Intervention de Gaspar Gascon Abellan

Réunion du 6 avril 2016 à 17h00
Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

Gaspar Gascon Abellan, membre du comité exécutif et directeur de l'ingénierie du Groupe Renault :

Je voudrais tout d'abord vous remercier de m'avoir invité à m'exprimer devant votre mission d'information ; cela me permettra d'apporter ma contribution à la réflexion engagée par l'Assemblée nationale. Nous avons été heureux de vous accueillir dans notre centre technique de Lardy, et nous nous préparons à vous faire découvrir notre usine de mécanique de Cléon, le 11 avril prochain. Vous avez une bonne connaissance du sujet et avez procédé à un grand nombre d'auditions.

Notre président-directeur-général, M. Carlos Ghosn, a eu l'honneur, le 17 février dernier, de présenter la stratégie de Renault devant la commission des affaires économiques et la commission des finances de votre assemblée. Il a souligné que le groupe Renault est financièrement sain et solide : nos résultats financiers pour 2015 sont positifs, avec un chiffre d'affaires de plus de 45 milliards d'euros, en progression de 10,4 % et une marge opérationnelle de 5,1 %, soit 2,3 milliards d'euros. Renault a réussi le renouvellement de sa gamme avec des voitures qui plaisent : 2,8 millions de véhicules vendus en 2015, record pour le groupe.

Nos objectifs sont clairs : conforter Renault comme première marque automobile française dans le monde, positionner le groupe de manière durable comme deuxième marque automobile en Europe, installer l'alliance Renault-Nissan dans le Top 3 des constructeurs automobiles mondiaux. En tant que patron de l'ingénierie de Renault, je suis fier de contribuer avec mes équipes à ce résultat.

Comme vous pouvez vous en douter en m'écoutant, je viens de l'autre côté des Pyrénées, j'ai effectué toute ma carrière d'ingénieur chez Renault avant d'arriver au poste de directeur de l'ingénierie, dont la mission consiste à transformer les souhaits du client en véhicules, produits en grande série, répondant à ses attentes en matière de prestations, et rentables pour l'entreprise.

Pour mener à bien cette mission, Renault a investi l'an dernier 2,3 milliards d'euros en recherche et développement. La France est une base très importante, qui concentre plus des trois quarts de nos dépenses de R&D, ainsi, l'ensemble des activités de recherche et développement de l'ingénierie mécanique, c'est-à-dire les moteurs et boîtes de vitesses s'y trouve.

Je rappelle que la France reste le premier marché du groupe, avec 22 % des ventes en 2015, et son premier pays producteur.

L'ingénierie de Renault en France, ce sont près de 6 000 ingénieurs et techniciens, répartis sur cinq sites en Île-de-France, le Technocentre étant le centre névralgique de cette organisation. Concrètement, les activités de l'ingénierie vont de la recherche amont jusqu'à l'industrialisation du véhicule, en passant par les essais sur piste, la validation et la mise au point, c'est-à-dire l'ensemble de la chaîne de valeur.

Il est important de souligner que Renault et son ingénierie s'impliquent fortement dans les trente-quatre plans industriels annoncés par le gouvernement français en 2013, et plus particulièrement le plan « véhicule autonome » – piloté par M. Carlos Ghosn lui-même –, le plan « véhicule deux litres aux 100 km » – piloté par Gilles Le Borgne de PSA et moi-même – et le plan « infrastructure de charge », auquel Renault contribue activement.

Le groupe Renault dispose de cinq centres de recherche dans le monde : en France, mais aussi au Brésil, en Corée du Sud, en Inde et en Roumanie. En dépit de l'attractivité des quatre centres basés à l'international, tant pour la compétence de leurs ingénieurs, que pour leurs structures de coûts, le groupe a fait le choix de maintenir en France plus des trois quarts de sa R&D mondiale.

