Intervention de Thomas Piquemal

Réunion du 4 mai 2016 à 9h30
Commission des affaires économiques

Thomas Piquemal, ancien directeur financier d'EDF :

N'étant plus directeur financier d'EDF, je ne répondrai pas aux questions portant sur l'avenir de l'entreprise : je considère n'avoir plus aucune légitimité pour ce faire depuis le 1er mars dernier. Pendant six ans, chaque fois que j'ai répondu aux questions concernant EDF, je m'engageais personnellement, aux côtés de l'entreprise, ce que je ne peux plus faire aujourd'hui ; aussi comprendrez-vous pourquoi je ne pourrai répondre à beaucoup de vos questions.

À la fin de l'année 2015, EDF n'était pas en difficulté financière. Comme l'a dit le président Jean-Bernard Lévy, son endettement représentait deux fois et demie l'excédent brut d'exploitation, ainsi qu'un niveau de trésorerie considérable, s'élevant à 22 milliards d'euros. Au fil du temps, j'ai allongé la maturité moyenne de la dette, qui est de treize ans aujourd'hui ; au terme de six années, à la fin de l'année 2015, l'établissement a été entièrement restructuré.

Lors de mon arrivée en 2010, EDF était minoritaire pratiquement partout sauf en France et en Angleterre ; elle était minoritaire aux États-Unis avec un énorme risque dans la société Constellation Energy, ce qui a été réglé. Elle était minoritaire en Allemagne, avec la perspective de perdre son pacte d'actionnaires et tous ses droits d'actionnaire ; cela a été réglé aussi. EDF était engagée en Italie dans un partenariat devant être renégocié, et la société a finalement pris le contrôle d'une grande partie d'Edison. L'entreprise était encore en partenariat dans la société EDF Énergies Nouvelles, où elle devait faire face à 100 % des obligations pour 50 % de la création de valeur, ce qui constituait sa participation au capital. Juste après les événements de Fukushima, EDF a en effet racheté 50 % d'EDF Énergies Nouvelles qui est désormais totalement intégrée à l'entreprise ; cette société constitue un grand axe de développement et démontre tous les jours son formidable succès. EDF était encore minoritaire dans Dalkia, autre axe stratégique de développement de tout énergéticien dans le domaine des services et de la transition énergétique ; cela a été réglé également.

Ainsi, à la fin de l'année 2015, EDF était totalement réorganisée dans les trois pays clés que sont la France, le Royaume-Uni et l'Italie. Elle maîtrisait trois métiers globaux à vocation mondiale : EDF Énergies Nouvelles, EDF Trading et Dalkia. Le groupe disposait d'une stratégie claire ainsi que d'un bilan financier solide. La société n'était pas en difficulté, mais je citerai deux des enjeux majeurs auxquels elle était confrontée et que j'avais évoqués lors d'un entretien au Figaro en décembre 2015, afin d'expliquer pourquoi nous étions sortis du CAC 40 et pourquoi nos investisseurs nous adressaient ce signal négatif. Le cours de bourse est un baromètre, et la sortie du CAC 40 montrait bien qu'il y avait un déséquilibre dû à ces deux problèmes considérables.

Le premier est le déséquilibre résultant, d'un côté, de la nécessité d'investir très lourdement et, d'un autre côté, de la régulation devant permettre d'un côté l'ouverture du marché à la concurrence. J'ai toujours considéré la régulation actuelle comme une mauvaise réponse à une bonne question : comment ouvrir la concurrence ? Je suis personnellement convaincu que la concurrence s'organise en aval, certes, mais en préservant les grands équilibres de la production en amont. C'est pourquoi j'étais partisan d'une régulation spécifique du parc nucléaire existant : non pas dans le but de créer une rente de situation ni pour favoriser les activités devant être mises en concurrence, mais pour donner de la visibilité au moment où il faut investir. En tant que directeur financier, j'ai besoin de visibilité lorsque je dois m'engager dans un investissement à long terme ; il n'en demeure pas moins que l'entreprise est prête à faire des efforts.

