Intervention de commissaire Christos Stylianides

Réunion du 27 avril 2016 à 16h45
Commission des affaires européennes

commissaire Christos Stylianides :

Vous avez raison de souligner que la crise des réfugiés et la question plus générale des migrations forment un tout. En tout état de cause, c'est un sujet décisif pour l'Europe.

Madame Karamanli, vous avez évoqué l'accord entre l'Union européenne et la Turquie. Permettez-moi de vous apporter une réponse un peu technique. Comme je l'ai dit, l'aide humanitaire qui fait l'objet de cet accord ne passe qu'à travers les canaux des organisations humanitaires partenaires de l'Union européenne, non à travers les canaux des États. Les autorités turques ont accepté ce point, qui était partie intégrante de notre négociation avec elles. Initialement, elles avaient pu croire que l'État serait mieux à même de gérer ce financement, en particulier dans les camps. Toutefois, la Commission européenne a insisté pour imposer le respect des principes de neutralité, d'impartialité et d'indépendance. C'est la base même de notre collaboration.

Il en va de même en Grèce. De notre point de vue humanitaire, ces principes ne sont pas négociables. Quant aux chiffres, sur les trois milliards d'euros prévus pour la Turquie, deux milliards d'euros sont imputés sur le budget de la politique de voisinage, et un milliard d'euros sur celui de l'assistance humanitaire. C'est sur ces derniers crédits qu'est financée l'instruction non scolaire (informal education). Mon collègue Johannes Hahn, commissaire en charge de la politique de voisinage, a déjà signé des contrats à hauteur de deux cents millions d'euros avec la Turquie ; ils portent sur les infrastructures et sur l'instruction scolaire (formal education), pour améliorer les conditions de vie des réfugiés.

L'instruction non scolaire constitue quant à elle une première étape pour les enfants, avant l'instruction scolaire qui permet aussi de leur apporter une protection. Au cours d'une visite sur le terrain, j'ai pu voir un projet de scolarisation concernant plus de deux mille enfants, qui reçoivent tous les jours à la fois des cours en arabe, en anglais, une formation aux sciences de l'information et, le cas échéant, du soutien psychologique, pour ceux d'entre eux qui en ont besoin. Car il ne faut pas sous-estimer ces aspects.

J'en viens aux nouveaux instruments et à notre rôle en Grèce. Vous le savez peut-être, l'instrument est un instrument spécifiquement dédié à l'aide humanitaire. Cette aide est fournie par les partenaires humanitaires, non par les États membres ; ainsi, même si la Grèce est un État membre, l'aide apportée en Grèce ne passe pas par les autorités grecques. Toutefois tout se fait en coordination avec elles : c'est ce qui différencie le processus dans les États membres du processus dans les autres États membres.

J'ai rencontré le premier ministre grec, M. Alexis Tsipras. Nous nous sommes entendus sur le fait qu'avant leur mise en oeuvre, nos projets devaient être discutés avec les autorités grecques. Un comité de suivi commun aux autorités grecques et aux partenaires humanitaires a été mis sur pied. Sa première réunion a été très fructueuse.

Bien sûr, nous apportons aussi de l'aide à la Grèce sur de nombreux plans, à travers le fonds consacré aux migrations et géré par mon collègue Dimitris Avramopoulos, à travers les fonds structurels gérés par ma collègue Corina Creţu ou encore à travers les fonds de cohésion sociale gérés par ma collègue Marianne Thyssen. Cette dernière était en Grèce hier pour proposer des solutions aux autorités grecques.

Je tiens en outre à souligner la générosité exemplaire des Grecs. De son côté, la Commission a un paquet d'ensemble, une stratégie holistique, pour apporter à la Grèce des réponses efficaces, même si des faiblesses s'y observent encore.

Venons-en à l'Afrique et à la proposition d'un plan Marshall formulée par M. Lequiller. Je suis complètement d'accord avec lui. Sans un tel plan, l'aide humanitaire et l'aide au développement ne pourront malheureusement suffire devant la croissance démographique sur place. Cela est particulièrement vrai au Nigéria ou en Éthiopie, où les projections démographiques laissent attendre une population de plusieurs centaines millions d'habitants dans les prochaines décennies. Ces observations valent également pour le Mali, le Tchad, le Cameroun et l'Égypte notamment.

