Intervention de l'amiral Édouard Guillaud

Réunion du 11 juillet 2012 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

l'amiral Édouard Guillaud, chef d'état-major des armées :

Monsieur Rousset, je vous rejoins sur la volonté allemande de renationalisation de son industrie, en particulier dans le domaine spatial. OHB, société créée quasiment ex nihilo, concurrence aujourd'hui Astrium et Thales Alenia Space.

S'agissant de la mutualisation de la maintenance aéronautique pour les trois armées, nous ne sommes pas allés au bout du chemin, mais le train est lancé. La région de Bordeaux est très concernée et le processus avance. Cela dit, pour ne rien vous cacher, il subsiste quelques petites réticences de culture d'armée, mais je m'emploie à maintenir la dynamique et nous avançons. Tout cela prend du temps.

Sur les drones et l'Atlantique 2, vos informations sont parcellaires. Aucun drone ne peut faire ce que sait faire l'Atlantique 2, et aucun ne pourra le faire à court terme, même au prix d'énormes investissements comme les réalisent les Américains. Du reste, opérationnellement, ce serait complètement inadapté aux besoins. Les drones MALE sont quasiment les seuls à pouvoir faire certaines choses, mais je n'en ai pas assez. J'ai en revanche un vrai besoin dans les domaines de l'infrarouge, de l'électro-optique, des écoutes électroniques, des différentes sortes de radars. On voit le drone, mais c'est un peu la partie émergée de l'iceberg : on oublie la station au sol, qui coûte aussi cher, voire plus, on oublie les tuyaux satellites – tous les satellites de télécommunication n'étant pas dans la même gamme de fréquences, ils ne sont pas tous utilisables ! En outre, face à un marché qu'ils pressentent intéressant, les industriels français et européens ne cherchent pas à s'allier entre eux. Et nous ne pouvons même pas profiter de la concurrence pour obtenir de meilleurs délais, des prix plus bas et régler le problème de la performance. L'Atlantique 2 présente un intérêt : c'est le même avion que l'on peut utiliser au-dessus du Sahel, en Libye comme PC volant pour contrôler les raids, pour assurer la sûreté des sous-marins de la Force océanique stratégique et de nos approches, protéger le porte-avions ou faire de la lutte anti-piraterie. Je ne pense pas qu'un drone serait aussi polyvalent ! De toute façon, il est aujourd'hui nettement moins coûteux de moderniser l'Atlantique 2 que de construire un nouvel avion. Y aura-t-il un jour un Atlantique 3 et sous quelle forme ? Cette question ne se pose pas encore. Les Américains ont trouvé un successeur beaucoup plus lourd à leur quadrimoteur, sous forme d'un Boeing 737 qu'ils appellent le P8.

S'agissant des opérations extérieures, l'impact du retour d'Afghanistan pour l'armée de terre sera difficile à gérer et c'est en partie une question de commandement. Cela ne sera pas simple et cela fait l'objet d'une attention particulière. Nous allons jouer sur les jours d'activité en entraînement opérationnel pour conserver la motivation et les savoir-faire. Nous constatons une baisse de moral – c'est humain ! – et nous en sommes conscients, mais je fais confiance au chef d'état-major de l'armée de terre. Cela dit, nos armées restent déployées sur un certain nombre de théâtres.

Sur le Sahel, le ministre des affaires étrangères a fait des déclarations qui reflètent les préoccupations du chef des armées. Que devient le Mali ? Comment va-t-il évoluer ? Personne ne le sait aujourd'hui. Nous sommes présents dans la région, pas au Mali. Nous avons conservé un pôle de coopération opérationnelle à Dakar, même si c'est Libreville, au Gabon, qui est devenue notre base principale. Nous avons ainsi la possibilité de travailler avec la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) si cela nous est demandé.

Je ne peux bien sûr pas préjuger de ce qui sera dans le futur Livre blanc, mais deux solutions sont possibles si nous voulons conserver une certaine influence : la solution historique française des forces prépositionnées, qui permet l'acculturation des troupes déployées, ou la solution américaine, sans empreinte visible consiste à avoir des flottes entières avec des divisions de marines qui partent pour six mois. Le coût d'une telle solution est phénoménal. Le prépositionnement me semble donc une bonne chose.

