Intervention de l'amiral Édouard Guillaud

Réunion du 11 juillet 2012 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

l'amiral Édouard Guillaud, chef d'état-major des armées :

Les forces nucléaires stratégiques ont de façon ininterrompue été un formidable moment d'entraînement technologique de la France depuis le début des années soixante. S'il n'y avait pas eu le M1, le M2 et le M20, il n'y aurait pas eu Ariane 2. S'il n'y avait pas eu le S3 du plateau d'Albion, il n'y aurait pas eu Ariane 3. S'il n'y avait pas eu le M4 et le M45, il n'y aurait pas eu Ariane 4. Et cela continue ! C'est la raison pour laquelle le M51 sera rénové à terme – je ne peux pas vous donner de date. Mais il n'y a pas que l'aspect spatial. Si Bull est devenue l'une des meilleures industries dans le monde de calculateurs de très grande puissance, c'est parce que la dissuasion nucléaire a financé un programme de simulation et que nous avons, à l'époque, refusé d'acheter ces produits au Japon ou aux États-Unis. De plus, ô surprise, les produits des laboratoires français ont été livrés six mois plus tôt ; ils étaient 10 % moins chers et plus puissants ! Il ne faut donc jamais oublier ce formidable effet d'entraînement. S'il n'y avait pas eu la force nucléaire stratégique, la France n'aurait sans doute pas pu développer seule les commandes de vol électriques du Mirage 2000. Et c'est aussi ce qui a donné naissance aux commandes de vol électriques d'Airbus. Et je ne parle pas du Laser Mégajoule et de la Route des Lasers, qui sont des lasers civils, dans la région de Bordeaux. Si nous supprimions la force nucléaire stratégique, il faudrait de toute façon dépenser de l'argent pour obtenir le même résultat dans ce domaine. Nous ne réaliserions donc pas les économies que certains imaginent !

Pour vous répondre plus précisément, monsieur Folliot, oui tout a été financé. La modernisation est terminée pour la composante aéroportée et elle va s'achever pour le M51 avec ses nouvelles têtes. Les économies se feraient donc à terme. Ensuite, l'agrégat nucléaire, c'est-à-dire ce que la France dépense tous les ans pour sa dissuasion nucléaire, s'élève en moyenne à environ 3,4 milliards d'euros et cela couvre tout : depuis les laboratoires de recherche jusqu'à la fabrication, la mise en oeuvre et le démantèlement. Cette somme couvre tout le financement de la recherche fondamentale, de la recherche et technologie. Dans tous les États, seuls les ministères de la défense investissent sur dix, quinze ou vingt ans, délai nécessaire pour obtenir des réponses dans le domaine nucléaire. Aucune industrie privée ne peut se permettre d'attendre aussi longtemps. C'est nécessairement un domaine régalien. De plus, les stratèges sont des gens qui vivent à l'échelle d'une génération. Nous continuons à investir pour assurer les renouvellements nécessaires et il faudra donc sans doute ponctuellement un peu plus de 3,4 milliards d'euros annuels, mais, sur les vingt prochaines années, c'est une somme qui restera à peu près inchangée en euros courants. Et cela couvre tout, y compris les hommes de la Force océanique stratégique, les Rafale des Forces aériennes stratégiques, les missiles ASMP-A et M51. C'est presque bon marché !

J'en viens à l'aspect politique et stratégique. Je dis souvent qu'il est plus facile de faire se poser un Rafale sur l'aérodrome de Varsovie que de faire remonter la Vistule à un sous-marin nucléaire lanceur d'engins. Cela illustre bien la complémentarité des deux composantes. Et si la France est un jour menacée, l'on n'imagine pas que l'Allemagne et le Royaume-Uni ne se sentent pas aussi menacées. On peut donc parler de vocation européenne.

S'agissant de l'effort financier, il y a deux façons de voir les choses : soit l'on obéit à une logique strictement comptable –une photo en noir et blanc, à un instant donné –, soit l'on regarde la vie avec les trois dimensions géométriques, plus le temps, plus les trois couleurs, plus la biologie. Vous pouvez vivre soit au jour le jour, soit avec une perspective. Je sais bien sûr où va ma préférence, mais c'est un choix qui ne dépend pas de moi.

Où faut-il placer le curseur et que faut-il sanctuariser ? J'aurais tendance à vous répondre que toute diminution du budget se traduira mécaniquement par un abandon de capacité. Il est difficile de demander à un militaire de choisir s'il préfère qu'on lui coupe la main droite ou la main gauche, en admettant qu'il soit ambidextre ! Je ne sais pas où il faut mettre le curseur. Nous allons devoir faire des choix difficiles et il sera plus facile de renoncer à certaines choses si nous sommes sûrs d'avoir accès aux capacités britanniques. Je cite les Britanniques car ils ont la même volonté politique, la même analyse géostratégique globale du monde que nous et des capacités équivalentes aux nôtres.

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