Intervention de Anne-Yvonne Le Dain

Réunion du 3 mars 2016 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnne-Yvonne Le Dain, députée :

La présente audition fait suite à celle conduite en janvier 2015 sur les semences et a permis de mesurer l'importance des ressources génétiques végétales pour l'avenir de notre planète, car elles sont la base de tout ou partie de la production végétale au service de l'humanité. Ainsi, seules la conservation et l'amélioration de ces ressources génétiques permettront d'assurer la sécurité alimentaire de la population mondiale alors que la croissance de cette dernière constitue un véritable défi pour la préservation de l'environnement. Comment parvenir à produire plus, de meilleure qualité, d'une manière adaptée aux modes de vie et aux goûts alimentaires des populations concernées, tout en réduisant l'impact environnemental, et en se plaçant dans une perspective de développement durable ? Le tout dans un contexte de changement climatique qui suppose une adaptation rapide des ressources génétiques végétales.

Une telle entreprise ne peut être menée à bien sans le concours décisif de la recherche scientifique, tant publique que privée, dont le rôle en matière d'amélioration des espèces végétales s'avère déterminant. Depuis longtemps, la France a su construire une dynamique positive entre les entreprises, les pouvoirs publics, la recherche scientifique et les acteurs paysans. Cette structuration commune a permis, et doit encore permettre, de fédérer les acteurs, afin que la boucle d'interactions qui permet de passer de la découverte à l'innovation puisse s'effectuer dans les meilleures conditions de rapidité et d'efficacité.

La question de l'accessibilité aux ressources génétiques végétales constitue un enjeu majeur pour l'amélioration variétale et, ce, pour toutes les formes de production, céréalière, horticole, légumière, fourragère, fruitière ou forestière, de serres ou de plein champ. Or si le caractère local de la production est évident pour tous, les échanges internationaux ont conduit, de fait, au développement de nouveaux modèles économiques, agronomiques et techniques. L'accès et l'usage des ressources génétiques se trouvent ainsi de plus en plus encadrés par des accords internationaux s'efforçant de mettre en place des modalités équitables d'échanges et de rémunération du travail et des investissements des uns et des autres, entre pays, et à l'intérieur des pays eux-mêmes. La loi Biodiversité en témoigne : les modalités de partage des bénéfices donnent lieu à des débats intenses et à des définitions juridiques élaborées sur les concepts de partage des avantages, d'accessibilité, de droit d'usage, jusqu'à définir les périmètres d'interactions entre acteurs. Les ressources génétiques végétales posent ainsi les questions essentielles de leur propriété comme des droits et des bénéfices en résultant.

Dans ce contexte à la fois local, national et international, la recherche scientifique en amélioration variétale ou en agronomie fut longtemps la principale direction prise. De nouvelles voies de recherche sont désormais à l'oeuvre sur l'acceptabilité sociale de ces évolutions. Elles sont à mettre en regard des améliorations que les travaux scientifiques ont vocation à favoriser, mais doivent aussi conduire à s'interroger sur les risques d'appropriation exclusive par tel ou tel acteur. Les ressources génétiques se situent dans un espace collaboratif très sensible et très réactif, témoin des complexités de notre temps : entre progrès techniques et scientifiques, interpellations citoyennes, maîtrise du métier, performances économiques et intérêt national.

Les conventions internationales sur la biodiversité rythment désormais l'évolution de ces questions et posent celle de la nature de la propriété intellectuelle des ressources génétiques. Deux écoles ont été et sont à l'oeuvre dans le monde : celle du brevet et celle du certificat d'obtention végétale (COV), lequel semble avoir recueilli les faveurs de l'Union européenne... Il apparaît, en effet, le plus apte à satisfaire l'ensemble des parties prenantes sans permettre une appropriation exclusive d'un gène, natif ou transformé, par une seule des parties. De plus, il contribue au financement de la recherche tout en maintenant le libre accès aux ressources génétiques végétales, en ce qui concerne l'amélioration variétale, et ce grâce au concept d'exception de sélection, qui s'est montré efficace.

En France, le Catalogue des semences, grand livre de la ressource génétique et de la semence autorisée, a longtemps été une sorte de Bible intouchable – que certains intérêts s'étaient certes appropriés – mais qui a fait la preuve de sa solidité technique et conceptuelle. Des aménagements et des évolutions du Catalogue ont été apportés récemment pour y intégrer des semences dites « paysannes », sur une liste explicite. Des débats se développent encore pour accroître cette ouverture à tous de tous les échanges de semences et des graines, sans contrôles ni blocages. Bref, le Catalogue est ainsi devenu un objet politique.

Toutefois, il convient de souligner que ce système du COV se trouve malgré tout concurrencé par le développement des brevets, lesquels sont déposés sur des traits natifs modifiés interdisant ainsi l'accès à la ressource végétale contenant ce trait natif modifié. Il s'agit là d'un dévoiement du système des brevets qui ne devraient porter que sur le procédé utilisé et non sur la ressource végétale elle-même. Cette prolifération de brevets constitue une menace pour le libre accès aux ressources génétiques végétales et donc un frein potentiel important à la poursuite de l'amélioration variétale. Au niveau international, les règles ne sont pas pleinement fixées, même si, au niveau européen, elles semblent, peu ou prou, se stabiliser. On le voit donc, le champ des ressources génétiques est bien un territoire d'avenir où l'on pressent que, entre brevetabilité du vivant et certificat d'obtention végétale, sont abordées des questions de fond qui touchent à l'avenir de l'humanité. Quel prix à payer, à qui, pour quoi et dans quel but, avec quel avantage et quel préjudice ?

