Intervention de Marie-Claire Cailletaud

Réunion du 27 avril 2016 à 9h30
Commission des affaires économiques

Marie-Claire Cailletaud, CGT :

Le Venezuela organise actuellement des coupures de courant : j'espère qu'on n'en arrivera pas là.

La fragilisation du secteur énergétique européen, causée par la déréglementation et la libéralisation, a provoqué une prise de conscience, à tel point qu'un grand nombre de gouvernements, dont le nôtre, cherchent à présent des mécanismes pour re-réguler. Le moment n'est-il pas venu d'admettre collectivement, si l'on veut construire une véritable Union européenne, que le marché ne peut pas donner les bons signaux à long terme parce que le secteur énergétique a besoin d'investissements importants sur le très long terme ?

EDF, du fait de son statut et de son histoire, a été particulièrement ciblée par la Commission européenne. Dix lois ont tenté de casser ce qui avait été construit par la loi de 1946. Le mal est fait : GDF a disparu, le président de la CRE demande le changement de nom d'ERDF dont les usagers paieront la facture de 300 millions d'euros. On marche sur la tête, mais pour quel bénéfice ? Un modèle, certes imparfait – d'où nos propositions –, mais qui avait fait ses preuves, est à présent totalement désoptimisé.

EDF perd des parts de marché, mais c'est l'objectif : pour montrer à l'Union européenne que le marché est réel en France, il faut qu'EDF perde des parts de marché, quitte à ne pas répondre à des appels d'offres. La fin des tarifs réglementés le 1er janvier 2016 pour les gros consommateurs est bien faite pour cela. Une grande part des 3 500 à 4 200 emplois supprimés concernera la branche commerce, tout cela pour que la vente d'électricité en France ne soit plus assurée par EDF seulement, mais par Direct Énergie, avec des salariés sans statut. Voilà ce qu'on est en train de vivre.

Au sein d'EDF, la direction de la recherche est très touchée par les suppressions d'emplois. Pourtant, lors de la COP21 puis lors de ses voeux aux forces vives de la Nation au Conseil économique, social et environnemental, le Président de la République avait présenté la recherche comme un grand enjeu. L'Allemagne et la Corée, dont le taux de recherche est très important, l'ont bien compris : c'est la recherche qui crée les emplois de demain. Or la France est en passe de ne pas atteindre l'objectif de Lisbonne de porter l'effort de recherche des pays de l'UE à 3 % du PIB – notre pays est à 2,24 % seulement. Quand on en arrive à supprimer des emplois dans le domaine de la recherche au sein d'une entreprise dont l'actionnaire majoritaire à 85 % est l'État, on peut vraiment dire qu'on marche sur la tête !

Pour la CGT, l'énergie est un secteur stratégique. Qu'on reprenne la main sur EDF par une renationalisation, cela nous va bien. Nous prônons surtout la création, par voie législative, d'un pôle public de l'énergie en France, une structure compétente pour toutes les entreprises du secteur, assortie de droits nouveaux pour les salariés et les élus qui auraient ainsi voix au chapitre sur les choix stratégiques. Nous proposons également la création d'une agence européenne de l'énergie, car nombre de sujets doivent être discutés au niveau européen, en particulier les interconnexions. Mais reprendre la main sur le secteur ne suffit pas, ce qu'il faut c'est une véritable stratégie industrielle de long terme. Car la France est l'un des pays les plus désindustrialisés en Europe. Comment peut-on se gargariser d'être en pointe dans la lutte contre le réchauffement climatique en faisant produire ailleurs et en rapatriant par camions ou bateaux tout ce qu'on consomme ? Certes, cette pratique permet de diminuer les gaz à effet de serre sur le territoire national, mais elle augmente notre empreinte écologique !

Étant très attachés au modèle d'entreprise intégrée, nous considérons que la vente d'une partie de RTE est une ineptie. Les salariés de RTE seront d'ailleurs en grève le 3 mai à l'appel de la CGT. Les réseaux sont vraiment stratégiques : ils vont prendre de plus en plus d'importance et constitueront le noeud du système énergétique européen à l'avenir.

Nous sommes opposés à l'ouverture à la concurrence des concessions hydrauliques. Le modèle de SEM proposé dans la loi relative à la transition énergétique ne nous convient pas non plus : il est une autre façon de désoptimiser la production énergétique du pays et ne permettra pas d'avoir la bonne énergie au bon moment sur le réseau.

Sur le projet Hinkley Point, il faut prendre le temps, au regard des considérations financières, industrielles et sociales. Par exemple, la reprise de l'activité réacteurs d'Areva NP par EDF doit se faire sous la forme d'une filiale commune regroupant des milliers d'ingénieurs n'ayant ni les mêmes habitudes de travail, ni les mêmes systèmes d'information. Cela demande du temps pour stabiliser l'entreprise sur les plans industriel et social. Quant au délai, conformément à la loi Rebsamen, le CCE devrait donner son avis consultatif début juillet.

Nous nous interrogeons sur l'origine des 3 milliards d'euros de recapitalisation apportés par l'État. Nous avons cru comprendre qu'ils viendraient de la vente de parts dans les aéroports de Nice et de Lyon, ce qui ne nous paraît pas forcément une bonne stratégie. Au surplus, cette recapitalisation est plutôt un signal donné aux marchés financiers pour ne pas voir la note d'EDF dégradée par les agences de notation, ce que craignait l'ex-directeur financier d'EDF et lui a fait quitter l'entreprise.

Comme d'autres, la CGT adhère à l'EPSU, la fédération syndicale européenne des services publics, et à IndustriAll, la fédération syndicale industrielle européenne. Les organisations se rencontrent régulièrement. La semaine prochaine, nous allons rencontrer les syndicats anglais sur le projet Hinkley Point. Nous avons prévu de nous rendre en Norvège, qui n'a pas ouvert ses concessions hydrauliques à la concurrence, et au Portugal qui est dans le même cas que la France.

Du côté du personnel, les déclarations de M. Emmanuel Macron ont été vécues comme une véritable provocation. Le personnel, qui est la richesse de l'entreprise, représente 9 % des coûts – le problème n'est donc pas là.

En matière de dialogue social, la CGT a lancé une consultation auprès des agents sur le projet Hinkley Point : sur les 5 000 réponses reçues en quinze jours, 95 % demandaient le report du projet, preuve que nous sommes plutôt en phase avec les salariés.

Nous sommes le syndicat de tous les personnels, y compris des sous-traitants, en particulier dans le nucléaire. Nous nous battons depuis des années pour la réinternalisation des activités stratégiques et pour l'octroi aux sous-traitants des mêmes garanties collectives que celles des agents EDF. Cela est extrêmement important, non seulement pour le personnel, mais aussi pour la sûreté – la chute du générateur de vapeur à Paluel, première tranche passée au grand carénage, a beaucoup choqué les salariés. Sans mettre en cause qui que ce soit, nous pensons que la politique de sous-traitance dans l'entreprise commence à montrer ses limites avec la perte de la maîtrise sur une partie de l'appareil industriel, ce qui est extrêmement préoccupant.

Enfin, sur la fermeture de centrales thermiques, on est arrivé aux limites de la reconversion et de la mobilité des personnels dans la branche des industries électriques et gazières (IEG) – nous avions déjà eu beaucoup de mal à absorber les fermetures à la Société nationale d'électricité et de thermique (SNET). Il y aura certainement des licenciements, et c'est un vrai problème, car le développement des énergies renouvelables nécessite l'apport de centrales thermiques.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion