Je veux tout d'abord saluer le travail de nos collègues rapporteurs, qui nous offre un bon éclairage sur la question de la transformation numérique de l'État Je formulerai cependant une petite remarque d'ordre méthodologique à propos de leur évaluation de la loi pour une République numérique. En effet, on ne peut évaluer que ce qui existe ; or, pour le moment, cette loi n'existe pas, et le vote du Sénat rend son existence encore plus hypothétique puisque l'on en est à se demander ce que donnera la commission mixte paritaire. Ne voyez nulle volonté polémique dans cette remarque. Je ne remets d'ailleurs pas en cause les aspects positifs du projet de loi.
J'en viens au coeur de mon propos. M. Piron et Mme Erhel ont raison de noter qu'il ne faut pas faire de la dématérialisation l'alpha et l'oméga de l'action publique ; ce serait très dangereux. Cependant, la numérisation peut être un levier de transformation de la façon de travailler de l'État. N'oublions pas, au demeurant, que les téléservices comportent deux aspects : la dématérialisation – et l'on peut saluer à cet égard le travail du SGMAP et de FranceConnect – ne doit pas nous faire perdre de vue les services. Si elle permet d'étendre éventuellement le champ de ces services, cette dématérialisation induit pour les administrations de nombreux changements dont les usagers ne se rendent pas forcément compte. De fait, les services des préfectures, les services publics locaux et les collectivités – et nous le constatons également dans nos permanences d'élus – sont littéralement noyés sous une abondance de mails difficiles à hiérarchiser mais qu'il faut traiter, en sachant que le client-usager attend une réponse immédiate. Ainsi l'un des enjeux pour les services administratifs est d'apporter à ce dernier une réponse précise dans des délais brefs. Or, ils ne le peuvent pas toujours, pour diverses raisons : les formations ne sont pas toujours assurées, les personnels ne peuvent pas forcément être transférés d'un service à un autre et ces tâches sont chronophages. Il convient donc de former les personnels, non seulement aux techniques elles-mêmes, mais aussi à la hiérarchisation des demandes.
Ma deuxième remarque concerne les relations entre l'État et les collectivités locales. Un dialogue existe parfois, mais il tient, c'est vrai, à la personnalité des responsables des services publics locaux et des élus. Or, les procédures de marché public, par exemple, sont fort complexes. Il conviendrait donc, comme l'ont souligné nos rapporteurs, d'améliorer la coordination interministérielle.
J'en viens à la question des relations avec le public. La confiance, et donc la sécurité des échanges et des données, sont essentielles en la matière. Il ne s'agit pas seulement de s'assurer de la protection des données personnelles ; on peut s'interroger également sur la fiabilité d'états civils qui seraient totalement dématérialisés : je ne suis pas certain que l'on y soit prêt. Or, si nos concitoyens n'ont pas confiance dans la sécurité des procédures, ils n'ont pas confiance en la fiabilité de l'État. Cela m'amène à souligner la nécessité de ne pas externaliser certaines compétences. Moi qui suis un affreux jacobin, j'avais d'ailleurs tenu le même discours à propos de la fusion des DDE et des DDA, devenues aujourd'hui DDT. Trop de compétences sont parfois parties dans le privé, si bien que l'État se fait parfois un peu balader, y compris par des élus locaux.
En conclusion, l'attention doit être, une fois de plus, portée sur la cohésion, pour ne pas dire la cohérence, nationale. Le numérique peut apporter à la fois le pire et le meilleur. Prenons garde – même si l'expression est galvaudée – à la fracture numérique, qui est toujours bien présente, qu'elle soit sociale, économique ou générationnelle. Dans ma circonscription, par exemple, une trentaine de personnes âgées – c'est très significatif – m'ont indiqué être très inquiètes de devoir télédéclarer leurs revenus. Certaines ne sont pas équipées, d'autres ne veulent pas faire appel à leurs enfants car elles ne souhaitent pas forcément qu'ils connaissent leurs revenus. Enfin, soyons attentifs à la couverture géographique : je ne voudrais pas qu'il y ait des citoyens des villes et des citoyens des champs. Or, sur ce point, le projet de loi pour une République numérique n'apporte pas de véritable réponse. Je veux bien reconnaître les efforts de l'État et des collectivités locales dans ce domaine, mais nous sommes encore loin du compte. Il est nécessaire d'évaluer et, si nous voulons rester en phase avec nos concitoyens, de donner parfois du temps au temps, non pas pour renoncer à nos ambitions, mais pour répondre aux attentes de la société.