Intervention de Jean-Paul Chanteguet

Réunion du 11 mai 2016 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Chanteguet, rapporteur pour avis, président :

À ma demande, nous examinons aujourd'hui pour avis le projet de loi autorisant la ratification de l'accord de Paris adopté le 12 décembre 2015 et ayant été signé à New York le 22 avril 2016. Ce projet de loi ne comporte qu'un article. Renvoyé au fond à la commission des affaires étrangères, il sera examiné le mardi 17 mai en séance publique, vers 17 heures ou même un peu avant.

C'est la seconde fois que la Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire se saisit pour avis d'un projet de loi autorisant la ratification d'un accord dont le sujet ressort de ses compétences. Ainsi, à l'automne 2013, la commission s'était saisie du projet de loi autorisant la ratification du traité franco-italien relatif à la liaison ferroviaire Lyon – Turin. Notre collègue Catherine Quéré en avait été la rapporteure pour avis.

Je souhaite bien sûr saluer cet accord, qui constitue le meilleur accord qu'il était possible d'obtenir. Il définit notre ambition collective de maintenir l'élévation de la température moyenne de la planète en-dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels, avec l'objectif de limiter cette élévation à 1,5 °C.

Après l'échec du protocole de Kyoto et le relatif échec du sommet de Copenhague, la communauté internationale a pris peu à peu conscience de la nécessité de se rassembler autour de l'objectif d'un accord universel. C'est à la conférence de Lima, en 2014, que les bases en ont été jetées. Le succès obtenu est bien celui de la présidence française qui sut se montrer tout à la fois diplomate, humble et déterminée, en associant l'ensemble des acteurs étatiques, mais également, et c'est une nouveauté marquante, les acteurs non étatiques.

Quelques chiffres permettent de prendre conscience du poids politique de cet accord : 195 pays sont parties prenantes de cet accord, ainsi que l'Union européenne ; 189 parties ont remis leur contribution nationale avant la COP 21 ; 175 ont signé l'accord de Paris dès l'ouverture à la signature à New York, le 22 avril. À ce jour, 177 parties l'ont signé.

Le double seuil fixé pour l'entrée en vigueur de l'accord, à savoir qu'il soit ratifié par 55 parties représentant 55 % du total des émissions mondiales de gaz à effet de serre, pourrait être atteint rapidement, avant la fin de l'année 2016.

Les dispositions de l'accord, sur lesquelles je ne reviendrai pas en détail, constituent des avancées majeures. Les pays doivent chercher à parvenir au plafonnement de leurs émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais, en vertu de l'article 4. L'accord demeure fondé sur l'équité et le principe des responsabilités communes mais différenciées des parties et de leurs capacités respectives ; il ne repose pas sur un système de sanction mais sur les engagements pris par les pays, avec une force par ailleurs jamais atteinte par le passé. Les contributions nationales seront prises par périodes successives de cinq années, et selon un principe de progression constante. L'appui spécifique aux pays en développement, les moyens de financement devant être mobilisés ainsi que les différents travaux devant être menés à Bonn puis à Marrakech pour la mise en oeuvre concrète de l'accord sont précisés dans le rapport.

Je souhaite également insister devant vous sur l'urgence à agir.

Quatre domaines d'action doivent retenir notre attention. En premier lieu, il faut bien prendre conscience que les résultats que nous pouvons attendre des quelque 161 contributions nationales déposées par 189 parties, y compris la contribution de l'Union européenne, sont insuffisants. Sur la période 2012-2030, les émissions cumulées atteindraient 738,8 gigatonnes dioxyde de carbone.

C'est pourquoi il n'est pas inutile de rappeler que le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), dans son dernier rapport, évalue l'urgente obligation de maintenir le total des émissions de gaz à effet de serre d'origine anthropique cumulées à 2 900 gigatonnes dioxyde de carbone en 2100 pour limiter à 2 °C la hausse des températures par rapport à l'ère préindustrielle. En 2011, 1 900 gigatonnes dioxyde de carbone avaient déjà été émises. De ce fait, si les émissions cumulées sur la période 2012-2030 atteignaient effectivement 740 gigatonnes dioxyde de carbone, alors ce seraient les trois quarts des émissions « disponibles » jusqu'en 2100 pour contenir la hausse des températures qui auraient déjà été utilisées.

La croissance des émissions telle qu'elle ressort des contributions nationales devrait générer une hausse des températures de l'ordre de 2,7 °C à 3 °C. Tout notre travail consiste désormais à revenir à des trajectoires permettant de rester en dessous d'une hausse de 2 °C. Il est indispensable d'agir très rapidement car, les rapports du GIEC en attestent, tout retard pris sur des trajectoires dites optimales engendre un surcoût considérable. Tout retard, nous le savons, met en danger nos sociétés.

