Intervention de Arnaud Viala

Séance en hémicycle du 3 mai 2016 à 21h30
Nouvelles libertés et nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaArnaud Viala :

Au terme des nombreuses auditions auxquelles j’ai participé, tant au sein de la commission des affaires sociales que dans mon groupe parlementaire, et surtout au plus près des acteurs socio-économiques de mon département, « sur le terrain » de la vie réelle, du monde des entreprises et de leurs difficultés, je veux ce soir, madame la ministre, vous livrer quelques réflexions, au début de l’examen de ce que vous appelez « ma loi », même dans notre hémicycle.

Sur la forme, tout d’abord, difficile de ne pas s’émouvoir de ce qui se passe dans notre pays autour de ce texte : après avoir été débattu avec les partenaires sociaux, comme vous le souhaitiez, il occupe aujourd’hui l’actualité, tant par les manifestations de plus en plus dures qu’il suscite que par la vague d’incompréhension généralisée qu’il engendre. À part quelques-uns de vos soutiens aveugles, je n’ai encore trouvé personne qui le trouve satisfaisant. Pour beaucoup il fait trop peu ; pour quelques rares autres, il va trop loin. Quand il n’est pas associé à votre nom, madame la ministre, ce texte porte le sobriquet de « loi travail », qui en dit si long sur les innombrables attentes qu’il suscite auprès des Français : baisse du chômage, perspectives de création d’emploi, abaissement des charges, assouplissement des procédures permettant à l’entrepreneuriat de se développer, ou encore création de conditions favorables à la reprise économique.

Malheureusement, telle n’a jamais été votre intention. Après avoir imaginé une réforme, souhaitable, du code du travail, qui, elle, ne verra véritablement le jour – c’est vous qui le dites – qu’au mieux deux ans après le vote de ce texte, vous avez mis l’eau à la bouche de tous les acteurs économiques de notre pays en leur faisant miroiter des mesures phares qu’ils réclament depuis longtemps. À l’arrivée, il ne reste rien. Rien qui soit de nature à revigorer notre économie tout en garantissant à chacun ses droits. Une fois encore, comme pour les mesures de sécurité annoncées au lendemain des attentats de novembre 2015, c’est à votre majorité que nous devons ce fiasco, puisque précisément vous n’avez plus aucune majorité.

Cela m’amène aux sujets de fond, et je choisis ici d’attirer une nouvelle fois votre attention sur des aspects frappés au coin du bon sens de ceux qui sont chaque jour au contact des réalités et qui ne comprennent rien à vos gesticulations. Concernant tout d’abord ce que vous décrivez comme le socle de ce texte, la concertation, nous n’avons eu de cesse, dans tous nos débats, de vous rappeler la réalité des PME et des TPE de notre pays, qui ont des pratiques ancestrales de dialogue fluide entre patrons et salariés, qui ne demandent rien d’autre qu’un peu de flexibilité et auxquelles vous infligez plutôt nombre de procédures contraignantes, inopérantes, chronophages et pour la plupart tout simplement impossibles à appliquer. En ne les écoutant pas, vous asphyxiez encore davantage les territoires de France, qui respirent grâce à leurs TPE et PME et n’ont d’avenir qu’à travers elles.

Vient ensuite la question épineuse du rôle et du statut du travail dans notre société et dans nos existences, que, par crainte du débat, le rapporteur a tout simplement choisi d’exclure de l’examen en commission en faisant supprimer tous les articles qui en traitaient. Vous réussissez ainsi le tour de force de nous priver de ce débat capital sur la place du travail dans nos vies, sur l’environnement professionnel dans nos entreprises, après avoir écrit un texte qui confondait droit citoyen et droit du travail. Je reste pour ma part profondément convaincu que notre pays a besoin d’une réflexion réelle, approfondie, nationale, sur le temps de travail, et qu’il n’est pas responsable, lorsqu’on est ministre du travail en 2016, de l’éluder dans un texte portant précisément sur le travail.

Ensuite, à entendre ce que vous proposez en matière de contrat de travail, notamment ce qui semble se profiler concernant la pénalisation financière des CDD, on comprend aisément que vous n’avez pas pris le temps depuis longtemps d’échanger avec des patrons d’entreprises ou des demandeurs d’emploi. Pour eux, cette mesure est à contre-courant de l’histoire, tant parce qu’elle prive l’employeur d’une souplesse que le contexte économique exige de lui que parce qu’elle obstrue la possibilité d’une étape intermédiaire, souvent salutaire, pour le salarié. Et ce sont bien là les grandes absentes de ce texte, et de votre vision tout entière, d’ailleurs : aucune considération pour la responsabilité individuelle ; aucune liberté laissée à celui qui a la volonté de changer de métier, d’évoluer dans sa carrière, de se lancer un défi, de prendre un risque. Aucune prime donnée à l’entrepreneur qui veut faire plus, fût-ce temporairement, et qui recrute à cet effet. À trop vouloir encadrer, une nouvelle fois, vous sclérosez ; à trop vouloir sécuriser, vous stérilisez complètement.

C’est sur la question de la flexibilité, enfin, que nos points de vue divergent complètement. Comment relancer l’économie de la France si l’on refuse d’oxygéner notre système et de faire confiance ? Qui peut imaginer que, si l’on assouplit légèrement les conditions de licenciement afin de permettre une meilleure adaptation aux temps difficiles que nous connaissons, nos patrons vont détruire des emplois à tour de bras ? Je ne connais que des patrons heureux lorsqu’ils embauchent et malheureux lorsqu’ils sont contraints de licencier.

En résumé, madame la ministre, comme nous le redoutions, ce texte, ou plutôt ce qu’il est devenu, est le triste miroir de ce qu’est votre majorité : un pouvoir politique affaibli, totalement déconnecté des réalités, arc-bouté sur des principes surannés qui entretiennent des blocages mortifères, et surtout incapable de donner à notre pays ce dont il a besoin de toute urgence, à savoir moins de contraintes, moins de charges, plus de liberté d’entreprendre, une réflexion sérieuse sur ce qui relève du collectif et sur ce que la responsabilité individuelle doit assumer, et enfin un peu plus de confiance dans la capacité de chaque Français à faire un effort, à avoir sa part d’envie d’un avenir meilleur pour notre pays. Si vous n’acceptez aucune de nos propositions dans ce sens, vous signerez l’échec de ce texte, votre échec tout court, mais surtout, et c’est bien là le plus grave, l’échec de notre pays.

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