Intervention de Jean-Pierre Kieffer

Réunion du 27 avril 2016 à 18h00
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Jean-Pierre Kieffer, président de l'Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoir, OABA :

L'Œuvre d'assistance aux bêtes d'abattoir que je préside existe depuis 1961 et a été reconnue d'utilité publique en 1965, voilà un peu plus de cinquante ans. Cette association a été la première à être spécialisée dans la protection des animaux de boucherie. Elle a pendant longtemps été la seule à s'en préoccuper et nous nous réjouissons que d'autres organisations se soucient désormais de la protection des animaux que l'homme destine à sa consommation.

Nos actions couvrent la protection des animaux de l'élevage jusqu'à l'abattage. Et nous menons notamment une mission très particulière : le sauvetage des animaux maltraités ou en abandon de soins dans les fermes, tâche qui n'a fait que s'accroître avec la crise agricole. En 2015, nous avons ainsi pu sauver, à la suite de saisies effectuées par les services vétérinaires, 1 386 animaux, dont 986 bovins. Cela a représenté un budget de 750 000 euros pour notre association qui n'a reçu d'aides ni des pouvoirs publics, ni d'autres associations, ni des professionnels de l'élevage. Je tiens à le souligner, car en l'absence d'interventions de notre part, les animaux seraient promis à une mort certaine, crèveraient de faim ou de souffrance, et les services vétérinaires savent malheureusement de plus en plus faire appel à nous. Ce rôle nous est cher car nous avons toujours accordé beaucoup d'importance à la protection de terrain : nous privilégions ces opérations de sauvetage par rapport à la communication, notamment sur internet.

C'est grâce à l'action de la fondatrice de l'OABA, Mme Gilardoni, qu'a été publié en 1964 un décret rendant obligatoire l'étourdissement – avec une dérogation bien connue pour l'abattage rituel.

L'OABA a mené depuis les années soixante-dix une mission de visites des abattoirs, mettant à profit la présence traditionnellement forte de vétérinaires parmi ses membres, qu'il s'agisse d'enseignants des écoles vétérinaires, de vétérinaires praticiens, voire de vétérinaires de l'administration. Depuis quelques années, elle rencontre toutefois des difficultés pour la mener à bien – j'y reviendrai plus loin.

Ces visites se font toujours après avoir pris rendez-vous avec le directeur de l'abattoir concerné et les services vétérinaires en charge du contrôle de cet abattoir : il n'est pas possible pour une association de venir à l'improviste pour voir ce qu'il s'y passe. Précisons que nos audits portent sur la seule protection des animaux et non sur l'aspect sanitaire. Sur place, nous adressons des remarques au directeur et aux professionnels sur les problèmes que nous relevons. Nous faisons même corriger les mauvaises pratiques en montrant les bons gestes, puisque nos enquêteurs sont soit des vétérinaires soit des professionnels des abattoirs à la retraite, doués d'une réelle compétence en matière de manipulation des animaux et d'utilisation du matériel. Nos visites font systématiquement l'objet d'un rapport remis au directeur, éventuellement au maire lorsqu'il s'agit d'un abattoir municipal, aux services vétérinaires préfectoraux – direction départementale des services vétérinaires (DDSV) autrefois, direction départementale de la protection des populations (DDPP) à présent – mais aussi, en cas de problèmes sérieux, au bureau de la protection animale de la direction générale de l'alimentation (DGAL) du ministère de l'agriculture.

Notons que jusqu'au début des années 2000, il y avait une réactivité très forte de la part des abattoirs, des services vétérinaires et du bureau de la protection animale. Lorsque nous constations une infraction qui aurait dû être relevée par le vétérinaire inspecteur, le bureau de la protection animale envoyait une note de service à l'abattoir concerné rappelant la réglementation – dont il pouvait arriver à mes confrères d'ignorer certains points. Nous avons même reçu des lettres d'encouragement de la part de certains ministres de l'agriculture comme Dominique Bussereau ou Bruno Le Maire. Mais depuis, cette réactivité s'est peu à peu affaiblie : lorsque nous revenions six mois ou un an plus tard visiter un abattoir dont nous avions signalé les manquements à la réglementation, nous constations une persistance des dysfonctionnements.

