Personne ne conteste l'utilité d'une loi – française, européenne ou mondiale. Lorsqu'une industrie majeure connaît des désordres significatifs, il est nécessaire de faire évoluer la réglementation pour assainir les pratiques, comme ce fut le cas avec la directive Seveso pour la chimie, il y a trente ans. Après Bâle III qui définit les standards de capital et de liquidité imposés aux banques, on veut faire en sorte que les deniers publics ne soient pas mis à contribution en cas de nouvel accident. Les banques encore en opération – qui ne sont pas responsables des désordres les plus importants – ne nient pas la nécessité de ce cadre ; il serait en revanche bien plus efficace s'il était conçu au niveau mondial, ou à défaut européen. Le rapport Liikanen n'est qu'un premier travail qui exige beaucoup de précisions. En choisissant de légiférer dès maintenant, il faut veiller à ce que la loi française ne soit pas incompatible avec le cadre européen à venir, qu'il faudra anticiper, et à éviter que cette réglementation ne nous décote par rapport à l'ensemble de l'industrie bancaire.
À la règle Vickers qui s'apparente à l'ancien Glass-Steagall Act américain – cadre qui n'a pas donné satisfaction –, les Américains ont préféré l'approche Volcker qui relève d'une démarche beaucoup plus générale, reprise dans le Dodd-Frank Act, lequel autorise, au sein des banques commerciales, des activités de marché dès lors qu'elles vont dans l'intérêt de la clientèle. Aux États-Unis comme en Europe, la définition précise de cette catégorie pose problème. Le cadre légal américain est même plus complexe, ce qui explique la lenteur du processus. La règle Vickers, qui obéit à une autre logique, a été choisie par les Britanniques en raison du rapport entre la taille des établissements installés à Londres – qui concentrent la totalité des marchés de capitaux européens – et du bilan de la Banque d'Angleterre. Leur adhésion à cette règle est pourtant toute virtuelle : sa mise en oeuvre, sans cesse reportée, n'est envisagée qu'en 2019-2020, c'est-à-dire après un référendum qui pourrait signer la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne.
Pour autant, la France et l'Europe doivent opter pour un choix clair et précis qui restaure la confiance dans l'industrie bancaire sans pénaliser les banques sur les marchés de capitaux. Dans le cadre nouveau posé par Bâle III, un handicap trop lourd pourrait nous empêcher de contribuer au financement de l'économie. Il est important que les banques françaises puissent continuer à opérer sur ces marchés pour servir les agents économiques français, qu'elles connaissent bien. Or on ne place une émission obligataire auprès d'un investisseur que si l'on connaît l'émetteur de longue date, surtout s'il s'agit de clients de proximité. En mettant à leur disposition l'épargne d'agents économiques éloignés, nos banques donnent aux entreprises moyennes et aux collectivités locales un moyen nouveau de financement, en jouant un rôle d'intermédiaire. En somme, le cadre est nécessaire, et si les agendas empêchent de le construire au niveau européen, la communication entre différents niveaux législatifs devrait en permettre la convergence.
Par ailleurs, le rapport Liikanen pose un cadre, mais reste avare en détails. S'il décrit la façon dont les régulateurs doivent envisager les banques et laisse deviner le périmètre d'application d'un traitement particulier – les vingt-cinq premières banques européennes, toutes travaillant sur les marchés de capitaux, seraient ainsi concernées –, il reste évasif sur les modalités d'application concrètes. Ses auteurs notent que le régulateur que sera la BCE devra contribuer fortement à la définition de ces dernières ; aussi l'analyse du rapport Liikanen par la BCE, sortie hier, doit-elle vous être commentée en détail, et il est important qu'un représentant de la BCE vous donne son point de vue sur ce sujet.