Intervention de Catherine Procaccia

Réunion du 3 mars 2016 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Catherine Procaccia, sénateur :

La découverte de CRISPR-Cas9, en 2012, est le fruit de recherches fondamentales, démarrées en 1987, et non de la recherche appliquée.

À l'origine, deux femmes, l'une française, Mme Emmanuelle Charpentier, actuellement directrice de l'Institut Max Planck de biologie infectieuse à Berlin (Allemagne), et Mme Jennifer Doubna, américaine, professeure de chimie et de biologie moléculaire et cellulaire à l'université de Californie (Berkeley). Elles menaient des recherches sur le système immunitaire naturel des bactéries, lequel les protège de leurs virus – les phages.

CRISPR-Cas9 est, en fait, le système d'immunité de la bactérie. La bactérie apprend naturellement à reconnaitre les virus en captant un petit morceau de leur génome et en le mettant dans son propre chromosome. Si un virus ayant le même génome revient, la bactérie fabrique une protéine (Cas9) et un petit ARN qui guide la protéine vers le génome du phage et le coupe en morceaux. Cas9 joue donc le rôle de ciseaux.

Ce système naturel des bactéries est transposé à l'ingénierie du génome. La nouveauté réside dans le guidage par l'ARN, qui permet à l'ADN d'être précisément coupé à l'endroit désiré. C'est ici que se trouve la profonde révolution.

La primauté de la découverte de cette technique de modification ciblée du génome est revendiquée aussi par d'autres chercheurs, en particulier par M. Feng Zhang, professeur d'ingénierie biomédicale au Massachusetts Institute of Technology (MIT) de Boston ainsi que, à moindre titre, par M. George Church, généticien, ingénieur moléculaire et chimiste, également au MIT, mais dans une autre équipe.

Cette technologie simple, efficace, très facile, très puissante et pas chère à mettre en oeuvre – le coût d'une intervention par CRISPR-Cas9 serait de seulement dix ou quinze euros. Cela constitue une véritable rupture technologique. Elle se prépare en à peine deux semaines quand les autres techniques mettent plusieurs mois, si ce n'est des années, pour aboutir. Elle est en pleine explosion. De très nombreux laboratoires l'utilisent, d'autant qu'elle fonctionne sur tous les organismes vivants : levures, plantes, poissons, amphibiens, mammifères, y compris chez l'homme.

CRISPR-Cas9 permet d'enlever ou de modifier un gène (mutation ou correction d'une mutation). Elle peut aussi introduire plusieurs mutations à la fois. Cas9 couplée à une autre enzyme pourra provoquer l'expression d'un gène, éteindre un gène trop exprimé ou modifier l'épigénome de la région (au sens biologique : changement de l'environnement du gène, de son architecture tridimensionnelle), de telle sorte que son expression sera également changée.

Avec CRISPR-Cas9, on pourra faire de l'imagerie en fixant un fluorophore à Cas9. On pourra aussi contrôler dans le temps le moment où on souhaite que cette nucléase agisse ; on peut artificiellement couper la nucléase en deux, l'introduire à l'endroit indiqué dans les cellules, puis recoller les deux morceaux pour la réactiver au moment voulu.

Avant CRISPR-Cas9, si on voulait modifier les gènes d'un organisme, par exemple celui d'une souris, il fallait prendre des cellules souches embryonnaires, faire de la recombinaison homologue, sélectionner les rares cellules où ça avait fonctionné, les réintroduire dans les embryons, remettre les embryons dans la souris, obtenir les petits, sélectionner les embryons qui ont intégré la modification dans leur lignée germinale et produire deux nouvelles générations. Cela durait dix-huit mois environ.

Avec CRISPR-Cas9, il suffit de prendre une cellule de l'embryon, d'injecter la protéine Cas9 avec son ARN et de la réimplanter. Aucun acide nucléique n'a été introduit, seulement une protéine qui disparaitra par la suite. C'est cette protéine qui va modifier le génome de l'embryon.

Les interventions faites avec la technologie CRISPR-Cas9 sont, ou seraient, peu ou pas traçables du tout. Ce point est encore discuté par les scientifiques.

La technique s'améliore chaque semaine. Depuis le début de cette étude, plusieurs améliorations et découvertes ont dû voir le jour. Dans les laboratoires du CNRS, cette technique est utilisée de façon routinière pour des besoins de recherche fondamentale, pour faire de la mutagénèse.

La technologie CRISPR-Cas9 peut être utile pour reproduire de manière efficace et simple, sur un animal, une anomalie que l'on a observée sur l'homme, pour comprendre et observer ce qu'il se passe puis tenter de la corriger.

