Intervention de Laurence Tubiana

Réunion du 6 avril 2016 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Laurence Tubiana, ambassadrice chargée des négociations sur le changement climatique :

Merci Madame la Présidente. Je souhaite avant tout remercier les parlementaires dont l'action a été décisive dans la mobilisation qui a abouti à l'accord de Paris. Ce dernier n'est en effet pas un miracle, mais le résultat de nombreuses actions de sensibilisation de la part de beaucoup d'acteurs, notamment les parlementaires, dont certains ont fait partie du comité de pilotage de la COP 21 au cours des deux dernières années.

Que voulons-nous obtenir ? Nos objectifs ne se limitent pas à un accord. Il s'agit, en effet, d'accélérer la transformation des économies de la planète, afin d'obtenir une limitation des températures.

L'enjeu essentiel du processus de préparation était de convaincre les gouvernements et les autres acteurs que cette transformation économique vers une plus grande sobriété en carbone est bénéfique pour la croissance et inéluctable. Pour que cela soit crédible, il fallait que de nombreux signaux soient donnés par de nombreux acteurs, parmi lesquels les gouvernements, mais aussi les entreprises, les collectivités territoriales, qui ont joué un rôle majeur, les organisations internationales, les scientifiques et les organisations non gouvernementales (ONG). Finalement, au cours de l'année 2015, l'écosystème financier s'est joint au mouvement de façon décisive, notamment les fonds de pension et les banques.

C'est le sens de la stratégie que j'avais proposée en juin 2014 et qui reposait sur quatre piliers : l'accord lui-même, les plans climat établis par chaque pays, la finance verte et l'action concrète des acteurs non gouvernementaux, en particulier des entreprises, des villes et des régions.

Cependant, l'accord de Paris a dépassé les objectifs que nous nous étions fixés, et c'est cela, la surprise de Paris. Nous sommes allés au-delà du compromis que nous pensions obtenir, notamment en ce qui concerne le volet de la réduction des émissions de carbone. Ainsi, les 189 plans climat nationaux couvrant 95 % des émissions de carbone, établis avant l'accord, ont constitué un véritable plébiscite.

D'importants progrès sont également intervenus en matière de finance verte, aussi bien publique que privée. Même s'il existe encore un débat sur la méthodologie, nous sommes assez proches des 100 milliards de dollars prévus d'ici 2020. On peut notamment citer l'effort de décarbonation des portefeuilles des institutions financières, le début d'une réflexion collective sur le prix du carbone et le fait que le G20 et le Conseil de Stabilité financière se soient saisis du risque carbone et du risque climatique. Plus de 10 000 engagements privés et publics ont été pris par les collectivités locales et les entreprises, montrant qu'elles soutiennent l'accord de Paris. Le texte du « Paris Pledge », qui sera révélé le 22 avril à New York, montre que ces acteurs veulent même aller au-delà de l'engagement des gouvernements.

Vous avez rappelé, Madame la Présidente, les grands rendez-vous qui nous attendent et les objectifs de l'accord, notamment celui d'atteindre d'abord un pic global, puis la neutralité des émissions dans la deuxième moitié du siècle. Nous n'y sommes pas, mais l'accord mettra l'économie sur les bons rails pour se rapprocher de ces objectifs.

Concernant la crédibilité de l'accord, ce dernier prévoit d'abord un cadre renforcé de transparence, chaque pays devant rendre compte de ce qu'il fait devant ses pairs. Il s'agit du noeud de l'accord, les points de rendez-vous devant servir à réviser les objectifs en maîtrisant davantage les niveaux des émissions.

Pourquoi avons-nous réussi ? 195 pays ont signé l'accord et nous attendons une centaines de signatures le 22 avril. Mais l'accord de Paris est surtout l'aboutissement d'une évolution. Ainsi, le duo Chine-États-Unis avait besoin de cet accord. La Chine avait besoin de réorienter son économie, tandis que l'administration américaine, très engagée sur le climat, avait besoin du soutien de la deuxième économie mondiale pour mieux surmonter l'obstacle potentiel de la ratification de l'accord par le Sénat, ce dernier ayant depuis longtemps fixé pour condition que la Chine assume une responsabilité identique.

