'ont pas renoncé. Vous le disiez, Madame la Présidente, à partir du moment où une route est fermée, d'autres routes s'ouvriront. La route des Balkans et fermée, celle de la mer Egée le sera si l'accord entre l'Union européenne et la Turquie fait l'objet de tout l'engagement nécessaire de la part de la Turquie. Il y aura très certainement de nouvelles routes, par exemple, pour rejoindre la Grèce par l'Albanie. Dans une telle situation, nous devrons oeuvrer à empêcher qu'une telle route se forme car elle produirait la même déstabilisation dans les Balkans que celle qui a conduit ces pays à fermer la frontière avec la Macédoine. Il y aura probablement aussi la tentation d'utiliser la route de la Méditerranée centrale.

Aujourd'hui, parmi les personnes qui sont secourues par l'opération EUNAVFOR Med et qui se trouvent ensuite dans les hotspots d'Italie, il y a beaucoup de réfugiés ou de migrants qui viennent de pays d'Afrique : il y a des Érythréens, des Éthiopiens, des Soudanais… Parmi les ressortissants de ces pays, il y a des gens qui fuient les guerres, la misère, qui traversent le Sahel dans des conditions très périlleuses ; certains de ces migrants relèvent de l'asile tandis que d'autres n'en relèvent pas mais, en tout état de cause, les passeurs étendent leurs réseaux toujours plus loin, tant qu'ils estiment qu'il existe une possibilité de faire passer des gens en Europe, en passant par la Méditerranée. C'est donc une lutte qui doit aussi se mener aujourd'hui sur cette voie-là.

Évidemment nous faisons en sorte aujourd'hui de traiter les structures de trafic d'êtres humains, qui ont provoqué des drames et conduit à une situation insoutenable en Europe, y compris pour le droit d'asile. Tout cela nous renvoie en permanence aux causes des migrations, qui sont multiples et parmi lesquelles les guerres sont souvent évoquées. C'est la raison pour laquelle il faut une transition politique en Syrie et une stabilisation de la situation dans ce pays. C'est également le cas des États faillis comme la Libye qui a connu une guerre civile et une intervention internationale dont les suites, semble-t-il, n'ont pas été gérées comme il convenait puisqu'il n'y a jamais eu, par la suite, de reconstitution d'un État unitaire ainsi qu'une capacité d'un gouvernement à assurer sa souveraineté sur l'ensemble du territoire.

Le sous-développement dans toute une partie de l'Afrique et, en particulier, dans le Sahel est également une cause des migrations et c'est la raison pour laquelle un sommet entre l'Union européenne et l'Afrique a été organisé à la Valette pour traiter ces questions et développer des programmes de coopération, de développement économique, de scolarisation, d'information…

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