Vous m'avez aussi interrogé sur l'évolution et le calendrier de l'Europe de la défense. Je rencontre plusieurs fois par an mes homologues dans le cadre de l'Union européenne et nous sommes prêts à faire beaucoup de choses. Mais cela fait trop longtemps que les initiatives prises peinent à déboucher ou bien souvent sur des structures inutilisables. Au mois de mai dernier, nous avons fermé l'Eurofor. Cela faisait ainsi plus de dix ans que nous avions vingt militaires à Florence ! Il y a eu beaucoup d'initiatives ces dernières années, mais je vais commencer par vous dire ce qui fonctionne.

Cela fait des années que l'on essaie de déployer la brigade franco-allemande. Nous n'avons pas réussi à le faire en Afghanistan pour deux raisons : d'abord, les Allemands étaient dans le nord du pays alors que nous étions dans l'est ; ensuite, les règles d'engagement, donc les consignes d'ouverture du feu, n'étaient pas les mêmes pour les Allemands et pour les Français. À l'inverse, au Kosovo, la brigade franco-allemande a engagé deux compagnies françaises et trois compagnies allemandes. C'est une idée que mon homologue allemand et moi-même avions proposée à nos ministres pour préserver cette flamme. Si l'on veut que cette brigade fonctionne, il faut l'utiliser, et non la laisser dans un camp d'entraînement.

Et l'on peut imaginer une coopération franco-allemande ou franco-britannique dans d'autres domaines que l'infanterie mécanisée. Techniquement, cela ne présente pas de grandes difficultés militaires. Avec les Allemands, nous avons ainsi commencé à rapprocher nos deux services de santé des armées ; d'abord, parce que nos deux pays estiment être au même niveau ; ensuite, parce que l'approche de la médecine est la même en Allemagne et en France. En termes de médecine d'urgence, les Anglo-saxons ont une conception très différente. Avec les Allemands, des échanges de chercheurs ont déjà lieu entre nos laboratoires et il semble possible d'envisager avoir des laboratoires communs, des hôpitaux militaires communs : en opération, il est plus facile de déployer un hôpital militaire commun qu'une brigade mécanisée – la question de l'ouverture du feu ne se pose pas !

Je ne sais si nous parviendrons à faire la même chose dans d'autres domaines. Nous réfléchissons à certaines idées, mais dans la mesure où elles sont plutôt françaises, je souhaite en réserver la primeur à mes interlocuteurs européens. La construction de l'Europe de la défense doit à la fois venir du haut – c'est l'ambition politique – et partir du bas, en espérant que cela se rejoigne ! Une autre bonne surprise. Le 1er septembre 2010, nous avons ainsi créé l'EATC – European Air Transport Command – qui est basé à Eindhoven aux Pays-Bas. C'est une bourse d'échange de transports aériens militaires. Cela nous paraissait un peu baroque au départ, mais en décembre 2010, après l'élection présidentielle en Côte d'Ivoire, lorsque nous avons, à la demande de l'ONU, envoyé trois compagnies de combat supplémentaires pour aider la mission de l'ONU à Abidjan, l'ONUCI, nous avons utilisé des avions néerlandais, belges et allemands, mais pas un seul français. À l'inverse, deux mois plus tard, c'est nous qui transportions les Belges à l'autre bout de l'Afrique dans une zone où nous ne sommes pas d'habitude. Donc, cela fonctionne et c'est un Français, le général Valentin, actuel patron de l'École de guerre, qui prendra le commandement de cette structure le 1er août. Cela fonctionne d'ailleurs tellement bien que nous souhaiterions faire la même chose avec les ravitailleurs en vol, mais cela risque d'être un peu plus compliqué.

Quant au calendrier, le plus vite sera le mieux. Mais la question de la souveraineté est souvent posée : comment faire pour récupérer ses forces en cas de besoin ? Chaque pays y est attaché, selon sa géographie, son histoire, ses capacités industrielles, et selon sa propre conception de la souveraineté.

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