Intervention de Marie-Noëlle Battistel

Réunion du 26 avril 2016 à 17h15
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Noëlle Battistel, rapporteure :

Madame la présidente, mes chers collègues, la mission a été créée à la suite de l'avis négatif, donné en commission des affaires économiques, le 18 novembre 2015, à la proposition de loi de M. Yves Jégo tendant à favoriser la baisse de la production de C02 par le développement de l'effacement électrique diffus. La commission a considéré que l'adoption de cette proposition reviendrait à légiférer dans la précipitation. La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, votée en août dernier, contient en effet de nombreuses dispositions sur l'effacement électrique diffus, qui, pour la plupart, ne sont pas encore entrées en vigueur.

Ne souhaitant toutefois pas couper court au débat, la commission a créé cette mission d'information dans une démarche constructive avec les groupes minoritaires et d'opposition, pour entendre tous les acteurs concernés par l'effacement diffus – opérateurs d'effacement, fournisseurs d'électricité, gestionnaires de réseaux, autorités de régulation et consommateurs –, évaluer précisément les charges qui pèsent sur eux et estimer la nécessité de légiférer ou non dès maintenant pour modifier les dispositions de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

Depuis le mois de décembre, la mission a auditionné soixante-cinq personnes. Elle a effectué un déplacement à Capbreton, près de Biarritz, au siège de Smart Grid Energy, entreprise d'effacement industriel développant un modèle innovant d'effacement électrique diffus.

L'effacement électrique diffus n'est pas un sujet connu du grand public, contrairement à l'effacement industriel. Le présent rapport se veut être à la fois un exercice pédagogique présentant l'effacement électrique diffus, une évaluation de ses atouts et de ses faiblesses actuels, une réflexion sur la nécessité de modifier le cadre législatif et réglementaire relatif à l'effacement diffus ainsi qu'un travail prospectif sur ce que pourrait être l'effacement diffus dans les années à venir.

Un effacement de consommation consiste en une réduction temporaire du niveau de consommation électrique d'un site. Il existe différents types d'effacement. L'effacement industriel repose sur la réduction de consommation des sites industriels. L'effacement électrique diffus fait, lui, appel à l'agrégation de microcoupures chez les particuliers. Il s'agit, par exemple, d'interrompre brièvement, mais de façon synchronisée, l'alimentation de radiateurs, de chauffe-eau, ou de climatiseurs situés dans des logements pour réduire la consommation d'électricité d'une région ou d'un pays. Contrairement à l'effacement industriel qui a déjà fait ses preuves et montré son efficacité, l'effacement diffus fait face à de nombreuses difficultés pour se développer. C'est pourquoi notre mission s'est concentrée sur ce type d'effacement.

L'opérateur d'effacement peut être soit le consommateur lui-même, soit un tiers qui joue un rôle d'intermédiaire et de courtier. Il existe différentes catégories d'opérateurs d'effacement jouant ce rôle d'intermédiaire : opérateurs d'effacement indépendants – ce sont des entreprises dont l'effacement est l'activité principale – et opérateurs d'effacement également fournisseurs etou producteurs. L'articulation de l'action de l'opérateur d'effacement avec celle des autres acteurs du marché de l'électricité ainsi que la répartition du bénéfice tiré de l'opération d'effacement entre les acteurs sont au coeur des enjeux liés à 1'effacement électrique.

La France a développé l'effacement et créé un cadre pour les opérateurs d'effacement indépendants afin de répondre à une problématique spécifique qu'est la pointe électrique. Historiquement, la pointe est le problème majeur du système électrique français. Elle génère des émissions de C02 et suscite des coûts importants. Chacun ici se souvient de la pointe hivernale de 2012… L'effacement électrique diffus, en diminuant le recours à des moyens de production thermique à combustible fossile en France et à l'étranger, contribue à répondre au défi important de gestion de la pointe et par là même à diminuer les émissions de C02 et à réduire les contraintes d'acheminement sur les réseaux.

Pour développer l'effacement, la France a placé l'effacement, qu'il soit industriel ou diffus, sur le même plan que les moyens de production. Permettez-moi de rappeler brièvement le contexte législatif.

En 2013 est votée la loi, dite « Brottes », visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre. Cette loi définit, pour la première fois, un cadre pour les effacements explicites, c'est-à-dire permettant la valorisation de l'énergie effacée sur les marchés de l'énergie. Le principe d'une rémunération des fournisseurs par les opérateurs d'effacement est posé, ainsi que celui du versement d'une prime aux opérateurs d'effacement, alimentée par la contribution au service public de l'électricité (CSPE), au titre de leur contribution aux objectifs de la politique énergétique.

En juillet dernier, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte en a tiré les enseignements et a modifié la loi Brottes. La prime aux opérateurs a été remplacée par un système d'appels d'offres rémunérant les effacements de consommation du candidat retenu et dont les modalités sont fixées par arrêté des ministres chargés de l'énergie et de l'économie. Le système d'appel d'offres a l'avantage, à l'inverse de la prime, de mieux maîtriser les charges du soutien public, et donc l'impact sur la facture du consommateur, et de piloter le déploiement de la filière en volume. La loi a introduit également un régime dérogatoire qui permet de diminuer le versement des opérateurs d'effacement aux fournisseurs effacés en cas d'économie d'énergies significatives, ce régime n'étant pas cumulable avec les nouveaux appels d'offres.

L'effacement diffus peut donc être valorisé sur le marché de gros de l'électricité, sur le marché de l'ajustement, les services système et les appels d'offres capacitaires de Réseau de transport d'électricité (RTE). Il le sera bientôt sur le mécanisme de capacité, dans le cadre des nouveaux appels d'offres et du régime dérogatoire.

Le rapport dresse trois grandes conclusions.

La première conclusion est que l'effacement électrique diffus fait face aujourd'hui à de très grandes difficultés pour se développer.

Le modèle économique existant souffre de faiblesses structurelles importantes. Ce modèle repose sur l'existence d'un tiers, opérateur d'effacement qui installe chez les particuliers volontaires un boîtier. Ce boîtier est posé sans coût pour les consommateurs et est piloté à distance par l'opérateur d'effacement. Il permet à la fois de mesurer la consommation et de couper les installations électriques pendant dix à trente minutes. L'opérateur d'effacement agrège ensuite les microcoupures et les valorise sur différents mécanismes et marchés, dont le marché de gros de l'électricité. Les économies réalisées ne sont pas toujours vérifiées. Le consommateur n'est pas rémunéré directement par l'opérateur d'effacement à la suite de cette valorisation. Ce modèle avec installation d'un boîtier dédié à l'effacement diffus n'est pas rentable : les coûts sont très importants et dépassent fortement les bénéfices qu'il est possible de tirer de l'effacement électrique diffus. De plus, la quasi-totalité des acteurs auditionnés par la mission est d'accord sur ce point : le modèle économique actuel n'est pas assez centré sur les gains pour les consommateurs. Certains vont jusqu'à dire que les consommateurs peuvent subir des pertes de confort s'ils se font effacer, ainsi que des pénalités financières s'ils disposent d'un boîtier d'effacement mais refusent trop souvent de se faire effacer.

Le contexte actuel renforce les difficultés auxquelles fait face l'effacement électrique diffus. Les prix de marché de l'électricité ont tellement chuté que les offres d'effacement ne trouvent pas de valorisation suffisante, même en y ajoutant les diverses subventions.

Toutefois, et c'est la deuxième grande conclusion du rapport, ces difficultés ne doivent pas conduire la puissance publique à tuer dans l'oeuf une filière qui pourrait s'avérer utile à l'avenir. Le contexte du système électrique va nécessairement évoluer et pourrait recréer des espaces économiques de valorisation.

Le besoin d'effacements diffus pourrait augmenter en raison des nécessités d'intégration des énergies renouvelables sur le réseau. En effet, la variabilité de la production d'énergie renouvelable, du moins pour les filières éolienne et photovoltaïque, va imposer un pilotage accru des autres moyens – moyens de production, interconnexions, effacements ou stockage – pour assurer l'équilibre à tout instant de l'offre et de la demande résiduelle, c'est-à-dire de la consommation française diminuée de la production intermittente. Plus cette consommation résiduelle sera variable, plus la flexibilité du système devra s'accroître. Le besoin de flexibilité entraîne des possibilités de rémunération sans subvention pour les effacements via des mécanismes dédiés à la flexibilité ou sur le marché de l'énergie qui connaîtra des occurrences importantes de pics de prix. Le rapport de RTE sur la valorisation socio-économique des réseaux électriques intelligents a mis en évidence la rentabilité de l'effacement dans un contexte de transition énergétique ambitieuse, conforme à celui défini par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte et à un horizon 2030.

Grâce au progrès technique, il est possible d'envisager des modèles d'effacement diffus innovants qui permettent d'effacer d'autres appareils que les chauffages électriques à toute période de l'année, qui soient rentables économiquement, plus faciles à mesurer et à valoriser, et qui permettent au consommateur final de récupérer une partie des gains engendrés par l'opération d'effacement. Des entreprises innovantes développent des dispositifs de home management qui pourraient remplir un service d'effacement pour le système électrique. Lors de son déplacement, la mission a ainsi observé une expérimentation d'effacement diffus innovant reposant sur des puces intégrées dans des appareils électroménagers, en l'occurrence un réfrigérateur. Ces nouveaux modèles sont à encourager. Il serait, par exemple, envisageable de cibler les appels d'offres effacement diffus sur les dispositifs innovants de home management, notamment sur ceux permettant un couplage effacement - production locale - stockage.

La troisième conclusion à laquelle est arrivée la mission d'information concerne le rôle que peut jouer la puissance publique.