Dans ce contexte, le crédit d'impôt recherche (CIR) est un facteur essentiel, qui a permis à Renault d'être bien placé dans la course mondiale à l'innovation, de ne fermer aucun site en France – contrairement à d'autres constructeurs également bénéficiaires du CIR – et de créer des emplois. Le CIR permet de réduire de 11 % le coût de l'ingénierie en France. Ce coût est intégré dans nos équations économiques et dans les arbitrages internes relatifs à la localisation des projets de recherche et développement au sein des différents centres de recherche du groupe.

Enfin, Renault dépose environ 600 brevets chaque année en France, ce qui marque la force de la recherche et développement du groupe.

Après Twingo, Clio et Captur, en 2014, l'année 2015 a vu arriver dans les concessions le fruit de plusieurs années de travail de l'ingénierie, avec cinq nouveaux véhicules : Espace, Kadjar, Talisman, Kwid et Duster Oroch. Deux d'entre eux, Espace et Talisman, pour le haut de la gamme, sont produits en France, à Douai. Tous ces véhicules ont marqué un tournant pour Renault en matière de design, d'attractivité pour les clients, et ce sur tous nos marchés.

Cette cadence n'a jamais été aussi intense chez Renault, en particulier pour son ingénierie, ce qui a demandé des efforts importants. Cela en valait la peine et nous étions prêts à le faire et à le faire bien.

Le Kadjar, notre sport utility vehicle (SUV) du segment C, s'est déjà vendu à 90 000 exemplaires, et figure sur la liste du « Top 10 » des ventes en France, et le Nouvel Espace enregistre quatre fois plus d'immatriculations que sa version précédente en 2014.

Il est encore trop tôt pour parler des ventes de Talisman, mais l'entreprise attend beaucoup de ce véhicule élu plus belle voiture de l'année 2015 en France.

Quant à Kwid, notre nouveau véhicule d'entrée de gamme en Inde, ses commandes ont largement dépassé nos attentes pour atteindre les 122 000 unités, en cinq mois de commercialisation seulement. La version pick-up du Duster, baptisée Oroch, est très bien accueillie en Amérique latine et a été élue pick-up de l'année.

L'année 2016 sera encore plus intense, avec le lancement de dix nouveaux véhicules : en Europe, nous avons lancé la nouvelle Mégane, et nous lancerons le nouveau modèle du Scenic, qui constitue une vraie rupture.

Par ailleurs, nous sommes de retour en formule 1, qui sera au coeur de nos efforts pour accroître la notoriété de notre marque. Ce sera également un accélérateur de transfert de technologies de la piste à la route. Le sport automobile et les voitures de sport sont profondément ancrés dans l'héritage du groupe Renault. C'est pour cela que nous avons annoncé en février la relance d'Alpine, qui permettra d'élargir l'offre du groupe et d'attirer de nouveaux clients passionnés de sport automobile. La voiture, qui sera dévoilée d'ici la fin de l'année 2016 et vendue en 2017, sera fabriquée dans son usine d'origine à Dieppe. Les équipes de Renault sport technologies, installées aux Ulis, sont partie intégrante de l'ingénierie de Renault, et sont en charge du développement des gammes Renault Sport et Alpine.

Concernant les moteurs et transmissions, 2015 a vu la sortie de notre nouveau moteur diesel à double turbo dCi 160 CV qui équipe notamment l'Espace, illustration de notre stratégie de downsizing consistant à diminuer la cylindrée en conservant les performances, dans le but de réduire la consommation, donc les émissions de dioxyde de carbone (CO2). Les motorisations essence ne sont pas en reste : après le renouvellement de nos petits moteurs essence et l'arrivée des trois cylindres de moins d'un litre de cylindrée, nous avons lancé un moteur 1.6 litres à turbo-injection directe pouvant développer jusqu'à 220 CV. Ces moteurs sont souvent associés à nos nouvelles boîtes de vitesses automatiques à double embrayage DCT (Dual clutch transmission), technologie la plus économe en consommation.

