Comme l'ont souligné les deux précédents intervenants, les grandes crises bancaires viennent de l'immobilier : compte tenu des masses financières concernées, tout dérapage du marché peut devenir systémique. Je ne reviendrai pas sur Bâle III et les exigences qu'il impose pour le financement de l'économie européenne mais, puisque ce projet de loi doit préparer l'avenir, nous ne pouvons faire l'impasse sur les risques de décrochage du Vieux Continent, en termes de croissance, par rapport aux autres régions du monde : je pense non seulement aux pays émergents, mais aussi aux États-Unis, qui tireront des bénéfices considérables – à commencer par leur possible réindustrialisation – d'une énergie bon marché. Les cinq prochaines années s'annonçant difficiles pour l'Europe, la solidité du secteur bancaire est essentielle au financement de son économie. Les banques peuvent être des ambassadrices de la zone euro, qui, malgré une détente dont il faut se réjouir, reste exposée aux pressions qu'elle a connues.
Pour la croissance, la construction d'un secteur bancaire fort, ancré dans les territoires et présent sur les marchés, me semble un enjeu stratégique qu'il faut poser au niveau de l'Europe ; or la France a la chance de posséder des banques qui ont mieux traversé les crises que leurs homologues européennes, et qui sont assez présentes sur les marchés. Elle peut donc tirer son épingle du jeu. Certes, les marchés échappent aux frontières, qu'elles soient françaises ou européennes, et la moitié des investissements demeurent américains. Si nous sommes présents sur les marchés, nos arguments, en termes de compétitivité, sont encore modestes par rapport aux banques anglo-saxonnes, dans un environnement très concurrentiel.
Quant aux activités de marché, elles sont stratégiques mais ne représentent qu'une faible part – seulement 20 %, pour la Société générale – des revenus des établissements, qui pour l'essentiel proviennent de la banque de détail et des prêts aux entreprises. Cependant, les activités de marché deviendront d'autant plus stratégiques, avec l'application des normes de Bâle III, que les banques ne pourront plus conserver les prêts dans leur bilan ; elles auront donc plus que jamais besoin des activités de marché pour financer l'économie européenne.
Ce projet de loi n'aurait pas eu la même portée il y a six ans, car les banques, qui finançaient l'essentiel de l'économie européenne, doivent aujourd'hui opérer une transition complexe, vers un modèle plus anglo-saxon. La Société générale octroie aussi des prêts parce qu'elle sait qu'elle pourra les refinancer, par exemple sur les marchés obligataires.
Les activités de marché, très diverses, vont de l'intermédiation pour les entreprises et les États, qui émettent respectivement des actions et des obligations, aux opérations de couverture pour les entreprises – qu'il s'agisse de taux de change ou de matières premières –, en passant par l'octroi de liquidités aux investisseurs via l'échange de leurs actifs – dont nous conservons des stocks par-devers nous –, sachant que tous les actifs ne disposent pas de plateformes de marché où se forment en permanence les prix.
Je veux m'arrêter sur quelques sujets sensibles, en commençant par celui des hedge funds. Il est d'ailleurs difficile de les définir, sauf pour dire qu'ils sont moins régulés. En tant que représentants des banques françaises, nous soutenons d'ailleurs toute démarche tendant à les réguler davantage ; mais, outre que cela ne peut se faire qu'au niveau international – d'autant que les hedge funds français sont rares –, ces fonds sont devenus des intervenants significatifs sur les marchés, dont ils représentent sans doute de 15 à 20 % des volumes échangés, même si ces estimations sont toujours difficiles. Aller trop loin dans l'interdiction de traiter avec ces contreparties risque d'affaiblir encore la compétitivité des banques françaises par rapport aux mastodontes que sont déjà, par comparaison, les banques anglo-saxonnes.
La régulation des transactions à haute fréquence concerne davantage la régulation des marchés eux-mêmes que les intervenants, dont les banques ne représentent qu'une partie.
J'en termine par le market making – ou tenue de marché – qui consiste faire les prix en achetant ou en vendant des stocks pour répondre en permanence aux besoins de nos clients investisseurs. Cette activité est cruciale dans le choix des prestataires : lorsqu'une entreprise sélectionne une banque pour émettre une action ou une obligation, elle le fait moins parce que la banque connaît l'entreprise que parce qu'elle sera capable de tenir le marché secondaire où se font les ventes et les reventes du titre. Si les banques françaises sont pénalisées, les entreprises et les investisseurs risquent fort de se tourner vers nos concurrents, nous évinçant de ce marché. La compétitivité est ici la notion clé : gérer un stock – et ceux de la dette souveraine française ou de dettes obligataires représentent, dans nos bilans, plusieurs milliards d'euros –, c'est le financer. Or, si nous le finançons beaucoup plus cher, ou dans des conditions beaucoup plus difficiles que les grandes banques universelles américaines – les États-Unis n'ayant pas l'intention de séparer les différentes activités bancaires –, nous ne serons pas compétitifs.
La solidité de la contrepartie est également un enjeu essentiel pour les entreprises qui signent un contrat à terme, de trois ou quatre ans, et qui désirent se couvrir sur l'acquisition d'un produit – le pétrole pour Air France ou une couverture de change pour un exportateur. Dans un monde concurrentiel, le choix sera vite fait entre une petite filiale non garantie qui aura un rating non-investment grade, et les grandes banques américaines qui se sont consolidées dans la crise.
Comprendre comment nos clients sélectionnent leurs prestataires de services hautement stratégiques pour l'Europe de demain devrait vous inciter, dans l'examen de ce texte, à préserver la compétitivité des banques françaises sur notre coeur de métier – le service aux clients.