Il apparaît donc important que les instances institutionnelles françaises se mobilisent et fassent entendre leur voix, notamment dans les organes internationaux en charge de ces questions, pour obtenir que le système des brevets ne conduise pas à une appropriation des ressources génétiques végétales, particulièrement préjudiciable aux pays du Sud, dont les populations sont les plus exposées en matière de sécurité alimentaire, mais aussi à nos filières agricoles françaises, très performantes.

Ainsi, la filière semencière française constitue un acteur économique majeur qui s'illustre comme premier exportateur mondial et premier producteur européen de semences, contribuant ainsi, de manière significative, à l'excédent de la balance commerciale et représentant un vivier d'emplois tout à fait conséquent. Il s'agit d'un secteur dynamique et évolutif, où l'innovation joue un rôle déterminant pour relever les défis de la sécurité alimentaire mondiale, du développement durable et de l'adaptation au changement climatique. La question du financement de la recherche y est donc cruciale. À cet égard, on constate que les entreprises semencières sont fortement impliquées dans l'effort de recherche puisqu'elles y consacrent en moyenne 13% de leur chiffre d'affaire, ce qui constitue un pourcentage élevé par comparaison avec la plupart des autres secteurs économiques (industries et services) et un niveau rarissime au sein du secteur agricole et agro-alimentaire.

Or, la recherche publique apparaît plus dispersée et les financements attribués avec davantage de parcimonie que dans d'autres domaines. Ainsi, l'Agence nationale de la recherche (ANR) ne consacre que 1,7 % de son budget aux projets relatifs aux ressources génétiques végétales. De même, si des équipes extrêmement dynamiques se mobilisent au sein de laboratoires performants, notamment dans le cadre d'unités mixtes de recherche où des compétences issues de plusieurs organismes publics de recherche conjuguent leurs efforts, la pérennité et le niveau du financement de la recherche publique dans le domaine végétal apparaissent insuffisants, au regard des enjeux majeurs pour l'avenir de l'humanité sur notre planète auxquels elle doit apporter des réponses. Ainsi qu'il a été souligné au cours des auditions, le processus de recherche qui permet d'aller jusqu'à la création variétale est extrêmement long. Il apparaît donc indispensable de renforcer la coordination de la recherche publique dans ce domaine ainsi que les moyens alloués aux ressources génétiques végétales par les différents organismes publics participant à son financement. La définition d'objectifs au niveau national et l'allocation de moyens plus soutenus et plus réguliers, permettraient certainement des participations plus actives et plus visibles aux projets européens et internationaux, par nature destinés à mutualiser moyens et compétences. Il est essentiel de consolider la qualité de la recherche française dans ces domaines, publique et privée.

Enfin, la conservation des ressources génétiques végétales constitue un élément fondamental, et même stratégique, car en lien étroit avec l'amélioration variétale. Or, la France, qui dispose pourtant d'atouts remarquables puisqu'elle peut se targuer d'une grande variété de territoires, de climats et d'espèces végétales, ainsi que de compétences scientifiques et entrepreneuriales dans ce domaine, ne s'est pas dotée, jusqu'à présent, d'un conservatoire national des ressources génétiques, contrairement à d'autres pays, dont les États-Unis (Fort Collins), le Japon (Tsukuba), ou encore la Norvège, sous la banquise et, désormais également, le Royaume-Uni avec, à Londres, l'Impérial Collège, et aux Pays-Bas, la Wageningen. Sans compter les compétences réelles bien qu'encore éparpillées dans les pays de l'Est européen.

La technicité requise par cette nécessaire conservation impose ainsi, peu à peu et partout une concentration de moyens de haut niveau (robots, congélateurs, plateaux techniques biotech, serres climatisées, etc.) ainsi qu'un effort soutenu pour accompagner le monde agricole qui assure l'entretien des collections thématiques, notamment des cultures fourragères, légumières et fruitières.

Or, la conservation des ressources génétiques est, en France, dispersée, non coordonnée et parcellaire, étant donné qu'elle repose exclusivement sur des réseaux, au nombre de vingt-sept, associant des acteurs publics et privés. Une première coordination a été mise en place dans les années 1990 autour du Bureau des ressources génétiques (BRG), accueilli dans quelques bureaux au ministère chargé de la recherche scientifique. Un effort de fédération est en cours, notamment pour répondre aux impératifs de mise à disposition de ressources génétiques végétales figurant dans les accords internationaux.

Cet effort prévoit le renforcement des missions du GEVES et du CTPS auxquels serait dévolu un rôle d'animation, d'identification des besoins et de coordination. Toutefois, il s'agit d'un domaine où le financement apparaît extrêmement crucial, et doit être continu et constant, et ce afin d'éviter l'abandon de collections faute de moyens suffisants pour poursuivre leur entretien.

Par ailleurs, la question de la création d'un conservatoire national est d'actualité car elle permettrait de gérer dans un effort commun l'ensemble des collections jusqu'ici dispersées et de les mettre à la disposition de la recherche et des acteurs économiques et d'assurer, enfin, ce rôle que la France pourrait assumer car elle en a la légitimité et la compétence, malgré les tentations très gauloises de dispersion qui la caractérisent.

Préserver l'accessibilité aux ressources génétiques végétales, renforcer les moyens, coordonner les équipes, monter en puissance et en visibilité doit donc désormais constituer une priorité nationale si la France veut continuer à développer cette filière d'excellence et jouer un rôle significatif dans les problématiques environnementales, sociétales et alimentaires de ce XXIe siècle.

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