Une question reste encore pendante, celle des effets hors cible (off target) ou non-intentionnels. Lors des essais réalisés, on a parfois pu constater des coupures à des endroits non désirés. Ces coupures sont potentiellement mutagènes. Leur nombre dépend de la séquence de la protéine ou de l'ARN guide choisi.

Depuis deux ans, les chercheurs ont fait progresser cette technique et arrivent à n'avoir quasiment aucun effet en dehors du site voulu (99 % des cas). Avec une seule Cas9, l'ADN était coupé deux fois. Ils ont muté les Cas9 de façon à ce que qu'elles ne coupent qu'un seul brin. Cela permet à l'ADN de se réparer tout seul. En outre, en utilisant deux ARN guide, les chercheurs ont obtenu plus de spécificité et de précision.

Chez les plantes, on fait la coupure et la réparation, puis on sélectionne la plante qui a la bonne coupure et la bonne réparation en éliminant les effets hors cible. Cette question des effets hors cible a, pour certains chercheurs, une durée de vie temporaire au sens où la spécificité de ces systèmes est tellement élevée qu'elle n'est pas une source d'inquiétude.

Cependant, les effets hors cibles sont très difficilement détectables à cause du grand nombre de divisions de cellules. Leur nombre a tellement diminué qu'on n'arrive plus à les distinguer des variations dues aux divisions naturelles de la cellule.

Les applications potentielles de CRISPR-Cas9 sont considérables, notamment en thérapie génique et agronomie.

Au Royaume-Uni, en novembre 2015, un essai thérapeutique est intervenu sur une enfant de onze mois atteinte de leucémie ayant résisté à tous les autres traitements, avec l'aide de la technologie mise en oeuvre par un laboratoire français, Cellectis. Aux États-Unis, M. George Church du MIT, déjà cité, travaille sur l'augmentation de la fertilité féminine ou sur la fente labiale (anciennement appelée « bec de lièvre »).

En thérapie génique, la technique CRISPR-Cas9 est une révolution. Elle permet de supprimer un gène ayant muté naturellement et ayant entraîné une maladie génétique. Il peut être remplacé par un gène non muté pour reconstituer la séquence d'ADN. Pour les maladies génétiques, il suffirait de modifier une certaine fraction des cellules anormales ; elles seraient en fait tuées et mettraient fin à la maladie génétique.

Le rythme des publications sur les applications thérapeutiques de CRISPR-Cas9 est soutenu. Cette technique permet de toucher des types cellulaires qui étaient inaccessibles auparavant : cellules cardiaques, cellules musculaires, voire neurones.

Un autre domaine d'application possible a trait à l'antibiorésistance des bactéries, c'est un enjeu important sanitaire et économique. CRISPR-Cas9, pourrait cibler ces bactéries antibiorésistantes et les éradiquer par d'autres moyens que des antibiotiques. Bien sûr, il faut faire très attention, surtout quand on agit dans l'environnement biologique.

La technologie fonctionne aussi sur des cellules germinales qui sont transmissibles d'une génération à l'autre. Des expériences ont eu lieu en Chine sur des macaques et des embryons humains non viables. Au Royaume-Uni, la manipulation génétique d'embryons à des fins de recherche a été autorisée en février 2016. Actuellement les essais germinaux sur l'homme en vue de lui assurer une descendance fonctionnent mal mais ils fonctionneront un jour. Il faudra alors être sûr de pouvoir les contrôler.

J'aimerais rappeler que nous en sommes encore au stade de la recherche ; il n'y a pas encore eu d'applications en matière de santé pour l'homme, mis à part le cas cité de la petite fille au Royaume-Uni ; la technique a été découverte en 2012 et le temps d'un essai thérapeutique est au minimum de cinq ou six ans.

Certaines maladies dramatiques pour l'homme comme la drépanocytose (et les thalassémies) pourraient être traitées avec ce système de mutation ciblée. Ainsi, pour l'hémophilie, on sait qu'il suffirait de supprimer moins de 1 % des protéines pour guérir le malade.

Il y a donc de grands espoirs, même si les applications sur l'homme ne seront pas opérationnelles tant qu'on n'aura pas ramené le taux de hors cible à zéro ou quelque chose de négligeable, car le risque lié à des transformations non désirées est évidemment plus sensible chez l'humain que dans le règne végétal ou animal.

Une vigilance s'impose donc pour vérifier l'arrivée à maturité de ces technologies, avec un très haut niveau d'exigence s'agissant d'applications sur l'homme. Ce n'est pas une question de législation, sauf bien sûr pour les cellules germinales.