Nous le voyons aujourd'hui en période de prix très bas : avec la régulation actuelle, EDF joue un jeu « perdant-perdant ». Lorsque les prix sont bas, elle vend au prix du marché, et lorsqu'ils sont bas, elle vend au tarif de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH), soit 42 euros par mégawatheure. Cela profite aux concurrents – parce qu'il faut créer de la concurrence – mais déstabilise les grands équilibres financiers de l'amont du parc. Dès lors, pourquoi ne pas imaginer une régulation fondée sur un taux de retour minimum, sous contrôle de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) ? Les outils existent. Cela demande une forte volonté et le soutien du Gouvernement ; il faut encore aller convaincre Bruxelles. C'était l'une des pistes de réflexion, le but étant de renforcer le business model d'EDF. Avant toute chose, un consensus au sein de l'entreprise aurait été nécessaire pour ce travail de longue haleine, et les travaux étaient en cours lorsque je suis parti.

Le second enjeu est le renouvellement des capacités de production d'EDF, notamment dans le domaine de l'hydraulique. Je ne permettrais pas de commenter ici la position actuelle de l'entreprise sur ce problème complexe, qui touche à l'héritage d'EDF et au savoir-faire de ses équipes ainsi qu'aux grands équilibres en matière de production. Dans le secteur nucléaire, l'enjeu est celui du renouvellement des parcs nucléaires français et britannique : c'est dans cette perspective que s'inscrit le projet Hinkley Point.

La question m'a été posée de savoir s'il fallait recourir à un EPR optimisé ou si ce réacteur constituait le seul recours… J'ai un avis, mais pas de compétences. Si vous m'avez fait venir, c'est pour m'entendre en tant qu'ancien directeur financier ; je me garderai de me prononcer sur ce sujet, et votre commission entendra prochainement à huis clos M. Yannick d'Escatha, qui est bien plus qualifié que moi.

S'agissant de la dette hybride, je considère que la stigmatiser reviendrait, en quelque sorte, à critiquer un médicament au titre de ses effets secondaires au lieu de s'intéresser au problème qu'il est réputé traiter. Certes, la dette hybride est plus coûteuse que la dette classique – c'est là l'effet secondaire – ; elle est toutefois beaucoup moins coûteuse qu'une augmentation de capital ! Ce type de dette, dans la mesure où elle est subordonnée et présente plus de risques, ne bénéficie pas de la même notation que la dette d'EDF. Donc, si la notation de l'entreprise est fortement dégradée, la dette hybride est déclassée en obligations spéculatives, également appelées junk bonds, ce qui pose la question de son éventuel refinancement à partir de 2020, puisqu'elle est étagée.

J'estime que c'est une protection pour EDF que de considérer que l'on ne peut pas se permettre une dégradation significative de sa notation. Il faut conserver à l'esprit que l'entreprise est le premier emprunteur européen sur les marchés obligataires ; cela signifie que, lorsque l'on rencontre des investisseurs et que l'on ne dispose pas de la meilleure notation financière, ils vont certes souscrire, mais la vraie question est celle de l'accès à la liquidité. Sans cette meilleure notation, les investisseurs ne souscriront pas autant que souhaité. C'est pourquoi, afin de réduire ce risque, j'ai diversifié les sources de financement, et la dette hybride s'inscrit dans cette logique ; elle s'inscrit également dans une logique de renforcement des fonds propres.

Le problème que devait traiter le « médicament » que j'évoquais était celui du poids que Flamanville 3 fait peser sur le bilan d'EDF : dire que la dette hybride est un problème revient à oublier que ce réacteur coute quelque 10 milliards d'euros à la fin de l'année 2015. L'entreprise est seule à financer Flamanville 3, avec les risques que vous connaissez, et avec les fonds propres que j'ai rappelés. Qu'aurais-je dû faire en 2013 et en 2014 si je n'avais pas émis cette dette hybride, qui s'apparente à une augmentation de capital ? Aurait-il fallu le faire à ce moment-là ? Le débat est ouvert et j'accepte toutes les critiques ; bien que je ne pense pas que cela soit l'objet de cette audition, je pourrais aussi expliquer pourquoi, à l'époque, j'ai considéré qu'il ne fallait pas recourir à l'augmentation de capital. Je rappelle que, à cette période, le projet Hinkley Point devait être réalisé avec la structure de financement annoncée en octobre 2013.

Pour les raisons que j'ai déjà indiquées, je ne pourrai malheureusement pas répondre aux questions posées au sujet des évènements survenus au sein d'EDF depuis le 1er mars dernier, telles que l'augmentation du capital ou la consultation des salariés.

