Intervention de Alexandre Grillat

Réunion du 27 avril 2016 à 9h30
Commission des affaires économiques

Alexandre Grillat, CFE-CGC :

EDF signifie « Électricité de France » – et non « Nucléaire du Royaume-Uni ». Je tenais à le rappeler pour planter le décor, dont découleront toutes les réponses que je vais apporter.

Sur la transition énergétique, EDF est responsable du service public de l'électricité, quels que soient les modes de production et les maillons de la chaîne de valeur électrique. Or pour assurer le service public de l'électricité dans la durée, EDF doit en avoir les moyens.

Dans les années 1970 et 1980, grâce à son statut d'établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), sa situation de monopole et la garantie d'État, EDF a pu financer le parc électronucléaire français sans que personne ne se pose la question des fonds propres nécessaires à cette entreprise. En 2004, EDF est devenue société anonyme et a perdu sa situation de monopole ; en 2005, elle a été introduite en bourse moyennant une augmentation de capital de 6 milliards d'euros. Entre 2004 et 2015, EDF a versé plus de 20 milliards d'euros de dividendes aux actionnaires. Plus 6 moins 20 égalent moins 14 ; comment, avec une telle structure en fonds propres, EDF pourrait-elle financer à la fois des investissements nucléaires, au premier rang desquels Hinkley Point, le modèle de transition énergétique, le grand carénage et le renouvellement de tout ou partie du parc ? Les 3 milliards d'euros apportés par l'État pour secourir EDF ne sont clairement pas à la hauteur, même s'ils constituent un premier pas.

Alors qu'il était perçu comme insubmersible, à la fois par les salariés, les Français et les élus, le navire EDF a été lesté depuis dix ans d'une multitude de charges : la CSPE ; les investissements nécessités par le vieillissement de l'outil industriel non couverts par les tarifs, fixés depuis dix ans à l'aune de considérations politiques – défense du pouvoir d'achat, protection de l'économie ; les 20 milliards d'euros de dividendes. Et c'est au moment même où il est sous la ligne de flottaison que le bateau EDF entre dans la tempête des prix de marché européens, déprimés à 26 euros, par mégawattheure (MWh), et qu'on lui demande de charger le rocher HPC de 16 milliards d'euros sur le pont ! Vous comprendrez la crainte des matelots de voir le bateau couler, autrement dit l'angoisse des salariés que nous vous relayons aujourd'hui.

Pour assurer la flottabilité du bateau EDF, il faut d'abord le délester de toutes les charges. Les 3 milliards d'euros d'augmentation de capital constituent un premier pas, mais ils sont loin d'être suffisants. Il faut aussi revoir le volume des dividendes. Renoncer à verser en cash des dividendes en 2016 et 2017, c'est bien, mais mieux vaudrait décider de n'en verser aucun, comme l'a fait l'énergéticien allemand RWE pour 2015. D'ailleurs, si tous les énergéticiens européens sont allés au tapis les uns après les autres, EDF étant le dernier, c'est parce que, depuis dix ans, ils ont dû rémunérer grassement leurs actionnaires, en plus de mener des opérations d'acquisition partout en Europe à des prix surpayés, et ce dans un contexte de marché électrique européen totalement déséquilibré par la coexistence de moyens de production électrique classiques non subventionnés – nucléaire, hydraulique, thermique – et de moyens de production subventionnés dont l'essor a été massif et qui ont bénéficié d'un accès prioritaire au réseau. Au coeur d'une tempête durable des prix de marché à 26 euros par MWh, il faut donc régler le problème de la régulation du marché électrique européen par un prix du carbone, à la maille France d'abord, puis à la maille Europe demain, mais surtout revoir toute l'architecture du système électrique européen.

Pour nous, l'avenir de RTE doit reposer sur un projet industriel qui fait sens. La loi du 9 août 2004 reconnaît RTE comme une entreprise totalement publique. Conformément au préambule de la Constitution de 1946 qui énonce que « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité », RTE est une infrastructure de rang national et elle couvre tout le territoire national. Ce n'était pas le cas de GRTgaz, et argument en a été tiré pour privatiser Gaz de France. RTE étant, donc, un service public national essentiel à la souveraineté électrique du pays, il doit rester public à 100 %, de manière directe ou indirecte.

Du point de vue d'EDF, RTE est une activité régulée – comme pour le livret A, les revenus sont sécurisés sans être extraordinaires. Selon nous, la stratégie d'EDF doit reposer sur l'équilibre entre activités régulées et activités dérégulées : en cas de prix de marché très bas, comme aujourd'hui, les activités dérégulées de production ne sont pas rémunératrices, mais les activités régulées procurent un matelas qui s'avère utile pour passer la tempête. À la fin des années 1990, c'est la totale exposition de British Energy au prix de marché, de 10 livres à l'époque, qui l'a menée à la faillite. Dans le contexte actuel de prix de marché déprimés, il est urgent de se poser la question de la place centrale des activités régulées de RTE dans le business model d'EDF. L'avenir de RTE ne doit pas être la résultante d'une équation financière pour mettre en oeuvre Hinkley Point ; il faut un vrai débat sur le projet industriel de cette entreprise et sur la place des activités régulées dans EDF. Ce n'est qu'après que l'on pourra en ouvrir un autre.

