C'est en effet la dynamique de la dette qui est forte. Mon propos était, modestement, de souligner que l'augmentation plus forte de la dette de l'État par rapport à celle des administrations locales et des administrations de sécurité sociale ne signifiait en rien qu'il se serait montré particulièrement dispendieux.
La dette des collectivités locales représente aujourd'hui un peu moins de 10 % du volume total de la dette publique. Depuis une dizaine d'années, l'encours de cette dette a tendance à progresser, mais lentement.
La dette sociale est du même ordre de grandeur : elle représente maintenant un peu plus de 10 points de PIB, avec une progression très sensible entre 2008 et 2014 : pour le seul régime général et le Fonds de solidarité vieillesse (FSV), cela représente 8 points de PIB. Elle devrait atteindre son plus haut point en 2015 alimentée par les déficits de la branche maladie et de la branche vieillesse.
Cette dette se compose, vous le savez, de quatre sous-ensembles. La Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) amortit chaque année 16 milliards grâce aux ressources qui lui sont affectées. Son terme est estimé à 2024. Il faut souligner que s'est constituée, dans la période récente, une dette à court terme portée par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), qui assure la trésorerie du régime général : cette dette atteignait près de 28 milliards d'euros à la fin de l'année 2014. L'ACOSS est donc un émetteur important de dette à court terme sur les marchés financiers. Quant à la dette des hôpitaux publics, elle représente 1,5 point de PIB mais il faut surtout souligner qu'elle a triplé entre 2002 et 2012, en raison des plans successifs de relance de l'investissement hospitalier qui se sont mis en place au début des années 2000. Enfin, il est plus particulièrement question en ce moment de la dette de l'UNEDIC. Elle représente environ 1 point de PIB.
La dette des administrations de sécurité sociale est exposée à un risque de remontée des taux, notamment pour sa part à court terme, naturellement, mais aussi pour la dette à long terme, qui est une dette à taux révisable.
Je rappellerai ici les recommandations classiques de la Cour des comptes : autant la Cour considère que le déficit de l'État peut être justifié, au regard de l'effort d'investissement qu'il consent, autant elle considère que les déficits de régimes de protection sociale – qui assurent des transferts instantanés entre actifs, ou entre actifs et retraités – n'ont pas de justification économique, en tout cas sur le moyen terme. Bien sûr, des lissages de cycles économiques peuvent expliquer une dette momentanée des organismes de sécurité sociale ; À moyen et long terme, il n'y a aucune justification de fond à financer des transferts par de la dette.
Nous nous sommes plus particulièrement inquiétés de la dette de l'ACOSS, très exposée à un risque de relèvement des taux. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 a accéléré le calendrier de reprise de cette dette par la CADES, mais il restera un découvert de trésorerie d'environ 20 milliards d'euros à la fin de l'année 2016. Ces découverts seront financés par des émissions de court terme.
J'en viens maintenant aux principaux risques pesant sur la dette publique.
La trajectoire prévue dans le projet de loi de finances pour 2016 prévoit une stabilisation du niveau de la dette publique aux alentours de 96,5 milliards à l'horizon 2016-2017.
Le premier risque si cette trajectoire n'est pas suivie, c'est bien sûr de ne pas mener la réduction des déficits telle qu'elle est prévue. La Cour s'est exprimée sur ce point dans son rapport public annuel, en début d'année, et elle le refera au mois de juin. Je le disais : les phases de regain économique comme celui que nous connaissons actuellement, même s'il est modéré et fragile, ont historiquement correspondu à des phases de relâchement de l'effort budgétaire. Dans des pays comme l'Italie ou l'Espagne, on constate d'ailleurs qu'après des phases d'ajustement sévère et rapide des finances publiques, la réduction des déficits et l'effort sont moindres. Il y a donc un risque lié à la période.
Le déficit public devrait être de 3,3 % du PIB en 2016. Nous avons mis en évidence les risques qui s'attachent aux hypothèses macroéconomiques retenues – inflation, croissance, masse salariale – qui nous paraissaient un peu optimistes. Les informations qui nous sont parvenues depuis 2016 confirment plutôt nos inquiétudes : cela fait peser un risque sur les recettes de l'exercice 2016.
Du côté des dépenses, nous referons le point précisément, en juin 2016, à l'occasion du rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques. Le pari de la loi de finances pour 2016, c'est que les économies attendues sur la charge de la dette et les annulations de crédits de la réserve de précaution suffiront à compenser totalement les dépenses nouvelles décidées en fin d'année 2015 ou en début d'année 2016.
Voilà pour les risques à court terme.
Pour que le déficit se stabilise en 2017 par rapport à 2016, il faudrait que le solde public soit de 2,7 points de PIB. Il faudrait donc que l'objectif pour 2016 soit atteint, mais aussi que l'objectif pour 2017, qui prévoit une baisse du déficit public de 0,6 point de PIB, soit respecté. C'est à ces deux conditions que la dette se stabiliserait.
À moyen terme, il existe un risque de remontée des taux. Nous vivons une période particulière, exceptionnelle même, et dont personne ne sait combien de temps elle va durer : nos conditions de financement sont extraordinairement favorables. Les taux sont si bas, à court comme à moyen terme, que si l'encours de la dette de l'État a progressé de 70 % entre 2007 et 2015, la charge de la dette n'a progressé que de 7 %. Depuis 2012, la charge de la dette a même diminué.
Vous nous avez notamment interrogés sur la proportion d'encours de dette due à l'effet boule de neige. La France a peu pâti de ce phénomène, qui traduit le fait qu'à politiques données, toutes choses égales par ailleurs, lorsque le taux apparent de la dette, c'est-à-dire le taux moyen qui s'attache au stock de dette à un instant donné, est supérieur au taux de croissance de l'économie, alors le ratio entre la dette et le PIB se dégrade spontanément sous le seul effet du paiement des intérêts de la dette.
Nous avons calculé à partir des données de l'INSEE qu'au cours de la dernière décennie, l'effet boule de neige n'avait contribué à augmenter le poids de la dette par rapport au PIB que de 6 points de PIB sur un total de 30 points. Cet effet boule de neige devrait être quasiment nul en 2015 et en 2016, puisque le taux de croissance du PIB en valeur sera sans doute très proche du taux d'intérêt moyen sur la dette publique.
L'effet boule de neige n'explique donc l'augmentation de la dette depuis dix ans que pour un cinquième environ. En revanche, il pourrait devenir important en cas de remontée des taux. Au taux de 2007, c'est-à-dire avec un taux apparent de la dette de l'État de 4,5 % au lieu de 2,8 % actuellement, la charge de la dette en 2015 aurait été de 27 milliards supérieure à ce qu'elle a été : un retour au taux moyen d'avant la crise aurait représenté près de 1,5 point de PIB de dépenses supplémentaires, et donc, toutes choses égales par ailleurs, de déficit.
C'est une épée de Damoclès qui pèse sur nous à moyen terme.
Il faut aussi souligner que la trajectoire de notre dette publique diverge fortement par rapport à celle de la zone euro, de l'Union européenne, et plus nettement encore par rapport à celle de l'Allemagne : notre dette progresse de façon continue, même si cette augmentation s'est légèrement atténuée récemment, quand dans la zone euro, et dans l'Union européenne, ce poids de la dette commence à diminuer.
Il faut aussi avoir conscience que la perception des marchés peut devenir moins favorable pour nous qu'elle ne l'est aujourd'hui : la dette française reste considérée comme un actif sûr, ainsi qu'en attestent nos taux très bas. Mais elle représente aussi une part croissante de celle des États de la zone euro. La France est devenue le premier émetteur de dette : alors que nous représentions 19 % des émissions de moyen et long terme en zone euro en 2014, nous en représenterons selon l'Agence France Trésor 23 % en 2016. C'est la conséquence de l'inversion des courbes de la dette qui ne se constate pas pour la France.
Si cette tendance devait se poursuivre, l'Agence France Trésor serait sans doute amenée à devoir offrir des taux supérieurs pour placer la dette publique française.
Enfin, nos coûts de financement à dix ans demeurent très favorables.
Toutefois, notre position relative est moins favorable qu'elle ne l'a été : elle demeure meilleure que celle de l'Espagne et de l'Italie, mais elle est moins favorable que celle de l'Allemagne. Si l'on laisse de côté ce dernier pays, on constate que la France se situe plutôt défavorablement par rapport au coeur de la zone euro – Autriche, Belgique, Finlande, Pays-Bas. Seule la Belgique a un niveau de taux légèrement plus élevé.
Notre situation est donc relativement fragile au regard de la perspective globale de remontée des taux.