Nous avons également lancé la production de notre premier moteur électrique Renault conçu en interne, et produit à Cléon, en Normandie. Ce moteur, proposé sur Zoé, présente une efficacité énergétique améliorée qui permet d'augmenter l'autonomie du véhicule électrique. Enfin, nous avons annoncé à Genève l'introduction de l'hybridation 48 V qui sera lancée cette année sur le Scenic et la Mégane.

Les résultats sont au rendez-vous et à la hauteur de nos espérances, grâce au renouvellement de la gamme et à une couverture géographique équilibrée et robuste.

L'alliance Renault-Nissan, en consacrant un budget annuel à la recherche et développement et à l'investissement de plus de 10 milliards d'euros, a une puissance de frappe significative.

Un enjeu-clé de l'industrie automobile consiste bien évidemment à limiter les impacts environnementaux des voitures sur l'ensemble de leur cycle de vie.

Le premier impact est l'utilisation des ressources ; la réponse est le développement de l'économie circulaire. Aujourd'hui, plus de 30 % de la masse des véhicules produits est constituée de matériaux recyclés. Les véhicules en fin de vie sont valorisables à 95 %. Nous recyclons en boucle certains métaux ou matériaux critiques comme le cuivre, les aciers ou les plastiques. Notre usine de Choisy-le-Roi a débuté en 1949 son activité de rénovation de pièces mécaniques permettant de proposer au client des pièces de réemploi dites d'« échange standard », à moindre coût par rapport aux pièces neuves.

Le deuxième impact est le réchauffement climatique, imputable aux émissions de gaz à effet de serre, essentiellement le CO2 : la réponse est la réduction de la consommation de carburant.

Le rôle de l'ingénierie est de concilier en permanence des contraintes contradictoires : ainsi, la consommation de carburant est intrinsèquement liée à la masse du véhicule. L'allègement des véhicules est donc une priorité. Mais en parallèle, les demandes des clients en termes d'équipements de confort, et les exigences de sécurité, telle la résistance au choc, vont plutôt dans le sens inverse. Dans ce contexte, nous sommes parvenus à gagner 250 kilogrammes sur l'Espace 5 par rapport à la génération précédente.

L'aérodynamique est également un axe de travail important pour la réduction de la consommation, car la forme la plus aérodynamique d'après les lois de la physique, c'est-à-dire la goutte d'eau, n'est pas la plus adéquate pour accueillir quatre, cinq ou sept personnes à bord !

Enfin, les moteurs et boîtes de vitesses font également l'objet de progrès permanents, visant à réduire les frottements, améliorer la combustion, réduire la cylindrée – le downsizing – et, enfin, associer une machine électrique au moteur thermique.

L'ensemble de ces trois axes de travail : allègement, aérodynamique, motorisation, s'est illustré en 2014 sous forme d'un véhicule de démonstration : Eolab, vitrine technologique de Renault sur ces sujets, et qui était le fruit, pour Renault, du programme « Véhicule deux litres aux 100 km ».

La réduction des émissions de CO2, c'est, pour le client, la réduction de la consommation de carburant, et, pour les constructeurs, une obligation réglementaire, avec à l'horizon 2020 un objectif très ambitieux nécessitant de proposer au choix du client des technologies variées : essence, diesel, hybridation plus ou moins poussée, jusqu'au véhicule 100 % électrique, sur lequel je reviendrai.

Les politiques publiques liées plus ou moins directement à ces technologies, et notamment la fiscalité, doivent évoluer à un rythme compatible avec la vitesse de nos développements et supporter le déploiement des nouvelles technologies. L'industrie automobile a besoin de visibilité lui permettant d'anticiper.

Enfin, le troisième impact est la qualité de l'air, et les émissions polluantes liées à la combustion : la réponse, depuis quarante ans, consiste à limiter la production de polluants par le moteur, et en parallèle à les traiter dans la ligne d'échappement : pot catalytique, filtre à particules.