Dans la situation financière d'EDF telle que je viens de la décrire, nous regardons le rocher Hinkley Point à la loupe, et nous souhaitons obtenir des réponses convaincantes au regard des risques économiques et industriels.

Le contrat de différence (contract for difference – CFD), qualifié de « contrat du siècle », est une garantie de prix, mais nous considérons que les coûts eux-mêmes devraient être couverts, comme dans les activités régulées. Un prix de 92,50 livres par MWh a beau être garanti, si la centrale n'est pas appelée par le réseau, il n'y aura aucune recette et toute l'équation de rentabilité tombera par terre. Or les études des économistes montrent qu'en Grande-Bretagne, où, dans des conditions de vent très favorables, l'éolien offshore connaît un essor massif, celui-ci va fonctionner en base et déplacer le nucléaire de base dans le merit order britannique. Si bien que la centrale risque de ne pas être appelée lorsque l'éolien offshore britannique débitera fortement en base. N'ayant pas obtenu de réponse sur ce point, nous sommes très inquiets. Notre rôle de représentants des salariés est de nous assurer que tout projet d'investissement est bien maîtrisé et que les risques sont limités ; or la situation bilancielle d'EDF ne lui permet pas de porter cet investissement ni, surtout, d'en supporter les risques.

Autre question fondamentale, l'EPR proposé à Hinkley Point est-il un modèle qu'on arrivera à construire ? Ce modèle est similaire à Flamanville 3, mais avec des spécificités exigées par l'autorité de sûreté britannique. C'est donc, en réalité, une deuxième tête de série. Est-il possible de construire une nouvelle tête de série en soixante-dix-huit mois, sachant que la centrale de Taishan, avec les spécifiés du tissu industriel chinois, a nécessité quatre-vingt-quatorze mois ?

Ainsi, nous avons des doutes sur le caractère réaliste des hypothèses, non seulement en matière de coûts et de volumes, mais aussi en matière de délai. D'où notre extrême vigilance sur ce projet.

Pour autant, nous croyons à l'avenir du nucléaire, nous croyons qu'EDF doit être le fer de lance de la relance du nucléaire britannique. D'ailleurs, nous bénéficions de très bonnes conditions pour construire la centrale nucléaire à Hinkley Point, grâce aux terrains et aux infrastructures existantes. Mais si EDF est en position de force, nous voulons que nous soit apportée la garantie de la maîtrise totale des risques financiers et industriels. Or ce n'est pas le cas actuellement.

S'agissant des concessions hydrauliques, si la France n'avait pas envisagé de les brader en 2008, en proposant à Bruxelles la mise en concurrence contre le respect des critères de Maastricht dans le cadre du programme national de réforme, la Commission européenne serait beaucoup plus conciliante aujourd'hui. Autrement dit, la situation actuelle est ce qu'elle est parce que Paris a proposé le scalp des concessions hydrauliques contre autre chose.

Je termine sur le sujet de la renationalisation de l'entreprise. EDF souffre d'un hiatus fondamental dans la mesure où, depuis sa cotation en bourse, l'entreprise est exposée aux exigences des marchés financiers, derrière lesquels se retranche l'Agence des participations de l'État (APE) pour exiger le versement de 50 % à 60 % des résultats sous forme de dividendes. La direction du budget ayant besoin d'équations budgétaires identiques d'une année sur l'autre, ces dividendes sont plutôt stables – ils représentent toujours 50 % du résultat, soit 3 à 4 milliards d'euros. Pour autant, si les activités d'EDF sont intensément capitalistiques, elles sont pour la plupart régulées : ce sont les activités de réseau, et le nucléaire avec l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH). Or comment une entreprise peut-elle, pendant dix ans, verser des dividendes déconnectés des réalités régulatoires de l'entreprise et des différents métiers de l'entreprise ? Tôt ou tard, ça ne passe plus, et c'est le cas aujourd'hui.

Dix ans après l'introduction en bourse d'EDF, il faut revenir au concept de 2004-2005 de l'alignement de la rémunération du capital sur la rémunération des activités de l'entreprise. En clair, la bourse n'est pas forcément le bon modèle pour une entreprise comme EDF. Renationaliser serait revenir au statut d'EPIC. Faut-il, dès lors, se tourner vers un modèle ni bourse, ni tout État, via un modèle coopératif et sociétaire ? C'est ce que la CFE-CGC avait proposé en 2005, mais la bourse était alors la seule option dans l'air du temps. Il ne faut jamais avoir raison trop tôt, et la question mérite d'être remise sur la table à l'aune de la situation actuelle d'EDF.

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