Dans l'agro-alimentaire, CRISPR-Cas9 permet d'accélérer la création de nouvelles espèces végétales et animales.

Les avantages de CRISPR-Cas9, par rapport à la mutagénèse, sont la précision et la rapidité. Tous les semenciers travaillent sur ces techniques. Cela ne va pas bouleverser la sélection variétale telle qu'elle est faite aujourd'hui. Mais si des caractères sont vraiment importants, notamment de résistance à des maladies, la nouvelle technique permet de les introduire beaucoup plus rapidement qu'auparavant. Ceux qui ne pourront en disposer seront pénalisés par la concurrence.

Pour l'INRA, les biotechnologies ne sont qu'un moyen d'action parmi d'autres : agro-écologie, bioéconomie, agriculture numérique, robotique, biocontrôle, innovation ouverte, économie agricole et formation. Aucun de ces outils ne règlera seul tous les problèmes que l'on peut se poser en agriculture à l'horizon 2025. Mais, pour l'INRA, l'idée de ne pas utiliser les biotechnologies serait une erreur. En agriculture, il faut prendre en compte les systèmes de production et de transformation dans leur ensemble et mettre en place des dispositifs qui permettent de dialoguer avec la société et les parties prenantes.

Pour l'INRA toujours, le levier génétique est un des leviers majeurs permettant de s'adapter au changement climatique (tolérance à la sécheresse…), pour réduire les intrants, avec des plantes qui ont moins besoin de pesticides, et pour obtenir des animaux plus robustes et moins sensibles aux maladies.

L'enjeu des nouvelles technologies de modification ciblée du génome est d'accélérer considérablement le développement des nouvelles espèces. Passer à côté de ces nouvelles technologies exposerait la France et l'Europe au risque concurrentiel en provenance des autres continents, et donc à un affaiblissement de notre agriculture.

On peut citer comme exemple d'application le feu bactérien chez le pommier, qui est une maladie des vergers. Le gène, qui est dans toutes les variétés de pommiers cultivés, a un allèle de sensibilité à cette bactérie alors que les pommiers sauvages ont un allèle de résistance. Quand, il y a des centaines d'années, on a fait des sélections de pommiers, de façon très empirique, pour la qualité, la grosseur, la saveur ou la perte de l'astringence, on ne s'est pas rendu compte que l'on avait aussi perdu l'allèle de résistance à cette maladie.

Pour rendre les pommiers résistants, trois solutions sont possibles. On peut d'abord recroiser toutes les variétés de pommiers avec des pommiers résistants et on resélectionne. Sachant que l'on a une floraison par an et que cela nécessite quinze à vingt croisements, cela représente donc quinze à vingt ans de travail. La deuxième solution est de changer l'allèle du pommier sensible à partir du pommier résistant. Cela peut être fait facilement si l'on arrive à introduire l'ADN (technique SDN2). Cette solution est plus rapide que la solution par croisements. La troisième solution (SDN3), consiste à utiliser les zones identiques du génome que l'on veut modifier : on introduit un fragment d'ADN qui n'existe pas un endroit particulier dans le génome. Il s'agit d'une transgénèse ciblée qui peut se réaliser avec un gène synthétisé.

D'autres exemples sont constitués par les champignons de la vigne et la tavelure de la pomme.

CRISPR-Cas9 pourrait permettre de généraliser des améliorations apportées par l'INRA depuis plusieurs années dans la lutte contre le mildiou et l'oïdium de la vigne. À la suite de recherches commencées il y a trente-cinq ans pour explorer la biodiversité, l'INRA a retrouvé une variété de vigne sauvage muscadine résistante à ces maladies fongiques. Après vingt années de croisements, la résistance a été incorporée à un cépage. Les producteurs de cognac et de champagne sont maintenant demandeurs d'une telle solution pour leurs propres cépages.

À la suite de quarante années de croisements, l'INRA a réussi à proposer à la culture le pommier Ariane résistant à la tavelure, un autre champignon. Cette variété permet de réduire de moitié le nombre de traitements phytosanitaires habituellement réalisés sur cet arbre très sensible aux parasites.

Comme pour les précédentes biotechnologies, les domaines d'applications vont au-delà de la médecine et de l'alimentation. On peut citer la chimie, les matériaux, les procédés industriels, l'énergie ou l'environnement.

Le rapport s'efforcera d'en préciser les potentialités, sachant que beaucoup de choses sont actuellement en mouvement et qu'il faudra essayer d'aller aussi vite que les chercheurs.

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