Les deux propositions de loi, l'une organique, l'autre ordinaire, ont été adoptées par le Sénat le 4 février. Elles sont issues des conclusions d'une commission d'enquête. Je rappelle que nos collègues René Dosière et Christian Vanneste ont également mené par le passé des travaux sur les autorités indépendantes.
Que contiennent les textes dont nous sommes saisis ?
Ils affirment la compétence du législateur pour créer des autorités administratives indépendantes (AAI). Jusqu'à présent, les autorités étaient soit créées par la loi, soit reconnues comme telles a posteriori par la loi, la jurisprudence ou la doctrine administrative. La proposition de loi du Sénat constitue donc une avancée, d'autant que, chacun doit l'avoir à l'esprit, ces autorités constituent une exception au principe énoncé à l'article 20 de la Constitution, aux termes duquel le Gouvernement, responsable devant le Parlement, détermine et conduit la politique de la nation et dispose pour ce faire de l'administration.
On distingue plusieurs familles d'autorités administratives indépendantes et d'autorités publiques indépendantes (API). Elles ont en commun d'être de nature administrative et de disposer d'un pouvoir de décision qui peut s'étendre à la régulation ou à la sanction. Elles se répartissent en deux grandes catégories, celles protégeant les libertés publiques et celles chargées de la régulation des activités économiques.
Le rapport dresse la liste des autorités répondant à des obligations et des engagements européens ou internationaux – elles sont au nombre de seize, trois pour nos engagements internationaux et treize pour nos engagements européens. Je souligne toutefois que la quasi-totalité de ces engagements ne contraignent pas à la création d'une AAI, mais à celle d'une entité administrative. Certains pays européens ont ainsi institué une seule entité pour satisfaire à plusieurs obligations.
Ensuite, les textes créent un statut général des AAI. Si je partage l'objectif poursuivi par le Sénat, je me dois de vous dire que les textes ne remplissent pas cet objectif. Ils prévoient des dispositions de nature à définir un statut général, tout en y ajoutant la mention « sauf disposition contraire », qui permet de les contourner. À l'issue du travail que j'ai réalisé durant la suspension des travaux en auditionnant toutes les autorités, et je vous remercie monsieur le président d'avoir accepté pour cela de décaler la réunion de Commission, je vous propose de supprimer cette mention afin de garantir un socle de règles qui s'appliquent à chacune des autorités.
S'agissant des incompatibilités, le Sénat a, si vous m'autorisez l'expression, voulu laver « plus blanc que blanc ». Des dispositions prévoient à juste titre le déport en cas de conflit d'intérêts, mais nous devons rechercher un équilibre entre les compétences et la neutralité des membres des collèges. Le Sénat, me semble-t-il, est allé très loin, par exemple en interdisant à toute personne ayant eu par le passé un intérêt dans un secteur de poser sa candidature à l'autorité correspondante. Cela revient, dans les faits, à écarter les personnes compétentes. Cet écueil est particulièrement flagrant pour les autorités transversales : dans le cas de l'Autorité de la concurrence, toutes les personnes ayant une expérience dans le secteur privé seraient privées de cette possibilité ! En outre, le texte du Sénat prévoit qu'en cas d'incompatibilité il est mis fin aux fonctions du membre visé dans un délai de trente jours. Pour reprendre mon exemple, si le texte était appliqué, cinq membres de l'Autorité de la concurrence devraient donc être démis de leurs fonctions – y compris le président, en vertu d'une autre règle selon laquelle un membre du Conseil d'État, de la Cour des comptes ou un magistrat ne peut siéger que s'il est désigné en cette qualité. Le texte proposé par le Sénat introduit des rigidités dans le recrutement qui me paraissent considérables.
En outre, le texte prévoit que le mandat de membre d'une autorité n'est pas renouvelable. S'il n'est évidemment pas question de favoriser les carrières au sein des AAI, j'ai été frappé par les témoignages pointant des contentieux de plus en plus complexes et lourds, y compris sur le plan financier, et la nécessité, pour y faire face, de compétences bien établies. Il me paraît donc excessif de proscrire le renouvellement du mandat. Je vous propose donc de prévoir qu'il soit renouvelable une fois.
