Mais il ne faut pas lâcher l'affaire !
Renault a signé un accord de compétitivité de 710 000 véhicules par an, volume qui n'est pas encore atteint. Cela devrait sécuriser les sites d'assemblage, ce qui est important. Chez PSA, l'objectif est d'un million de véhicules. Par contre, tous les sites ne sont pas forcément sécurisés.
Le Gouvernement a mis en place une politique dite de l'offre sur le plan macroéconomique. Bien entendu, la filière automobile en profite. Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et le Pacte de responsabilité ont des effets qui se feront certainement sentir davantage encore en 2016, parce que les salaires sont plus élevés dans l'industrie que dans les services par exemple. Ils seront donc davantage concernés par les réductions de charges.
Les entreprises ont vu leurs marges améliorées, ce qui est dû aussi à l'embellie du secteur et pas uniquement au CICE et au Pacte de responsabilité. On voit aussi le retour des investissements, ce qui est une bonne chose. Dans le même temps, des entreprises continuent à demander à leurs salariés de consentir beaucoup d'efforts alors qu'un patron se permet de doubler son salaire…
Les accords de compétitivité ont leur raison d'être, mais la compétitivité-coût trouve rapidement ses limites. Il faut s'intéresser de plus près à la compétitivité hors coût. Développer la fibre de carbone pour alléger les véhicules est un élément structurant pour toute la filière. On peut penser aussi à l'expérimentation des véhicules consommant deux litres aux 100 kilomètres qui est très fédératrice pour la filière.
On parle moins de l'esprit collaboratif tout au long de la filière. Je pense aux donneurs d'ordres vis-à-vis de leurs sous-traitants et de leurs fournisseurs et aux fournisseurs vis-à-vis de leurs sous-traitants. Cet aspect me semble économiquement plus efficace que la compétitivité-coût. Il faut savoir que, dans une usine d'assemblage, la masse salariale représente 5 % de son chiffre d'affaires. Aussi, pour gagner 10 % de masse salariale, on agit sur 5 % du chiffre d'affaires. Si ce raisonnement est psychologiquement important pour les chefs d'entreprise et pour M. Gattaz, il ne tient pas la route en termes économique.
En 2014, le groupe de sous-traitance automobile Altia a fait faillite. Ce groupe avait été construit de bric et de broc grâce au Fonds de modernisation des équipementiers automobiles (FMEA) qui avait été créé lors des Etats généraux de l'automobile. Il était constitué de beaucoup de rachats de sociétés qui étaient en redressement ou en liquidation judiciaire. Le consortium Altia voulait permettre à des entreprises de ressembler aux entreprises de taille intermédiaire (ETI) allemandes. Avec la CGT, nous avions tiré la sonnette d'alarme à plusieurs reprises, mais nous n'avons jamais été entendus ! C'est regrettable, car l'État, qui était actionnaire à hauteur de 20 % je crois, a perdu beaucoup d'argent.
Il manque donc à la filière automobile des lieux où pourrait s'instaurer un dialogue social. C'est un élément sur lequel on pourrait progresser sensiblement.
La filière automobile en France est très hétérogène. On peut donc difficilement avoir un raisonnement standardisé. Certaines entreprises ont une masse salariale qui représente 5 % du chiffre d'affaires, tandis que pour d'autres elle atteint les 20 %. Les enjeux et les remèdes ne sont donc pas les mêmes. Voilà pourquoi nous sommes attachés à tout ce qui peut être négocié au niveau de l'entreprise.
C'est à ce niveau que l'on trouvera des solutions intelligentes et non en prenant de grandes dispositions qui concerneraient toute la filière.
On note aussi que les fournisseurs et les sous-traitants voient leur part à l'exportation augmenter, passant d'un tiers en 2010 à la moitié aujourd'hui.
On peut s'interroger sur ce qui se passe actuellement au Maghreb où beaucoup de nouvelles capacités sont en train de se développer. Je me souviens que, lorsque les capacités se sont développées dans l'est de l'Europe, le discours était le même : cela devait concerner le marché local. Or on a vu les surcapacités ainsi engendrées et les difficultés que tout cela a entraîné. Aussi faut-il avoir une vision très précise sur le Maghreb. Je ne dis pas qu'il ne faut rien développer là-bas, bien au contraire. Mais cela doit faire l'objet d'un dialogue, ce que les Allemands savent mieux faire que nous. Ils sont capables de dire en effet que telle chose peut être délocalisée tandis que telle autre doit être gardée sur leur territoire. Ce dialogue n'existe pas en France, ce qui est fort regrettable.
La France devra faire preuve de rigueur et de fermeté en ce qui concerne les futures normes d'émissions de dioxyde de carbone (CO2) en Europe pour 2030, car il y aura beaucoup de lobbyings de la part de pays qui ne souhaitent pas aller dans ce sens.
Certains constructeurs ont un discours ambivalent puisque, d'un côté, ils sont plutôt favorables à des normes exigeantes, tandis que, de l'autre, ils se livrent à du lobbying pour qu'elles ne le soient pas trop pour des questions de rentabilité de leur capital ou de leurs investissements. Pour autant, je pense que l'industrie française a intérêt à ce que les normes soient les plus dures possible. On a vu, avec la crise aux États-Unis, que c'était un bon point pour l'industrie européenne.
Nous avons aussi beaucoup de mal à lire ce qui se passe autour du bonus-malus. Nous n'arrivons pas à cerner la logique des changements…