En 2015, j'ai proposé le report du projet Hinkley Point ; puis, ce report ayant été exclu, j'ai cherché des solutions, jusqu'au moment où cela n'était plus possible. Ma solution me semblait jouable, même si elle n'était pas facile, car il fallait d'abord renégocier avec notre client, auprès duquel nous nous étions engagés. Mais c'est le métier d'EDF que de proposer des solutions. Certes, l'Angleterre connaîtra un problème d'approvisionnement à l'horizon 2025, et beaucoup m'ont dit que, si le chantier n'était pas lancé à la date prévue, le contrat de vente d'électricité serait renégocié. Ma conviction à l'époque était que, le contrat étant appelé à être renégocié, il était difficile de penser que, en le signant à la va-vite, il ne le serait jamais.

Il s'agit d'un client avec lequel nous serons engagés pour soixante ou quatre-vingt-dix ans ; c'est le Gouvernement britannique, et nous avons besoin de tout son soutien pour les nombreux appels déposés contre la décision de la Commission européenne. Mais l'argument peut être retourné : si le client est sur le point de renégocier, pourquoi ne pas l'accepter et proposer des contreparties ? La même question se pose pour les fournisseurs avec qui il faut renégocier les contrats : s'ils sont prêts à le faire, pourquoi ne pas tout remettre à plat ? Si les fournisseurs connaissent une situation critique, ils viendront nous voir pour faire état de leurs difficultés et demanderont une renégociation : dès lors, que devrons-nous faire ?

Voilà les motivations qui ont été les miennes et qui ont guidé mes choix. Rien n'était facile, mais j'étais persuadé que la chose était possible. Je veux redire ici que mon rôle – que j'ai toujours conçu ainsi – était de trouver une solution dans le cadre des choix stratégiques faits par l'entreprise, et certainement pas de chercher à peser sur ces décisions au-delà des aspects financiers.

Je ne pourrai pas non plus répondre aux questions posées sur les péripéties qui ont émaillé l'histoire du projet Hinkley Point. Je souhaite, en revanche, rendre hommage à nos équipes de Grande-Bretagne, qui ont fait au mieux afin d'arriver au meilleur accord possible, ce qui n'est jamais évident lorsque l'on a une seule contrepartie. C'est à EDF qu'il appartient de vous exposer le résultat de cette négociation, de même qu'il reviendra ensuite au président et au conseil d'administration de l'entreprise de prendre la décision, sur laquelle je ne me livrerai à aucun commentaire.

Monsieur Alain Suguenot m'a interrogé sur l'objectif d'un cash flow positif en 2018. La question n'est en rien perverse, puisqu'il s'agit d'un engagement que j'ai pris dès 2014, et qui a été confirmé en 2015 et en 2016. Lorsqu'une société cotée en bourse prend de tels engagements vis à vis des investisseurs, il est vital de disposer de la totalité des modèles, des simulations et documents attestant ce qu'elle avance. Je vous confirme aujourd'hui que tel était le cas. J'avais pris cet engagement dès 2014, que j'appelais « engagement tout terrain », car je savais que la perspective était celle de la fin des tarifs, c'est-à-dire une considérable exposition à la volatilité des prix de marché.

Nous allions être confrontés à des incertitudes industrielles, et le message que j'ai adressé dès 2014 à ceux qui achètent la dette d'EDF, dans les conditions que j'ai évoquées, et qui nous font confiance sur le très long terme, était, qu'à partir de 2018, nous recommencerions à rembourser cette dette. Lorsque j'ai présenté, au mois de février dernier, les résultats pour 2015, j'ai réaffirmé ma forte conviction que, dès lors qu'EDF est engagée pour 10 milliards d'euros d'investissement net en 2018, l'objectif sera atteint. Si l'entreprise finance ses nouveaux développements par des cessions d'actifs, ce que j'avais évoqué dès 2014 – et qui constitue une bonne hygiène de vie, car cela conduit à faire des sacrifices en s'obligeant à réaffecter le capital pour réaliser tel ou tel investissement, au lieu de se borner à augmenter la dette –, elle connaîtra un cash flow positif dès 2018. Telle était ma conviction à l'heure de mon départ.

Ce n'est pas parce qu'EDF devait faire face à toutes les difficultés que j'ai évoquées que j'ai pris cette décision. Les difficultés ne m'ont jamais rebuté, bien au contraire : elles me motivent.

Enfin, le président de l'entreprise s'est exprimé sur les énergies renouvelables. Aussi n'ai-je rien à ajouter, sauf pour souligner le fantastique succès d'EDF Énergies Nouvelles.

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