Intervention de Ségolène Neuville

Réunion du 27 avril 2016 à 9h30
Commission des affaires sociales

Ségolène Neuville, secrétaire d'état chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion :

Tout d'abord, quelques chiffres. Le taux de pauvreté est la proportion de ceux qui vivent avec moins de 60 % du revenu médian, soit 1 002 euros par mois pour une personne seule et 2 104 euros pour une famille composée d'un couple avec deux enfants. Ce taux de pauvreté a augmenté depuis le début des années 2000, plus particulièrement au moment de la crise de 2007-2008, avant de régresser, selon l'INSEE, à 14 % de la population, soit un recul de 0,3 point par rapport à 2012. Nous n'aurons les chiffres de l'année 2014 qu'au mois de septembre 2016, le temps que les données, en particulier les données fiscales, soient collectées et analysées par l'INSEE – il faut un an pour les collecter et un an pour les analyser. Plus de 8,5 millions de personnes vivent aujourd'hui, en France, sous le seuil de pauvreté. Cela doit évidemment nous alerter. C'est beaucoup trop. Cependant, en Grande-Bretagne et en Allemagne, le taux de pauvreté est plutôt aux alentours de 16 % et n'y diminue nullement, nonobstant un taux de chômage d'environ 5 %. Ces pays comptent en fait énormément de travailleurs pauvres, qui ne travaillent que quelques heures par semaine.

Tous les ministères contribuent à ce plan de lutte contre la pauvreté que je porte avec Marisol Touraine ; vous avez pu le voir dans les données de synthèse que je vous ai fait parvenir. C'est la raison pour laquelle c'est le Premier ministre qui présente chaque année le bilan, après des évaluations faites par l'IGAS et aussi l'ensemble des associations à travers le collectif Alerte et le Comité national de lutte contre l'exclusion.

Ce plan repose sur un certain nombre de principes qui guident les politiques sociales du Gouvernement. Tout d'abord, la pauvreté n'est pas un statut, c'est un état temporaire. Aucune stigmatisation n'a donc sa place. Personne ne choisit de vivre avec le RSA, 524 euros par mois, personne n'y prend plaisir, personne n'a à s'excuser pour cela. Il faut respecter la personne et refuser une solidarité de compassion qui enferme dans une relation d'infériorité. Le plan de lutte contre la pauvreté passe aussi par la participation des personnes. Il faut donc associer les personnes en situation de précarité à la conception et au pilotage des politiques publiques de solidarité. C'est la meilleure façon d'assurer l'efficacité des actions engagées mais aussi la responsabilisation de chacun. C'est également la meilleure façon de rendre aux personnes la capacité d'être actrices de leur destin et d'aller de l'avant ; le plan de lutte contre la pauvreté ne consiste pas simplement en la revalorisation de minima sociaux. Le troisième principe, c'est l'égalité dans l'accès aux droits. Vous y avez d'ailleurs quasiment tous fait référence, et je m'en félicite. Reconnaissons la simple réalité : la pauvreté isole, elle écarte des réseaux traditionnels de solidarité, et les gens n'ont pas recours aux droits qui sont les leurs. La fraude aux prestations sociales ne représente que quelques centaines de millions d'euros. Le non-recours, lui, représente 10 milliards d'euros ! Sont surtout concernés le RSA activité et les APL, mais aussi la CMU. Cela s'explique par la stigmatisation mais aussi par la complexité des démarches.

Un certain nombre d'acteurs publics disent que c'est une question de droits et de devoirs, mais sans droits, je ne vois pas pourquoi on aurait des devoirs. C'est tout le travail du Gouvernement. Saluons, à cet égard, la réussite de la prime d'activité, que plus de 2,5 millions de personnes ont demandée et obtenue, ce qui est très au-delà de nos objectifs, et il faut que cela continue. Quand on crée une prestation qui ne nécessite pas forcément de se déplacer à la CAF et qui s'appelle « prime », cela marche beaucoup mieux que le RSA. Les bénéficiaires touchent en moyenne 176 euros par mois, montant très substantiel. Faisons connaître ce dispositif à l'ensemble de nos concitoyens.

Les inégalités, qui se mesurent grâce à l'indice de Gini, avaient connu une hausse très importante en 2010 – je ne fais là que constater un fait, chacun sait qu'une crise mondiale l'avait précédée. En 2013, elles ont en revanche connu la plus forte baisse depuis plus de vingt ans, le coefficient de Gini passant de 0,305 en 2012 à 0,291 en 2013. Aucun autre pays européen ne connaît une baisse de cet indice qui varie entre 0 – dans une situation de parfaite égalité des salaires, des revenus, des niveaux de vie – et 1.

Sur la question de l'accès aux droits, tout un travail de simplification a démarré, notamment avec la réduction du nombre de pièces justificatives demandées – le rapport de Christophe Sirugue évoque la question. Certaines ne sont ainsi pas exigées pour la prime d'activité, car la CAF est reliée à Pôle emploi et aux services fiscaux ; un certain nombre d'éléments tombent donc « tout cuits » dans ses ordinateurs. Il faudrait que toutes les administrations puissent échanger ainsi des données. En 2016, nous expérimenterons un coffre-fort numérique réunissant toutes les pièces justificatives, les administrations pouvant les échanger par ce biais, sous réserve de l'accord des intéressés. Nous avons aussi créé un simulateur. Celui qui permettait à chacun de savoir s'il avait droit à la prime d'activité ayant rencontré un vif succès. Nous en avons créé un plus global, qui indique à chacun quels sont les dispositifs auquel il a droit – RSA, APL, prime d'activité, CMU… – en fonction de sa situation. Cette vision globale est très appréciée par les bénévoles d'associations et les professionnels. Cet outil, jusqu'à présent en phase de test, sera mis à la disposition de tous en 2016, sans doute via le réseau des CAF.

Gisèle Biémouret m'a interrogé sur la proposition de loi déposée par Yannick Vaugrenard sur la discrimination en raison de la précarité sociale. Je représentais le Gouvernement lors de son examen au Sénat, et j'y suis extrêmement favorable. Son inscription à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale me serait agréable ; d'autres véhicules législatifs sont envisageables, notamment certains projets de loi.

Vous avez tous parlé du rapport Sirugue, qui évoque plusieurs scénarii, dont le premier comporte douze mesures de simplification. Le Premier ministre a souhaité qu'elles soient rapidement mises en oeuvre, notamment l'allongement de la durée d'attribution de l'AAH, quand il s'agit d'un handicap irréversible. Nous allons nous y atteler dès maintenant. J'en profite pour évoquer le projet IMPACT (Innover et moderniser les processus MDPH pour l'accès à la compensation sur les territoires), expérimentation d'une simplification de toutes les procédures dans les MDPH, notamment avec la numérisation de tous les formulaires à remplir par les médecins. Cela simplifierait considérablement le travail administratif des agents, qui, aujourd'hui, recueillent des dossiers sur papier puis saisissent informatiquement les données. Il y a aussi la question des droits figés sur trois mois et la suppression quasi-totale des pièces justificatives. À plus long terme, une simplification globale des minima sociaux est prévue, avec un socle commun et des prestations complémentaires.

Suis-je favorable à l'individualisation des minima ? Tout d'abord, cette simplification nécessite un travail considérable. Pour ma part, je serai extrêmement vigilante : je ne souhaite pas qu'il y ait de perdants. Pour les bénéficiaires de minima sociaux, une variation de deux ou trois euros du montant mensuel perçu a des retentissements, et un retard d'un mois peut entraîner un drame humain.

Nous avons mis en place les PCB dans un certain nombre de régions. Cette expérimentation sera évaluée au premier semestre 2017. J'espère que nous pourrons ensuite étendre le dispositif à l'ensemble des régions – toutes les équipes pourront donc participer, notamment celles qui ont travaillé au projet depuis le début. L'idée est celle d'une collaboration entre l'État, les collectivités, les associations mais aussi les créanciers. Des PCB de niveau 1 proposeraient un accueil le plus neutre possible aux consommateurs rencontrant des problèmes de budget – une assurance impossible à résilier, des mensualités qui continuent d'être prélevées… Des conseils pertinents permettent de prévenir le surendettement. Un deuxième niveau, financé par les créanciers et accessible via les professionnels du niveau 1 ou les travailleurs sociaux, servirait, en cas de surendettement avéré, à négocier en direct avec les créanciers, avec un examen global de la situation des personnes concernées pour leur permettre de s'en sortir. Seront d'abord informés de l'existence de ces structures l'ensemble des professionnels du social, grâce à des dépliants, des mails. Une information sera également donnée aux populations via tous les points d'accueil sociaux : les CCAS, les conseils départementaux, l'ensemble des collectivités, etc.

Qu'en est-il de la cohérence de l'action sociale ? Tout d'abord, ce sont les départements qui jouent le rôle de chef de file en la matière. Notre souci constant, dans la réforme de l'État et dans la loi NOTRe, a précisément été de clarifier les compétences des collectivités et de renforcer le rôle de l'État au niveau départemental. Si de plus grandes régions sont créées, les services de l'État au niveau départemental doivent être renforcés et les compétences des collectivités clarifiées. Les départements sont donc vraiment les chefs de file. Cette question de la cohérence et de la complémentarité des politiques sociales au niveau départemental a été largement évoquée par les professionnels de terrain lors des états généraux du travail social. Actuellement, les schémas départementaux sont nombreux : pour l'insertion, le logement, etc. Dans le cadre du plan d'action pour le travail social, nous proposons qu'il y ait un seul schéma départemental des politiques sociales. Un schéma unique serait établi de manière cohérente par le département et l'État, qui porterait sur toutes les politiques sociales. Nous étudions les modalités avec l'ensemble des acteurs concernés. Bien sûr, il faut apaiser les inquiétudes de chaque secteur, qui s'inquiète de ne pas avoir un plan dédié, mais il s'agit d'assurer la cohérence entre les politiques, entre les différents financements, entre le niveau local et le niveau national. C'est dans cet esprit que nous avons construit le plan d'action pour le travail social.

Vous avez été nombreux à souligner que l'absence d'un point d'accueil unique crée des difficultés. Ainsi, une personne en situation de précarité, sans domicile, qui ne sait ni où dormir ni où manger, doit se rendre à la CAF, à la CCAS, à l'aide alimentaire, à la CPAM et raconter chaque fois sa vie. L'idée est de créer un premier accueil inconditionnel de proximité, qui ne soit pas un étage supplémentaire. En cohérence avec la loi NOTRe, les services de l'État et le conseil départemental travailleraient ensemble à flécher et labelliser des accueils inconditionnels et de proximité, à les créer éventuellement. Tout le monde serait accueilli, pas seulement les personnes en situation d'extrême précarité mais chaque personne qui a besoin d'un conseil dans le domaine social ou même médico-social.

Nous proposons également, dans le cadre de notre plan d'action, un référent de parcours. Quand la situation d'une personne est complexe, elle doit avoir affaire à des interlocuteurs professionnels de chaque domaine pour chaque question. Certains travailleurs sociaux jouent déjà ce rôle, mais il n'est pas clairement reconnu, et c'est un peu plus complexe à mettre en oeuvre que le premier accueil. Une expérimentation est nécessaire, pour savoir exactement quel type de métier correspond à ces référents de parcours. L'idée est de ne pas obliger les personnes aux situations complexes à aller d'administration en administration ; le référent de parcours ferait ce travail pour leur permettre de rebondir et pour éviter qu'elles renoncent à leurs droits.

J'en viens à des questions plus ponctuelles.

Le dispositif de garantie des impayés de pensions alimentaires a été généralisé le 1er avril 2016. La ministre de l'enfance, des familles, des droits des femmes avait communiqué à ce propos. Il est donc mis en place dans toutes les CAF.

Quant à la garantie jeunes, huit à dix mois après l'entrée dans le dispositif, un jeune sur deux est en emploi. C'est vraiment un très bon résultat au regard du public concerné : des jeunes sans diplôme, sortis du système scolaire, sans formation professionnelle, qui n'ont pas de parents pour les soutenir financièrement, des jeunes dans des situations dramatiques, souvent en centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), parfois à la rue. Rencontrez, dans vos missions locales, des jeunes qui ont bénéficié du dispositif : ils racontent que cela leur a tout simplement redonné une confiance en eux que trop d'échecs leur avaient ôtée.

Plusieurs questions ont porté sur les nuitées hôtelières et l'hébergement. En 2012, il y avait 82 000 places d'hébergement au total – nuitées hôtelières, nuitées en CHRS ou hors CHRS. Il y en a actuellement 112 000 ; 30 000 places ont donc été créées, bien plus que les 5 000 prévues par le plan de lutte contre la pauvreté. Cependant, il y a toujours des personnes à la rue, et les besoins restent importants. La priorité est de développer des places avec accompagnement car, en réalité, les nuitées d'hôtel sans accompagnement social mènent dans le mur. C'est la raison pour laquelle nous avions lancé l'année dernière, avec la ministre du logement de l'époque, Sylvia Pinel, le plan de résorption des nuitées hôtelières. Si leur nombre total a considérablement augmenté, dans le cadre de la création de ces places nouvelles, 4 000 ont tout de même été évitées grâce à ce plan et à la livraison ou l'ouverture de places en logement adapté ou accompagné. Depuis 2012, ce sont 80 000 places en logement accompagné – en maison relais, en foyer… – qui ont été ouvertes, une sorte de moyen terme entre l'hébergement d'urgence et le logement classique.

Pour la garantie des loyers, la situation est assez claire. Pour les étudiants, la garantie CLE (caution locative étudiante) est déjà en place. La garantie Visale – encore un nom impossible à retenir comme, à droite et à gauche, nous en donnons à tous nos dispositifs… –, dont bénéficient les salariés précaires, l'est également. Dernière avancée en date, la garantie universelle des loyers pour toutes les personnes de moins de trente ans a été annoncée récemment par le Premier ministre. Le champ de cette garantie s'étend donc petit à petit, en couvrant d'abord les publics qui en ont le plus besoin.

Les stages pour les étudiants en travail social se raréfiaient avant même que ne soit instaurée l'obligation de gratification. C'est un problème structurel, indépendant de la question financière, résolue, en tout ou en partie, par la création d'un fonds d'urgence qui a permis d'accompagner, en 2014 et en 2015, la mise en oeuvre de l'obligation de gratification dans les établissements qui n'y étaient pas soumis auparavant. Ce fonds d'urgence est reconduit, pour un montant de 1,2 million d'euros en 2016. Petit à petit, l'obligation de gratification sera prise en compte dans les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens, et donc dans le financement des structures, le fonds d'urgence devant rester en place jusqu'à ce que l'ensemble des contrats pluriannuels prennent la question en compte.

La question que se posent les étudiants, les formateurs et l'ensemble du monde du travail social, évoquée lors des états généraux du travail social, est celle de la forme et de la longueur des stages. Ils sont très longs, et un certain nombre d'étudiants et de formateurs y sont profondément attachés, mais les écoles du travail social sont actuellement en train de travailler sur ces stages. Doivent-ils vraiment durer six mois ou plus ? Ne vaut-il pas mieux que l'étudiant aille dans plusieurs formes différentes d'établissements ou de services ? Évidemment, ce ne seront jamais des stages très courts – dans le secteur du travail social, les stages doivent durer plusieurs mois –, mais la question de la durée n'en est pas moins l'objet de négociations. Bien sûr, aucune décision ne sera imposée arbitrairement d'en haut, et tout est soumis à une concertation, en lien avec les actuelles réformes de la formation au travail social. Pourraient ainsi être reconnus comme stages ces projets collectifs que les étudiants peuvent construire ensemble. Ainsi, la question de la gratification nous amène finalement à traiter du fond des études en travail social.

En ce qui concerne l'application de la loi DALO, je suis tentée de vous inviter à auditionner la ministre du logement. La question est évidemment prioritaire, mais la situation varie fortement selon les régions, et les préfets ont été de nouveau mobilisés sur la question du relogement des ménages prioritaires par la ministre du logement.

Je ne vous ai pas parlé du plan de prévention des expulsions. Je vous invite à vous reporter aux annonces faites il y a un mois par la ministre du logement. Tous les aspects sont traités. Savez-vous qu'une personne qui rencontre des difficultés pour payer son loyer se voit retirer son APL ? Cela ne fait pourtant qu'aggraver la situation ! Cela étant, la loi prévoit déjà qu'une expulsion ne doit pas avoir lieu sans proposition de relogement.

Quant à la numérisation, dans tous les domaines, elle est, en général, facteur de simplification. Ainsi, la prime d'activité a pu être demandée par beaucoup de jeunes et de personnes qui ne seraient pas venues dans une CAF. Pour les publics vraiment exclus, notamment les publics sans domicile, la question du numérique est tout à fait délicate. En CHRS, les gens n'ont pas d'ordinateur ni d'accès à internet. Nous travaillons donc beaucoup à développer la médiation numérique – Emmaüs également. Prévoyons un accompagnement du public dans les structures où toutes les demandes doivent être faites en ligne, et conservons la possibilité d'effectuer ses démarches sur papier. De même, nous avons travaillé avec la secrétaire d'État au numérique pour permettre à ceux qui rencontrent des difficultés de conserver un abonnement minimal à internet. Chercher un emploi ou une formation professionnelle, se réinsérer dans la société, est aujourd'hui extrêmement compliqué sans internet. Le numérique ne doit pas être facteur d'exclusion.

J'ai sans doute oublié des questions, mais je reste à votre disposition pour y répondre plus tard.

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