La première tâche de la puissance publique consiste à rappeler que la rémunération que verse l'opérateur d'effacement au fournisseur effacé est légitime. Le versement est la contrepartie du fait que le fournisseur injecte de l'électricité dans le réseau pour laquelle il n'est pas rémunéré puisque cette dernière n'est pas consommée. La baisse ou la suppression du versement que certains acteurs appellent de leurs voeux serait une subvention cachée aux opérateurs d'effacement.

Il est ensuite nécessaire d'attendre d'avoir certains retours d'expérience avant de modifier en profondeur le cadre mis en place par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Il faut d'abord attendre quelques années afin d'évaluer les dispositifs de la loi – nouveau mécanisme d'appels d'offres et régime dérogatoire – qui ne sont pas encore entrés en vigueur.

En plus du rapport de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) prévu par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, d'autres retours d'expérience seront disponibles d'ici à 2018 : les compteurs Linky et le marché de capacité. L'utilité de Linky pour le développement des effacements diffus sera mieux connue. Les compteurs Linky ne permettront pas directement de faire des effacements diffus mais seraient à même de les faciliter. Les opérateurs d'effacement pourraient, grâce au plugin de Linky, y brancher un appareil qui ne comporterait plus que la fonction effacement, la fonction paramétrage - mesure - comptage étant déjà assurée par le compteur lui-même. La valeur de la valorisation des effacements électriques diffus sur le marché de capacité sera aussi mieux connue dans quelques années. Rien ne sert de se précipiter dans un domaine où règne encore l'incertitude.

Le rapport demandé à RTE et à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) sur le déploiement des réseaux électriques intelligents permettra également d'affiner les éléments sur la rentabilité des solutions d'effacement de consommation. Afin, à la fois de gérer la pointe, de renforcer la flexibilité du système électrique et de faire des économies d'énergie, d'autres techniques que l'effacement électrique diffus dont la pertinence est avérée peuvent être également développées. L'efficacité énergétique est un moyen relativement simple de réduire nos consommations d'énergie et nos émissions de gaz à effet de serre. Cela passe notamment par une meilleure isolation des bâtiments. Les incitations tarifaires sont également extrêmement prometteuses pour la gestion de la pointe et la maîtrise de la demande d'énergie. Il faut faire en sorte d'avoir davantage recours aux effacements tarifaires. Le rapport propose donc de favoriser le développement de ces solutions et de veiller à ce que les aides à l'effacement diffus ne pèsent, à court terme, de manière trop importante sur les consommateurs. Il serait bon ainsi de faire en sorte que le montant de la prime aux opérateurs d'effacement dans les appels d'offres ne pèse pas plus fortement sur la CSPE que l'ancienne prime dite « prime Brottes ».

Force est de constater que la France a fait émerger un modèle novateur fortement concurrentiel où des tiers, opérateurs d'effacement, ont toute leur place à côté d'acteurs plus anciens dans le secteur de l'électricité. La France est en avance par rapport à tous les autres pays européens sur l'ouverture de son marché aux différents types d'effacement. Un tel modèle est à mettre en valeur sur la scène de la politique européenne de l'énergie alors que notre pays est souvent critiqué, à tort, sur son manque d'ouverture. Le cadre réglementaire et législatif français peut encore être complété pour encourager un plus grand nombre d'acteurs à créer des modèles d'effacement diffus innovants, en renforçant dès aujourd'hui la visibilité des acteurs du secteur quant à la mesure et à la valorisation des effacements.

Le rapport propose ainsi : d'améliorer la visibilité quant à la mesure des effacements en poursuivant les travaux engagés par RTE pour tester, agréer, contrôler et vérifier l'efficacité des méthodes de contrôle du réalisé et de mesure des effacements de consommation qui ne sont pas encore totalement calées ; de renforcer la visibilité des acteurs quant à la rémunération des effacements. Il serait bon de mettre en place, dans les appels d'offres créés par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, un prix plancher pour accroître la visibilité des entrepreneurs et des investisseurs. Il est également nécessaire, quand le marché de capacité français sera validé par la Commission européenne, de rechercher un consensus sur la façon dont les valeurs capacitaires pourront influer sur le résultat des appels d'offres d'effacement et, bien sûr, d'encourager l'efficacité énergétique et la réhabilitation thermique.

En conclusion, vous aurez compris que l'effacement diffus est un sujet extrêmement complexe et qu'il n'est pas le seul levier pour gérer la pointe. Les modes de soutien qui ont été prévus par la loi avaient été conçus sur la base d'un diagnostic du système électrique qui a évolué très rapidement depuis. Cela ne les disqualifie pas en tant que tels mais il faut ouvrir la porte aux solutions et recommandations mises en valeur dans le rapport. Il est nécessaire sur le sujet d'assurer une veille constante et de réactualiser la conclusion proposée dès que l'on aura plus de visibilité sur les évolutions pressenties.

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