C'est la raison pour laquelle j'estime absolument nécessaire de revoir en profondeur les engagements nationaux de façon très anticipée et de pousser un maximum de parties à réévaluer fortement leurs contributions avant 2020 afin de revenir à un scénario soutenable.

La date de 2018 devrait être considérée comme une étape majeure. La conférence des parties a décidé d'organiser un dialogue de facilitation entre elles pour faire le point en 2018 sur les efforts collectifs déployés. Elle a aussi invité le GIEC à présenter un rapport spécial en 2018 sur les conséquences d'un réchauffement planétaire supérieur à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels.

Nous devons, en deuxième lieu, parvenir à fixer un prix du carbone. Car il adresse un signal-prix permettant de mieux lutter contre les changements climatiques et de réorienter massivement les choix économiques.

Dans mon rapport intitulé « Le passage à un monde décarboné n'est plus négociable », j'avais déjà souligné toute l'urgence à donner un prix au carbone. La résolution adoptée par l'Assemblée nationale, le 25 novembre dernier, nous a permis de la confirmer. Je souscris donc pleinement à l'objectif annoncé, dans le cadre de la conférence environnementale d'avril 2016, par le président François Hollande, de mettre en oeuvre dès cette année un prix plancher du carbone, afin de taxer l'utilisation des énergies fossiles pour la production d'électricité.

Le 25 mars 2016, Mme Ségolène Royal, ministre de l'environnement, a confié une mission à MM. Pascal Canfin, Alain Grandjean et Gérard Mestrallet afin de préciser les modalités par lesquelles une trajectoire de prix du carbone plus robuste pourrait être obtenue sur le marché carbone européen, d'identifier les possibilités d'intégration d'une composante carbone dans la fiscalité énergétique des pays de l'Union et de proposer des moyens de mettre en oeuvre un prix plancher pour la production d'électricité à l'échelle européenne ou, dans un premier temps, au niveau national. Notre action d'entraînement vis-à-vis de nos partenaires européens doit être poursuivie, car plusieurs textes centraux vont être renégociés.

Je tiens également à rappeler la nécessité de suivre de très près deux domaines économiques importants : le transport aérien et le transport maritime. Nous devons nous assurer de l'articulation des accords que ces deux secteurs doivent porter, dans le cadre de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) et de l'Organisation maritime internationale (OMI), avec l'accord de Paris.

Il faut, en troisième lieu, pérenniser et consolider la dynamique de l'agenda des solutions, porté par le plan d'action Lima-Paris. Ce plan d'action vise à associer l'ensemble des acteurs de la société civile prenant des engagements opérationnels pour le climat. Une première série d'initiatives coopératives a été lancée lors du sommet pour le climat de New York en septembre 2014. Cet élan a connu une très forte montée en puissance durant la préparation de la COP 21. Il convient ici de souligner la justesse de la démarche de mobilisation conjointe des acteurs étatiques et non étatiques. Agissant comme un catalyseur, le programme d'action Lima-Paris démontre que les États seuls ne pourront pas tout et que l'implication de tous est nécessaire.

Au lendemain de la signature de l'accord de Paris, le bilan était le suivant : plus de 70 grandes initiatives coopératives ou coalitions regroupant près de 10 000 acteurs issus de 180 pays étaient venues présenter leurs actions. Non moins de 7 000 collectivités et 2 000 entreprises étaient engagées. Ces initiatives doivent être promues, suivies et de nouvelles doivent encore émerger. La décision accompagnant l'accord de Paris a pérennisé le plan d'action et institué les « champions » dont le rôle consistera à faire progresser cette dynamique. C'est pourquoi je souhaite voir émerger une gouvernance de ce plan qui soit pragmatique et permette de conserver la spécificité de cet outil.

Enfin, nous devons, en quatrième et dernier lieu, rappeler la nécessité d'impliquer l'ensemble des citoyens. Un effort de pédagogie doit être engagé sans tarder et le rapport souligne l'apport de démarches telles que le débat citoyen planétaire sur le climat, ou encore la valorisation, par la ministre de l'écologie, en vue de la COP 22, des cent initiatives citoyennes les plus innovantes.

La COP 21 est un point de départ sur lequel nous devons nous appuyer pour mettre en oeuvre les mutations dont tous ont pris conscience. Il est nécessaire que les réformes s'accélèrent et que les différents acteurs soient encouragés à poursuivre et amplifier leur action car nous vivons, il faut en avoir conscience, sous le risque d'un emballement climatique qui menace notre planète et, par là même, notre avenir et, au-delà, celui des générations futures dont nos enfants et petits-enfants.

Je vous propose donc d'émettre un avis favorable à l'adoption du projet de loi de ratification.

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