Intervention de Alain Tourret

Réunion du 3 mai 2016 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Tourret :

Je m'exprimerai au nom du groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste.

Qu'est-ce que le juge ? C'est le juge du conflit : en cas de conflit, il doit trancher. Or, actuellement, le juge est là pour authentifier, pour certifier, pour donner acte. Tout cela doit être éliminé de sa fonction ; ainsi récupérera-t-on la moitié de son temps.

Ensuite, le juge doit motiver : c'est la contrepartie de son pouvoir de décision. L'importance de la motivation doit être à la mesure de celle que l'on accorde à la décision. Or la Cour de cassation ne motive plus ses décisions, même si l'on peut en percevoir les raisons dans les rapports. C'est toute notre construction judiciaire pyramidale qui s'effondre ! Je suis scandalisé que la Cour de cassation ne trouve pas nécessaire, n'ait pas l'obligation de dire à celui qui est allé jusque devant elle pourquoi il a raison ou tort. C'est un véritable déni de justice, organisé par notre plus haute juridiction !

Dans le domaine du divorce, il faut à l'évidence éliminer le rôle du juge lorsque les deux parties sont d'accord. Faut-il alors deux avocats ou un seul ? Ce point nous avait divisés. Vous avez opté pour deux avocats ; très bien. Les avocats vous en seront reconnaissants ; les bureaux d'aide juridictionnelle, peut-être un peu moins…

Par ailleurs, l'intervention du notaire sera-t-elle obligatoire pour enregistrer l'acte ? Il avait été prévu qu'elle le soit en présence d'un bien immobilier. Mais on a très longtemps estimé qu'elle était inutile dès lors que l'un des deux avocats pouvait s'en charger.

En ce qui concerne les délits routiers, l'affaire s'était terminée de manière délicate pour Mme Taubira. Les associations de victimes de la route sont extraordinairement puissantes – je le sais, ayant eu très souvent l'occasion de plaider pour elles. Elles sont persuadées que l'on fait d'autant plus diminuer le nombre d'accidents que l'on saisit la justice et que l'on plaide. J'appelle votre attention sur ce point.

Pourquoi perd-on automatiquement son permis de conduire lorsque celui-ci n'a plus de points ? Cette question nous ramène à l'obligation de motiver sa décision. Les décisions automatiques sont insupportables ; une motivation spécifique est toujours nécessaire. Il fut un temps où l'on parlait de permis blanc et où l'on envisageait que, dans des circonstances objectivement identiques, la situation subjective de l'individu puisse motiver des décisions différentes.

S'agissant des magistrats, vous avez formulé des propositions intéressantes. Je vous ai soumis l'idée – sans malheureusement avoir le temps de préparer des amendements en ce sens – selon laquelle les professeurs de droit devraient être obligatoirement intégrés à la magistrature, comme les professeurs des centres hospitaliers régionaux universitaires le sont à l'université depuis la grande réforme du professeur Robert Debré, qui a sauvé la médecine. D'un côté, ces médecins sont professeurs ; de l'autre, ils sont soignants. Ils sont alors « bi-appartenants » et peuvent toucher une retraite en conséquence. En contrepartie, l'interdiction serait faite aux professeurs de droit d'être avocats ou consultants. En effet, comment peuvent-ils plaider pour des clients devant des juridictions alors qu'ils sont chargés, en tant qu'enseignants, d'une mission de service public ? Il en va de même de tous les professeurs de droit fiscal qui passent leur temps à dispenser des consultations contre l'État dont ils sont des agents ! Mieux vaudrait qu'ils soient des magistrats et participent, ce faisant, à la notion de fonction publique.

En ce qui concerne l'action de groupe, je suis très sceptique. Les actions de groupe peuvent faire vaciller la République. Un exemple : le groupe de pression formé par les femmes fonctionnaires – je suis rapporteur pour avis du budget de la fonction publique – a démontré que leur rémunération était inférieure de 18 % à celle de leurs collègues hommes, à profession et statut équivalent. Il s'agit à l'évidence d'une discrimination. Imaginez qu'elles intentent une action de groupe sur ce fondement, avec succès : vous devrez verser 18 % de rémunération à chacune d'entre elles, sans compter des dommages-intérêts subséquents !

En réalité, le collectif ne peut pas toujours l'emporter sur l'individuel. Abandonner l'individuel face au collectif, c'est abandonner la notion même de responsabilité. Or le droit, c'est le droit de la responsabilité : le fondement du droit, c'est l'article 1382 du code civil, non l'article 1384.

Je suis également très sceptique vis-à-vis des conciliations obligatoires. Devant les conseils de prud'hommes, la conciliation aboutit rarement – dans moins de 10 % des affaires. En rendant la conciliation obligatoire, vous empêcherez que l'affaire soit plaidée immédiatement, vous provoquerez une saisine complémentaire de la justice, vous ferez durer les procédures – le tout avec la meilleure volonté du monde. Que veulent nos concitoyens sinon, à juste titre, des décisions rapides ? Or vous irez contre cette nécessité, et en parfaite bonne foi.

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