Un autre facteur a joué : l'entrée dans un nouveau cycle économique et financier. Les entreprises qui parient sur cette nouvelle économie sont de plus en plus nombreuses, notamment dans le secteur financier. Elles ont le sentiment que l'économie intensive en énergies fossiles recèle des risques à long terme et qu'il convient de trouver une alternative pour gérer la transition financière. Certains entrepreneurs font figure de pionniers, notamment M. Mark Carney, le gouverneur de la Banque d'Angleterre, M. Michael Bloomberg, l'ancien maire de New-York et M. Paul Polman, à la tête d'Unilever, pour montrer ces risques et la nécessité de se diriger vers un autre modèle. En parallèle, un mouvement initié par des petites firmes qui étaient plutôt sur un secteur de niche a pris de l'ampleur. Ce sont maintenant des entreprises qui comptent.

La mobilisation de la société civile a également été considérable, avec non seulement la coordination des grandes ONG, mais aussi les mouvements dans les pays tels que les marches. Beaucoup d'entre eux dans le monde entier ont fait pression sur leurs gouvernements et les ont soutenus dans leurs efforts.

Il y a eu également un enjeu diplomatique. Après l'échec de Copenhague, le système multilatéral avait besoin d'un vrai succès de fond. Cancun a été un peu la « remise sur les rails ». Paris montre qu'il peut donner des résultats. C'est pour cela que l'accord a été salué comme un grand succès de la diplomatie française. Il est essentiel que les différents échelons politiques y aient pris part. Les Chefs d'état et de Gouvernement ont été à la réunion en marge du sommet des Nations unies, à New York, en septembre et se sont rendus, au début de la conférence, à Paris. Jamais autant de chefs d'État et de Gouvernement n'avaient été réunis le même jour sur un même sujet. Au sein des Gouvernements, les ministres ont été très actifs. Ils ont été des facilitateurs entre les différents groupes. L'accord n'est pas le « produit », le résultat, individuel de Laurent Fabius ou de mon équipe et moi-même, mais un « produit collectif », car beaucoup de pays et beaucoup de personnes se sont engagées dans la négociation elle-même. À Lima, les ministres des finances se sont mobilisés ; les élus également, notamment au Sommet de Lyon. Il faut aussi noter l'activité de la maire de Paris, parmi tant d'autres.

L'accord de Paris est donc le résultat d'une diplomatie « à 360° », fondée sur le dialogue avec tous, avec les entreprises, avec les acteurs de la société civile, mais aussi le travail avec les collectivités locales, des actions à l'intérieur des pays en suscitant, grâce à nos ambassadeurs, un débat sur le climat.

Cette stratégie très large doit donc être maintenue. L'enjeu climatique est certes l'affaire des gouvernements, mais il dépasse leur action. Il est indispensable que tous soient mobilisés. Il faut opérer une transformation de l'économie, qui ne peut pas être le résultat d'une décision prise au sommet. Ce n'est pas l'objet de revenir ici sur l'ensemble des étapes de la négociation, mais certains moments ont été essentiels comme la visite du président de la République en Chine, ou comme les initiatives européennes.

L'Union européenne a joué un rôle clef. L'accord est le symbole de son grand retour dans la négociation internationale. Grâce à elle notamment, il y a maintenant des groupes de pays qui soutiennent l'accord de Paris, dont l'un s'est d'ailleurs dénommé la coalition de l'ambition. Son suivi et sa mise en oeuvre ne sont donc pas uniquement l'affaire des présidences successives, mais d'une coalition, d'un ensemble d'États qui vont se battre.

Il faut observer qu'aucun pays ne veut aller en arrière. Les craintes que l'on pouvait avoir à ce titre, compte tenu des risques pris pour la négociation dans les dernières heures, se sont avérées infondées. La plupart des pays se disent qu'il ne faut pas rouvrir le contenu politique de l'accord, mais juste le mettre en oeuvre.

Il s'agit donc d'abord de procéder à la signature de l'accord et à la mise en oeuvre des contributions nationales. Sur ce dernier point, un grand effort de coopération internationale doit être entrepris avec les pays les moins avancés, mais aussi des pays émergents, pour que le système financier les aide à faire les investissements dans les énergies renouvelables, dans la transformation de leur agriculture et de leur politique forestière, ainsi que dans leur politique urbaine et dans leur politique de transport.

Il faut aussi que le système financier soit au rendez-vous. On peut se réjouir que la Chine, qui préside le G20 cette année, ait inscrit à son agenda, parmi les points prioritaires, la finance verte et le climat. C'est un grand signal pour les marchés financiers.