À cet égard, dans le contexte d'une réglementation de plus en plus complexe à appréhender par les citoyens, et d'une fraude de la part d'un de nos concurrents, qu'il me soit permis de saluer le travail de la commission technique indépendante. Cette commission procède actuellement à des essais sur 100 véhicules, dont 25 produits par Renault, reflétant notre part de marché en France. Elle a pu établir, sur la base des premiers tests réalisés sur nos véhicules, que Renault n'a pas équipé ses véhicules de logiciel de fraude ; le groupe respecte la réglementation et les normes en vigueur, au fur et à mesure de leur évolution.

Ces essais ont mis en évidence le fait que nous avions des marges de progression possibles en matière d'émissions d'oxydes d'azote sur nos véhicules devant répondre à la norme Euro 6 b. Le groupe Renault a annoncé hier un ensemble d'actions de réduction significative de ces émissions, sans impact perceptible sur la performance ou la consommation. Elles seront appliquées en usine sur les véhicules diesel à partir du mois de juillet 2016.

À compter du mois d'octobre 2016, les clients déjà en possession d'un véhicule diesel Euro 6 b pourront également bénéficier, sans frais, de ces évolutions via un simple passage dans notre réseau.

Par ailleurs, le groupe Renault développe de nouvelles technologies pour préparer la prochaine étape Euro 6 d qui devrait entrer en vigueur en septembre 2017 pour les nouveaux types, et nous étendrons à l'ensemble de nos véhicules la technologie SCR déjà présente sur nos utilitaires Trafic et Master, ainsi qu'un nouveau système EGR.

S'agissant des émissions de polluants et de CO2, la réponse ultime est, bien sûr, le véhicule électrique, qui par définition garantit l'absence d'émissions de gaz d'échappement. Avec plus de 4 milliards d'euros investis depuis 2008, l'Alliance est pionnière et N° 1 mondial dans le domaine, avec un véhicule électrique sur deux vendu dans le monde, Renault occupant la première place en Europe. La France, grâce à l'action de l'État pour soutenir le développement des infrastructures de charge et les aides à l'achat pour le consommateur, est devenue au premier trimestre 2016, le premier marché européen devant la Norvège.

Le véhicule électrique reste plus que jamais une priorité pour Renault. Les investissements en cours permettront à court terme de doubler l'autonomie ; ce progrès lèvera un des freins à l'achat et facilitera le déploiement de cette technologie à plus grande échelle.

L'innovation sur le véhicule connecté et le véhicule autonome va également se poursuivre chez Renault. D'ici 2020, l'Alliance lancera plus de dix véhicules équipés à des degrés divers de la conduite automatisée.

La personnalisation de la voiture va bouleverser notre marché, comme le smartphone a bouleversé celui des terminaux mobiles. L'an prochain, la première gamme de « systèmes multimédias de l'Alliance », verra le jour. Elle fournira les systèmes multimédias et de navigation les plus modernes, intégrant complètement les smartphones.

Dans le domaine du véhicule autonome, nous nous engageons vers le « contrôle de voie unique », fonction qui permet à la voiture de rouler de façon autonome et sans risque dans le trafic autoroutier. Le 14 avril prochain, nous aurons le plaisir d'en faire la démonstration aux ministres des transports européens réunis à Amsterdam pour le conseil informel des ministres des transports.

En 2018, les technologies évolueront vers le « contrôle de voies multiples ». Cette fonction permettra de négocier automatiquement en fonction des besoins des changements de voie sur autoroute. Enfin, à partir de 2020, des véhicules complètement autonomes, y compris en ville, pourront être mis sur le marché, ce qui nécessitera des évolutions réglementaires.

Notre objectif est plus que jamais de développer des voitures innovantes et accessibles pour tous.

Enfin, avant d'entendre vos questions et d'y répondre, je soulignerai simplement que c'est une fierté pour la recherche et développement de notre groupe – qui est française à plus de 75 % – d'être aux avant-postes des enjeux du véhicule du futur, un des objets d'étude de votre mission d'information.

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