Enfin, le texte interdit aux membres d'AAI, pendant trois ans à l'issue de leur mandat, de tirer profit des compétences qu'ils ont acquises. Cette disposition a pour conséquence de limiter le recrutement aux fonctionnaires, aux préretraités ou aux retraités.
Je vous proposerai donc des amendements pour rétablir un équilibre entre la compétence des membres des collèges et leur neutralité.
Autre sujet, l'efficacité. Nous manquerions à notre devoir de parlementaire si nous ne posions pas la question de l'existence et du périmètre des AAI. Ceux de nos collègues qui ont travaillé sur ce sujet ont pu constater que les AAI ont été créées au fil de lois plus ou moins cohérentes, parfois sous le feu de l'actualité ou de l'ouverture d'un marché à la concurrence, sans que jamais le Parlement ne se pose les questions suivantes : toutes ces autorités sont-elles bien nécessaires ? Certaines compétences ne pourraient-elles pas être rapatriées dans les administrations de l'État ? Ne serait-il pas rationnel de regrouper un certain nombre d'autorités par pôle de compétences ? C'est un sujet difficile. Je n'irai pas jusqu'à dire que, comme derrière chaque niche fiscale, derrière chaque AAI se cachent un certain nombre d'intérêts, mais je ne suis pas loin de le penser. Dans le dialogue très constructif que j'ai eu avec le Gouvernement, j'ai fait valoir qu'on ne pouvait pas demander à l'Assemblée nationale de fermer les yeux sur ce problème. Je vous propose des solutions pour avancer. Le Parlement doit se prononcer.
Les auditions m'ont également permis de constater que certaines autorités administratives conservent un grand de train de vie, faisant fi des efforts qui sont demandés à l'État. Inversement, d'autres AAI sont pleinement conscientes de la nécessité de rationaliser leurs dépenses : le Médiateur national de l'énergie a ainsi réduit ses dépenses de fonctionnement de 14 % en trois ans, tandis que l'Autorité de la concurrence coûte 20 millions d'euros à l'État pour lui rapporter un milliard, comme me l'a fait remarquer son président. Toutes les AAI ont accepté que soient rendues publiques dans le rapport les réponses au questionnaire que je leur ai adressé, à l'exception de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), qui vous fait savoir que vous devez vous adresser à la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) si vous souhaitez avoir connaissance de ces informations… Certaines AAI mettent en avant les nouvelles compétences qui leur sont confiées à l'appui de leur demande de créations de postes. Or, toutes les entreprises se voient imposer des obligations nouvelles, et elles rationalisent ou économisent pour s'y conformer. Je le dis très clairement à toutes les autorités indépendantes : à l'heure de la numérisation, chaque nouvelle compétence ne saurait justifier des créations de postes.
Je proposerai même, par un amendement, que figurent dans les rapports annuels des AAI des schémas pluriannuels de mutualisation des moyens et d'optimisation des dépenses. Nous demandons aux collectivités territoriales de mutualiser ; il est indispensable que cette logique prévale aussi pour les AAI. J'ai entendu des choses qui m'ont beaucoup choqué : on m'a ainsi expliqué que les fonctions support ne pouvaient pas être communes parce que les documents d'une autorité indépendante ne doivent pas être vus d'une autre. Je ne peux pas entendre un tel argument. Au minimum, toutes les fonctions support doivent être mutualisées. Le Parlement doit s'exprimer très clairement sur ce point.
J'ai vécu lors des auditions des moments d'échange très riches. Certains hauts fonctionnaires ont réclamé l'appui du Parlement, faute duquel, disent-ils, dans les négociations budgétaires avec les AAI, le président de l'autorité utilise l'entregent qui a favorisé sa désignation pour obtenir un arbitrage favorable lorsque des économies lui sont demandées. Les AAI doivent participer à l'effort général de redressement des finances publiques. Quand bien même elles ont à assumer des obligations supplémentaires, elles doivent gagner en efficacité, comme le font les administrations d'État, les collectivités locales et les entreprises de notre pays.
J'ai eu hier une réunion de travail avec le secrétaire général du Gouvernement et le cabinet du ministre, et ce matin avec le ministre lui-même. Je pourrai au cours du débat vous indiquer les points de désaccord qui demeurent et les points d'accord. Je vous remercie par avance de l'attention que vous porterez aux débats.