Intervention de Raoul Briet

Réunion du 1er mars 2016 à 17h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Raoul Briet, président de la première chambre de la Cour des comptes :

La dette publique a augmenté de façon presque continue depuis le début des années 1970 comme l'illustre le graphique ci-dessous.

Encours de la dette publique

C'est le résultat d'une accumulation des déficits : depuis 2008, ceux-ci sont, en effet, systématiquement supérieurs au solde qui permettrait de stabiliser le poids de la dette dans le PIB. À l'exception des années 2006 et 2007, le solde public est même très nettement inférieur au solde stabilisant.

Solde public et solde stabilisant

La dette représente près de 100 % du PIB : pour qu'elle soit stabilisée, le solde public ne devrait donc pas être supérieur à l'évolution du PIB nominal de l'année considérée. En 2015, il aurait ainsi fallu que le déficit public soit de l'ordre de 2 points de PIB : ce ne sera finalement pas loin du double de ce chiffre, puisque les dernières prévisions du Gouvernement comme de la Commission européenne situent le déficit aux alentours de 3,8 % du PIB.

Il n'y a eu que deux exceptions au cours des vingt dernières années : de 1998 à 2001, et 2006-2007. Il s'agissait, et ce n'est pas un hasard, de périodes de forte croissance économique. Rétrospectivement, on ne peut que constater que les périodes de croissance accrue ne sont guère mises à profit pour réduire suffisamment les déficits publics, et donc pour préparer les années de croissance plus faible qui suivent.

Je voudrais souligner ici que les autorités publiques ont trop souvent tendance à considérer comme durables les phases de croissance plus forte, c'est-à-dire le haut des cycles économiques. Cela a été le cas entre 1998 et 2001, comme en 2006 et 2007 pendant lesquelles des allégements fiscaux importants ont été consentis. Il serait donc à mon sens judicieux de piloter les finances publiques en utilisant la notion de « solde structurel », qui figure maintenant dans les textes, notamment dans la loi organique de décembre 2012, même si sa mesure et son utilisation en sont délicates. Le solde structurel a néanmoins le grand mérite de permettre une évaluation du solde effectif constaté par rapport à l'évaluation de la conjoncture, et donc d'éviter de commettre des erreurs.

Je souligne également que les autorités publiques sous-estiment aussi fréquemment l'effet de rémanence des crises sur le taux de croissance : les crises, et en particulier celle qui s'est enclenchée en 2007-2008, conduisent à un affaiblissement progressif de la croissance potentielle de l'économie française, et par conséquent à une surestimation de la croissance et à une sous-estimation des efforts nécessaires pour résorber les déficits.

En outre, depuis une vingtaine d'années, la croissance de l'endettement public s'est accélérée, croissance au sein de laquelle on peut distinguer trois périodes :

Variation annuelle de la dette publique

La France a abordé la crise de 2008-2009 avec un solde et une dette publique dégradés. Elle a laissé jouer les stabilisateurs automatiques et mené un plan de relance ; mais celui-ci a été d'une ampleur sensiblement moindre que chez nos voisins allemands, nos marges de manoeuvre étant elles-mêmes sensiblement inférieures.

Le Premier Président de la Cour des comptes le dit régulièrement : la question de la maîtrise de la dette, est celle de la capacité de la France à opérer librement des choix, à décider en toute souveraineté de ses politiques publiques ; c'est une question politique, au sens noble du terme afin de pouvoir rester maîtres de notre destin.

Autre point, la dette de l'État représente l'essentiel de la dette publique française – près de 80 % en 2014.

Composantes de la dette publique française

Au cours de la période récente, la dette de l'État a crû plus rapidement que celles des collectivités locales et de la sécurité sociale : elle a augmenté de 20 % entre 2010 et 2014, quand celle des administrations publiques locales (APUL) croissait de 7 % et celle des administrations de sécurité sociale (ASSO) de 16 %. Quant à la dette des opérateurs de l'État (organismes divers d'administration centrale, ODAC), elle a diminué de 31 % au cours de la même période.

Le fait que la dette de l'État progresse beaucoup plus vite que celle des administrations de sécurité sociale ou des collectivités locales ne signifie pas que l'État est beaucoup moins bien géré que celles-ci : l'augmentation de la dette n'est pas fonction du sérieux de la gestion des uns ou des autres. Dans notre système, en effet, l'État est le réassureur en dernier ressort : c'est la centrale du déficit… D'une certaine manière, la plupart des déficits publics et donc des dettes se reportent in fine, sur l'État. Ainsi, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) a provoqué, pour le budget de l'État, une perte de recettes : le déficit, et donc la dette, se sont accrus. Je ne voudrais pas entamer ici une discussion des conséquences du CICE sur l'emploi et la masse salariale, mais ses effets sont bénéfiques à l'ensemble de la communauté nationale, et donc aussi aux administrations de sécurité sociale et aux collectivités locales.

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