Sur le plan stratégique, nous avons besoin d'un plan Marshall pour l'Afrique. Je l'ai évoqué à de nombreuses reprises. Toutefois, le projet doit être un projet mondial, qui fasse intervenir les Nations unies et non seulement l'Union européenne. En Afrique, le secteur privé s'engage. Madame la présidente, j'ai bien senti vos réserves quant à une possible recherche exclusive du profit par les entreprises. Les fonds publics seront-ils pourtant suffisants à eux seuls ? Je préconise donc une ouverture vers le secteur privé, pourvu qu'elle ait lieu dans un cadre législatif à l'échelle mondiale qui, à la fois, lui fournisse des incitations et lui impose des obligations. Je me suis entretenu à ce propos avec des représentants de Google et de Microsoft.

Jusqu'à présent, les flux ne sont passés qu'à travers certains fonds recherchant la responsabilité sociale. Ce n'est pas suffisant. Nous devons aborder la question au sommet d'Istanbul pour chercher à définir un cadre moral d'intervention du secteur privé. Le directeur général de l'UNICEF, M. Anthony Lake, a ainsi trouvé un moyen innovant de lever des fonds à Barcelone à travers les équipes de football. Grâce à cette initiative, l'UNICEF a gagné des ressources pour financer beaucoup de projets. Libérons-nous des idées préconçues pour dessiner le cadre moral à l'échelle mondiale que j'évoquais.

Vous avez évoqué les liens qui unissent la France à l'Afrique. J'en ai fait l'expérience sur place, en Afrique de l'Ouest, car j'ai assisté aux opérations de lutte contre le virus Ebola. Le projet européen spécifiquement mis en place en réponse à cette crise était fondé sur la résilience. Au Nigéria, il a eu de bons résultats. Grâce à lui, la croissance de l'économie locale se trouve réconciliée avec la réponse humanitaire. Mais nous avons besoin de plus de projets de ce type.

Vous m'avez également interrogé sur l'espace Schengen et le contrôle des frontières extérieures, sur le fond du récent accord de réadmission passé avec la Turquie. Je ne suis pas familier de ces questions qui ne relèvent pas de mon portefeuille. Je pense cependant que les contrôles aux frontières extérieures sont le meilleur instrument pour éviter la destruction du projet européen. L'agence Frontex joue déjà un rôle important dans ce domaine.

Le mois dernier, elle a passé un accord de coopération avec l'OTAN qui a apporté un grand mieux en mer Égée, où la situation s'est beaucoup arrangée. Aussi devons-nous continuer de garder les frontières extérieures sous notre contrôle. Ma collègue Federica Mogherini, Haute-représentante pour les affaires étrangères, s'est exprimée en ce sens.

En coordonnant les activités de l'agence Frontex, du Bureau européen d'appui pour l'asile et les mesures prises dans le cadre de l'opération Sophia, opération militaire de l'Union européenne dans la partie sud de la Méditerranée, nous améliorerons nettement nos capacités, en particulier en mer. L'amélioration de la situation à Lampedusa en témoigne.

Tout en essayant de négocier avec cet acteur-clé que constitue la Turquie, nous n'avons pas sous-estimé le rôle du Liban et de la Jordanie. Au Liban, dans le Metn, l'aide européenne s'investit sous forme d'aide au développement, tout comme en Jordanie. Dans ces deux États, la situation est très complexe. Au Liban, l'État présente des fragilités, mais sait aussi les dépasser. J'espère qu'il conservera sa stabilité. En tout état de cause, nous devons éviter de marginaliser le rôle de ces deux États.

La situation en Libye m'inquiète bien davantage. À l'heure présente, nous ne pouvons pas fournir d'aide, car les partenaires ne sont pas présents sur place. Cela montre combien la situation est dangereuse et combien elle nous dépasse.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion