Intervention de Guy Geoffroy

Réunion du 3 mai 2016 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuy Geoffroy :

Monsieur le ministre, au nom du groupe Les Républicains, je salue votre ambition mesurée. Vous n'avez pas l'intention, dites-vous, d'ouvrir de nouveaux chantiers – mais que contient alors le texte ? N'en entrouvrez-vous pas tout de même quelques-uns ? – ni d'allumer de nouveaux brasiers. Intention louable, mais qui suggère que, depuis quelques années, c'est la tendance inverse qui prévalait en matière de justice… Je ne peux que noter le grand écart entre cette fameuse « justice du XXIe siècle » dont nous parlait Mme Taubira en nous présentant le projet, le 10 septembre 2014, et ce qu'il en reste aujourd'hui et qui, sans être négligeable, n'a plus rien à voir avec la grande ambition initiale. Nous ne comprenons donc pas que vous souhaitiez revenir rétablir le titre original, que nos collègues sénateurs avaient ramené à des proportions bien plus conformes à la réalité du texte.

Le projet de loi organique a pour objectif de modifier partiellement, mais sur des sujets importants, l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Je souligne l'intérêt de ses dispositions sur la gestion du corps judiciaire et sur l'ouverture aux magistrats de nouvelles perspectives de carrière – de telles possibilités ne doivent jamais être négligées –, sur l'élargissement du recrutement judiciaire, sur le nouveau cadre déontologique – en espérant que la déontologie ne deviendra pas le sujet unique de discussion des parlementaires, si nous ne voulons pas nous perdre dans la déontologie de la déontologie ! – et sur le statut spécifique du juge des libertés et de la détention.

À ce propos, les plus petites juridictions n'auront-elles pas quelque difficulté à disposer en permanence d'un juge des libertés et de la détention, à la place d'un juge appelé à trois heures du matin pour une personne qui vient d'être déférée devant un juge d'instruction ?

Plus généralement, comment ne pas vous interroger sur le lien entre ce projet de loi organique et la réforme constitutionnelle en cours ? Celle-ci l'est-elle encore, d'ailleurs ? Certes notre Assemblée a voté le projet de loi constitutionnelle, manquant d'une ou deux voix les trois cinquièmes des suffrages. Nous avons cru comprendre que la majorité sénatoriale n'était pas très « chaude » pour aller au Congrès dans l'état actuel du texte. Or il paraît quelque peu ambigu de parler de la magistrature, de son indépendance et de son impartialité sans savoir ce qu'il va advenir de l'hypothèse d'une réunion du Parlement en Congrès à propos de la réforme constitutionnelle.

Quant au texte relatif à l'action de groupe et à l'organisation judiciaire, il ne contient qu'un ensemble, qui n'a en soi rien de méprisable, mais rien de bien révolutionnaire, de mesures de portée somme toute limitée, sans lien évident entre elles. Bref, on a l'impression d'examiner en fin de quinquennat une sorte de loi portant diverses dispositions relatives à la justice, plutôt que des mesures fortes et structurantes organisant la justice du XXIe siècle.

J'aimerais vous poser trois questions.

En ce qui concerne en premier lieu la justice des mineurs, vous avez manifesté votre soutien, comme dans vos fonctions antérieures, à la suppression des tribunaux correctionnels mis en place pendant la précédente législature. Cela pose un problème évident : comment accepter qu'il existât des cours d'assises pour mineurs tout en étant à ce point hostile à l'idée de prévoir, dans la chaîne du traitement des mineurs, le maillon correspondant aux délits que ces derniers peuvent commettre ? À cette question, je n'ai obtenu pour l'heure aucune réponse recevable.

Ensuite, je rejoins mon collègue à propos de la Cour de cassation. Pourquoi avoir pris l'initiative de déposer des amendements tendant à faire évoluer son statut et la portée de son travail, alors même que le premier président a lancé une concertation sur la Cour, sa situation actuelle et ce qu'elle devrait peut-être devenir, et annoncé qu'il rendrait un rapport en juin afin de bâtir une réforme dans un esprit « participatif » ? La question mérite probablement une approche propre au sein d'un projet de loi traitant de l'ensemble du sujet, car bien des aspects en seraient éludés si l'on se contentait d'adopter vos amendements.

Au Sénat, à propos de la représentation obligatoire devant la chambre criminelle, vous vous êtes opposé à un amendement présenté par le président Mézard et qui a cependant été adopté. Il semble que vous ayez depuis changé d'avis. Est-ce bien le cas, ou avons-nous mal interprété votre position ? Pouvez-vous nous rassurer eu égard à ce qui peut apparaître comme une forme de fébrilité à ce sujet ?

Troisièmement, en ce qui concerne l'extension de l'action de groupe, je ne reprends pas entièrement à mon compte les propos de M. Tourret. Je note toutefois que l'amendement CL203 va plus loin que le texte d'origine en intégrant les préjudices moraux au champ de la réparation en matière de discrimination, et que les amendements CL196 et CL202 donnent qualité pour agir aux associations agréées ayant cinq ans d'ancienneté, mais suppriment en parallèle l'exigence d'un agrément national. L'action de groupe est ainsi étendue – pourquoi pas ? –, mais peut-être aussi fragilisée. J'aimerais que le Gouvernement prenne clairement position sur ce point.

L'ambition affichée au départ était grandiose : nous allions mettre en place la justice du XXIe siècle. Vous revenez plus lucidement, sans pour autant remettre en cause l'intitulé de ce texte, à des proportions plus raisonnables ; en attendant, à défaut d'avoir l'occasion de soutenir vigoureusement un tel texte, notre groupe, selon le sort réservé aux amendements, notamment sur les questions sensibles comme celle des tribunaux correctionnels pour mineurs, s'orientera vers l'abstention, à regret, ou vers une franche opposition. Car il suscite toujours de notre part une série d'interrogations qui n'ont rien de mineur.

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