Madame la Présidente, mes chers collègues, l'objet de la présente communication est de faire le point sur la jurisprudence du 5 juillet 2012 de la Cour de Cassation en matière de placement en garde à vue des étrangers sur le fondement d'une entrée ou d'un séjour irrégulier sur le territoire. Tirant les conséquences de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE), la Cour de Cassation a jugé que le placement en garde à vue n'était, dans la très grande majorité des cas, plus possible. Je vous présente ici une communication d'étape et nous aurons probablement l'occasion d'y revenir.
Il convient d'examiner ces jurisprudences ainsi que les questions qui se posent en droit français. S'agissant, en premier lieu, de la jurisprudence européenne relative à la pénalisation de l'infraction de séjour irrégulier, il convient de rappeler que l'esprit qui préside à la directive dite « directive retour » est bien celui de la gradation dans les mesures prises à l'encontre des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. La priorité doit être donnée au retour volontaire. En l'absence de retour volontaire, l'État a l'obligation de procéder à l'éloignement en prenant les mesures nécessaires, les moins coercitives possibles. Toute rétention doit être aussi brève que possible.
La CJUE a rappelé que les États membres ne peuvent appliquer une législation pénale qui pourrait mettre en péril la réalisation des objectifs de la directive et priver celle-ci de son effet utile. La CJUE a donc jugé dans son arrêt du 28 avril 2011 qu'une peine de prison pour maintien sur le territoire risquerait de compromettre la réalisation de l'objectif poursuivi par ladite directive, à savoir l'instauration d'une politique efficace d'éloignement et de rapatriement des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Cela n'exclut pas la faculté pour les États membres d'adopter, des mesures, même pénales, une fois que les mesures prévues par la directive ont été appliquées et ont échoué.
L'arrêt de la CJUE du 6 décembre 2011 porte sur la compatibilité de l'article L. 621-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) avec le droit de l'Union, cet article prévoyant notamment que l'étranger qui a pénétré ou séjourné illégalement en France ou qui s'est maintenu en France au-delà de la durée autorisée par son visa est puni d'un peine d'un an d'emprisonnement.
La CJUE a jugé qu'une peine de prison au titre du séjour irrégulier ne peut intervenir qu'en cas d'échec des mesures prévues par la directive retour, y compris le placement en rétention.
S'agissant plus spécifiquement de la question de la garde à vue, la CJUE a validé le principe que les autorités disposent d'une possibilité de placement en détention en vue de la détermination du caractère régulier ou non du séjour d'un ressortissant d'un pays tiers.
Toutefois, bien que la CJUE ait reconnu que la garde à vue puisse être justifiée pour vérifier la situation d'une personne, se pose en droit français la question de la possibilité d'une garde à vue si la personne ne peut encourir de peine d'emprisonnement.
Il convient en second lieu de rappeler la jurisprudence attendue de la Cour de Cassation. Depuis la révision de la procédure de la garde à vue par la loi du 14 avril 2011, le placement en garde à vue ne peut intervenir dans tous les cas que si la personne en cause encourt une peine de prison au moins égale à un an.
Se fondant sur la jurisprudence de la CJUE, la Cour de Cassation a, par deux arrêts du 5 juillet 2012, jugé qu'il n'était pas possible de placer en garde à vue un étranger soupçonné d'être en situation irrégulière puisque ce dernier ne peut encourir la peine de prison prévue à l'article L. 621-1 du CESEDA lors d'une procédure uniquement fondée sur le caractère irrégulier du séjour.
La circulaire de la ministre de la justice du 6 juillet 2012 précise en conséquence que les procureurs doivent inviter les officiers de police judiciaire à « éviter de recourir désormais à une mesure de garde à vue du seul chef de séjour irrégulier ». Une garde à vue peut être envisagée si une autre infraction punie d'une peine d'emprisonnement est relevée.
Quelles pistes de réflexion envisager ? Il faut souligner le caractère prévisible de ces arrêts qui tirent les conséquences de la jurisprudence de la CJUE, connue depuis 2011.
Il n'appartient pas à notre commission des affaires européennes de se prononcer sur la solution qui devra prévaloir. Le ministre de l'intérieur, M. Manuel Valls, a indiqué qu'un projet de loi devrait être déposé à la rentrée.
Selon les statistiques disponibles, près de 60.000 étrangers seraient concernés chaque année. En effet, en 2011, 59.629 gardes à vues fondées sur les infractions aux conditions générales d'entrée et de séjour des étrangers ont été réalisées. Il s'agit donc d'une problématique qui concerne un nombre important de personnes. Les gardes à vue étant désormais impossibles sur ce fondement, le nombre d'obligations de quitter le territoire français (OQTF) prononcées va également nécessairement diminuer très rapidement puisque la garde à vue était le mode classique de vérification de la situation pouvant conduire à l'OQTF. Selon les informations disponibles, seules 400 poursuites pénales étaient effectivement engagées en 2011 sur ce fondement.
Plusieurs pistes de réflexion peuvent être évoquées. Seuls une audition libre ou une vérification d'identité (limités chacun à quatre heures) peuvent dorénavant être effectués dans la majeure partie des cas. Selon toute vraisemblance, un délai aussi bref ne permettra pas la vérification de la situation de la personne dans les cas les plus complexes. La question du délai qui sera accordé aux forces de police pour vérifier la situation de la personne sera donc centrale.
La vérification d'identité ne peut servir qu'à contrôler l'identité et, dès lors que celle-ci est acquise, la personne ne peut plus être retenue. Elle ne semble donc pas constituer donc pas l'outil le mieux adapté à la vérification de la situation au titre du séjour.
Les auditions libres, dès lors qu'elles sont entourées de toutes les garanties rappelées par la circulaire du 6 juillet 2012, peuvent également permettre de vérifier une situation, mais elles sont limitées à quatre heures et la personne peut partir à tout moment.
Il conviendra d'analyser dans quelle mesure l'accès opérationnel des forces de police aux différents fichiers informatiques existants est satisfaisant – vérification de l'existence d'une demande de titre de séjour ou attente d'une décision – ou si des améliorations doivent être apportées.
Les réflexions doivent donc se poursuivre sur l'élaboration, en droit français, d'une procédure nouvelle qui réponde aux exigences de nos engagements européens et permette aux forces de police de procéder, dans des conditions réalistes, à des vérifications de la situation d'étrangers au regard de la législation qui leur est applicable en matière d'entrée et de séjour. Le cas échant, la limitation à la liberté de mouvement de ces personnes devra être strictement nécessaire et proportionnée et un mécanisme de contrôle juridictionnel devra être prévu.
Par ailleurs, la situation des pays européens appliquant la directive retour devra également être examinée attentivement, étant entendu toutefois que l'hétérogénéité des systèmes judiciaires rend parfois les comparaisons délicates.
En conclusion, ils convient de poursuivre les travaux de réflexion afin de tirer toutes les conséquences des jurisprudences européenne et française. Les enjeux sont importants car le nombre de personnes qui étaient jusqu'à présent concernées chaque année par une garde à vue au titre de la législation sur les étrangers est élevé. Le gouvernement travaille actuellement sur les mesures à prendre et un projet de loi devrait être présenté à la rentrée. Nous aurons donc l'occasion de poursuivre notre travail.