En 2011, nous avons été sollicités par la journaliste Anne de Loisy qui souhaitait faire une enquête en caméra cachée dans les abattoirs à la suite du rapport de la Cour des comptes épinglant des problèmes sanitaires. Nous avons étudié la possibilité de l'aider à entrer dans certains abattoirs mal équipés ou souffrant de dysfonctionnements, notamment un abattoir appartenant à la catégorie 4 – la pire, celle qui ne devrait plus exister. Son reportage, qui comportait des images très choquantes, a été diffusé en 2012 dans le cadre de l'émission Envoyé spécial sur France 2 et a été vu par près de 4 millions de téléspectateurs. Il mettait au jour des pratiques inacceptables – un directeur notamment indiquait que les visites ante mortem dans son abattoir étaient effectuées par la caissière de son établissement !

Cette émission a eu un impact politique à quelques mois des élections présidentielles – certains partis se sont emparés de la question, parfois en la détournant de son contexte. Malheureusement, elle a eu aussi des répercussions directes pour l'OABA car certains directeurs d'abattoir ont considéré que notre association avait trahi leur confiance. C'est une attitude regrettable : les professionnels auraient mieux fait de considérer qu'il leur fallait balayer devant leur porte, car nous n'avions dénoncé que de très, très mauvais élèves, et empêcher que les dysfonctionnements dénoncés à travers des cas extrêmes ne se reproduisent.

Nous avons donc ensuite connu des difficultés pour entrer dans les abattoirs et la situation ne s'est pas arrangée par la suite. Patrick Dehaumont, directeur général de l'alimentation, toujours en fonction, a en effet adressé à tous les abattoirs une note de service indiquant que toute personne entrant dans un abattoir devait obtenir l'autorisation de son directeur. Ce qui était tout à fait logique, à ceci près qu'on laissait entendre que l'OABA n'était pas la bienvenue…

Précisons que le rôle de l'OABA n'est pas seulement de dénoncer les mauvaises pratiques mais aussi d'encourager les améliorations. Dans cette optique, nous mettons au point des guides de bonnes pratiques illustrés : celui consacré aux ruminants a été validé par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), celui dédié aux ovins est à l'étude et celui relatif aux porcs est en cours de rédaction.

Nous participons également à des travaux scientifiques avec l'Institut national de recherche agronomique (INRA), l'ANSES, et les écoles vétérinaires afin d'améliorer les analyses des conditions de la perte de conscience. Il faut savoir que beaucoup de mauvaises pratiques proviennent de non-vérification de la perte de conscience. Du coup, des animaux sont hissés sur la chaîne d'abattage et découpés alors qu'ils sont encore sensibles. Ces actes de cruauté sont très difficiles à supporter pour le vétérinaire que je suis. Les vidéos de l'association L214 ont eu l'avantage de montrer ces pratiques dans certains abattoirs.

Nous continuons de visiter un certain nombre d'abattoirs. Sur les deux cent cinquante abattoirs d'animaux solipèdes – munis de sabots –, quatre-vingts continuent à nous ouvrir leurs portes sans difficulté.

Lors de la réunion du Conseil national d'orientation de la politique sanitaire animale et végétale (CNOPSAV) du 5 avril dernier, j'ai eu l'occasion de demander au ministre de l'agriculture s'il comptait renforcer le contrôle du poste d'abattage. Il m'a immédiatement répondu qu'il ne disposait pas de moyens suffisants pour recruter les 500 équivalents-temps plein nécessaires pour combler la perte d'agents de contrôle intervenue entre 2004 et 2014. Ce à quoi, me doutant de sa réponse, j'ai répliqué que, dans ces conditions, il devait accepter que des associations participent au contrôle du poste d'abattage, proposition qu'à ma surprise, il a acceptée. Le directeur général de l'alimentation, Patrick Dehaumont – celui-là même qui avait transmis une note de service incitant les directeurs d'abattoir à ne plus recevoir l'OABA – m'a appelé pour me dire que cette solution serait étudiée et que, dans le cadre de conventions, il pourrait être envisagé que les associations de protection animale participent à ces visites de contrôle du poste d'abattage.

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