Intervention de Alain Tourret

Réunion du 4 mai 2016 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Tourret :

Ce sujet mérite quelques instants de réflexion.

Je viens de me faire communiquer un certain nombre de chiffres. En matière civile, depuis dix ans, le nombre de pourvois décroît régulièrement. Ainsi, 20 412 pourvois ont été enregistrés en 2015, contre 21 295 en 2014, soit une baisse de 4 %. À titre incident, il y a lieu de remarquer que sur les 20 000 pourvois enregistrés, seuls 15 000 sont instruits, les autres donnant lieux à des désistements ou des déchéances.

En matière pénale, le nombre d'affaires est stable ou décroît : 7 820 pourvois en 2015 contre 8 411 en 2014, soit une baisse de 7 %. Il est donc inexact de parler d'augmentation du nombre de pourvois.

À l'heure actuelle, la Cour de cassation ne connaît aucun encombrement. Elle juge les affaires civiles en treize mois et demi, ce qui est très inférieur aux délais devant les cours d'appel, et en particulier leurs chambres sociales. Elle juge les affaires pénales en moins de six mois, ce qui est très satisfaisant.

La Cour de cassation vient de faire l'objet d'un rapport de la part de la Cour des comptes, qui n'est pas encore publié. Il est essentiel que la représentation nationale en ait connaissance.

Depuis un peu plus d'un an, le premier président de la Cour de cassation a engagé une réflexion au sein de cette juridiction, et les travaux ne sont pas totalement achevés. L'Assemblée nationale doit intégrer ces travaux à sa propre réflexion. Au sein même de la Cour de cassation, des divergences très profondes existent. Certains magistrats, des présidents de chambre notamment, considèrent qu'une réforme ne peut être opérée que dans le respect de certains principes fondamentaux, et notamment du droit au recours, composant du droit au procès équitable. De surcroît, ils considèrent qu'une réforme trop restrictive compromettrait gravement le rôle de la Cour de cassation tant au titre de l'élaboration du droit que de son unification.

Il serait dangereux que la Cour de cassation, au mépris du principe d'égalité, se voit reconnaître le droit de choisir ses affaires, selon l'intérêt intellectuel ou doctrinal qu'elle identifie, sur la base de critères généraux, imprécis, et de ce fait inévitablement arbitraires.

Une telle orientation aboutirait à ce qu'un certain nombre de textes, pourtant voulus par le Parlement, soient laissés à la discrétion des juridictions du fond sans contrôle de la Cour de cassation sur leur interprétation ou leur application, réserve faite du cas où la Cour de cassation trouverait un intérêt à ce contrôle.

Une indication : sur les 14 431 pourvois instruits en matière civile en 2014, 4 300 ont donné lieu à cassation, ce qui montre que le contrôle est essentiel pour assurer le respect du droit et l'égalité des justiciables. C'est l'unité même du droit sur l'ensemble du territoire qui est en jeu.

Une réforme de la Cour de cassation ne peut être envisagée, sur les bases évoquées, sans un débat préalable sur sa place dans l'ordre juridique. Faut-il abandonner l'idée d'une Cour de cassation appelée à compléter la loi là où le législateur n'a pas pris parti, et à veiller au respect de la loi là où le législateur s'est exprimé ? Faut-il imaginer une Cour de cassation, telle la Cour suprême des États-Unis, choisissant ses affaires pour ne retenir que celles qui présentent un intérêt à ses yeux, et située sur un pied d'égalité avec le Parlement ?

Je pense qu'un bouleversement d'une telle ampleur ne peut être décidé sur le fondement de données contestables concernant l'évolution du contentieux. Monsieur le garde des Sceaux, je vous invite à retirer cet amendement et à examiner cela sereinement, d'autant que je peine à comprendre ce que vous proposez. Il est prévu : « Le pourvoi en cassation n'est ouvert à l'encontre des arrêts et des jugements rendus en dernier ressort, en matière civile, que dans l'un des cas suivants : 1° si le pourvoi soulève une question de principe ; 2° s'il présente un intérêt pour l'évolution du droit ; 3° s'il présente un intérêt pour l'unification de la jurisprudence. » Mais qu'advient-il des arrêts contraires au droit ? Va-t-on les écarter, alors même que ce sont ceux qui forment la majorité des 4 000 arrêts cassés ? La sagesse impose de prendre du temps en la matière.

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