Au-delà, il faut s'engager sur le long terme, et faire en sorte que tous les pays mènent une réflexion sur leur avenir à l'horizon 2050. Ils doivent aussi envisager l'économie qu'ils souhaitent à cette échéance et examiner sa compatibilité avec l'objectif de décarbonation et de limitation des températures.

Il serait pour autant naïf de penser que tout est déjà fait. C'est même le contraire. Tout reste à faire.

Il y a des forces contraires. Tel est le cas des entreprises qui vivent des énergies fossiles et qui ne voient pas leur transition vers autre chose, même si, naturellement, les très grands du secteur ont déjà commencé à y réfléchir. L'enjeu est de créer cet « écosystème favorable » pour qu'une telle transition se fasse. On n'insistera jamais suffisamment sur les liens entre les États, les entreprises et les collectivités locales, absolument décisifs.

En même temps, il faut, sans délai, s'engager dans l'innovation, ainsi que dans le développement de la recherche et de la technologie avec l'Alliance solaire internationale, la Mission innovation et l'initiative sur l'accès à l'énergie en Afrique.

Nous avons aussi lancé avec le président Obama, le président Hollande, le Premier ministre Modi, ainsi que M. Bill Gates, la Mission innovation, qui vise à doubler les fonds publics pour la recherche et l'innovation en matière d'énergies propres « zéro carbone » et susciter, comme c'était l'idée des vingt-sept investisseurs privés accompagnant Bill Gates, des financements privés pour y aider. L'accord de Paris exige en effet un tel investissement, massif, dans les énergies nouvelles.

Il y a aussi des mauvaises nouvelles, notamment ce que les scientifiques disent de l'évolution de la calotte glaciaire antarctique. Mais il y a aussi de bonnes nouvelles : l'Arabie saoudite vient de décider un investissement considérable dans les énergies propres. Larry Fink, qui dirige BlackRock, le plus grand fonds de pension au monde, a également déclaré que les investisseurs doivent penser autrement, en demandant aux plus grandes entreprises mondiales des engagements de long terme, notamment en matière de climat. Il y a aussi eu des annonces canadiennes et américaines dans ce domaine. Un « momentum » existe donc. C'est en maintenant la mobilisation à 360 degrés des différents acteurs qui ont fait la réussite de l'accord de Paris que l'on assurera sa crédibilité.

Il est vrai que le bas prix des énergies fossiles a ses inconvénients mais qu'il devrait aussi décourager les investissements trop risqués, notamment dans l'exploration pétrolière en Arctique. La bataille n'est pas pour autant gagnée.

S'agissant de l'OACI, on voit bien que des solutions sont possibles, notamment par le marché du carbone. C'est plus difficile avec l'OMI, pour le transport par navire.

Nous aurons à Marrakech un dialogue, que j'espère constructif, sur la réorientation de l'ensemble de la finance, publique et privée. L'aide publique au développement ne pourra pas répondre seule aux besoins d'investissement, supérieurs à plusieurs milliards de dollars chaque année.

Nous avons besoin au-delà des actions à court terme, d'indications claires sur ce que pourrait être notre économie en 2050. Les vingt-huit Etats membres de l'Union européenne devraient donner de telles indications, de même que les Américains et les Chinois. En France, c'est l'objet de la loi sur la transition énergétique, même s'il reste à développer plus précisément les différents scénarios.

Enfin, j'étais en effet candidate au poste de secrétaire exécutive de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Je le suis toujours, au moins virtuellement. Quand on est candidat à un poste aux Nations unies, il est préférable d'être soutenu par son Gouvernement. Merci pour vos encouragements, même si vous comprendrez que je ne fasse pas de commentaires sur la décision du Gouvernement, qui lui appartient et qui a sans doute été prise pour de très bonnes raisons. Surtout, la question du climat dépasse de très loin celle des personnes. Mon expérience dans le domaine de la lutte contre le changement climatique est connue, car elle n'est pas nouvelle. Le temps commence même à être long, car j'aimerais bien que l'on réussisse plus vite ! Je vais continuer mon action sur le climat, sous une forme ou une autre, car c'est toute ma vie. Le poste qu'occupait Christiana Figueres est une opportunité, mais il y en aura d'autres, sans doute. Après cette formidable réussite de la conférence de Paris, mon engagement ne change pas.

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