Intervention de Frédéric Freund

Réunion du 27 avril 2016 à 18h00
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Frédéric Freund, directeur de l'OABA :

À l'évidence, les contrôles sont insuffisants et inefficaces. Il n'y a pas que les ONG de protection animale qui le soulignent : les services de Commission européenne dressent le même constat. Plusieurs rapports de l'Office alimentaire et vétérinaire (OAV) ont épinglé la France pour l'insuffisance des contrôles : les vétérinaires inspecteurs ne sont pas assez présents aux postes d'abattage et lorsqu'ils le sont, ils ne remédient pas assez souvent aux situations de maltraitance avérée.

Dans ces conditions, la question de la vidéosurveillance se pose. À la suite de la diffusion des vidéos de L214, les ONG de protection animale, dans une lettre commune adressée tout d'abord au ministre de l'agriculture puis au Premier ministre, ont appelé à une surveillance continue du poste d'abattage ; cette demande a d'ailleurs été reprise par les quatre fédérations nationales d'abattage dans un communiqué de presse unique – le fait est assez rare pour être noté. Lors de la réunion du CNOPSAV du 5 avril, le directeur général de l'alimentation a reconnu qu'une telle surveillance nécessitait de recruter 500 personnes. Le ministre de l'agriculture s'est empressé de dire qu'il n'avait pas les moyens budgétaires de le faire.

En l'absence de moyens humains, comment répondre à l'attente des professionnels, des ONG et du public ? En installant des dispositifs de vidéosurveillance. Au Royaume-Uni, plus de la moitié des abattoirs en sont équipés, sur la base du volontariat. Rien n'empêche les responsables d'abattoirs français d'en faire autant. Leurs fédérations elles-mêmes en ont fait la demande ; il leur appartient de passer à l'action. Certains, du reste, ont déjà installé des caméras, principalement pour les quais de déchargement. Il faudrait les généraliser aux couloirs d'amenée et aux postes d'abattage.

Le dispositif de sanctions nous paraît-il suffisant ? Il repose principalement sur la partie réglementaire du code rural, précisément sur l'article R. 215-8 qui punit, entre autres, le fait d'avoir recours à un matériel d'immobilisation non conforme, de suspendre des animaux encore conscients, de ne pas étourdir l'animal. Seules des contraventions de quatrième classe sont appliquées : ces pratiques ne sont pas considérées comme des délits. Cela explique que le ministre de l'agriculture ait parlé de créer un délit de maltraitance pour les professionnels de l'abattage. Il suffirait pour cela d'étendre le champ de l'article L. 215-11 du code rural qui punit d'ores et déjà de six ans d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende les actes de maltraitance commis par des professionnels de l'élevage, avec une interdiction professionnelle limitée à cinq ans. Passer d'une peine contraventionnelle de quelques centaines d'euros à une peine délictuelle me paraît incontournable.

Pour bien connaître le fonctionnement des parquets – il m'est arrivé d'être auditeur lorsque j'étais chargé de travaux dirigés à la faculté de droit de Nancy –, je sais qu'un procureur submergé de dossiers d'agressions sexuelles, de vols à main armée, de trafics de stupéfiants, d'infractions économiques aura tendance à ne pas prêter grande attention à une contravention de quatrième classe pour deux ou trois moutons mal étourdis. Il n'en sera pas de même pour une procédure d'ordre délictuel portant sur les mêmes faits : il lui sera beaucoup plus difficile de décider de la classer. L'élévation dans le degré des sanctions pour les maltraitances commises au sein des abattoirs nous apparaît nécessaire.

Vous avez posé une excellente question à propos de la possibilité pour les associations de protection animale de se porter partie civile : aujourd'hui, elles peuvent le faire – je vous renvoie à l'article 2-13 du code de procédure pénale – uniquement pour les infractions qui relèvent du code pénal, et non du code rural. Vous avez donc devant vous une association reconnue d'utilité publique spécialisée dans la protection animale, de l'élevage à l'abattage, qui ne peut légalement se constituer partie civile pour toutes les infractions relatives aux règles d'élevage, de transport et d'abattage contenues dans le code rural…

Dans le cadre de l'examen de la loi d'avenir pour l'agriculture, il avait été envisagé d'élargir par voie d'ordonnance l'article 2-13 aux infractions prévues par le code rural. La Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) s'est opposée à cette disposition, estimant qu'elle encouragerait les associations à déposer des plaintes à tout va. C'est confondre deux choses. Aujourd'hui, point n'est besoin de se porter partie civile pour déposer plainte : tout le monde peut le faire. Dans 99 % des cas, la constitution de partie civile pour les associations de protection animale se fait à partir de citations délivrées par le parquet. Je ne vois donc pas où est le risque d'une inflation de procédures. Si le parquet est inactif, une association de protection animale peut initier l'action publique, soit devant le doyen des juges d'instruction, soit par citation directe, mais dans les deux cas, elle doit verser une certaine somme au titre de la consignation. Si la procédure est considérée comme abusive, cette provision peut être confisquée et une amende civile prononcée : la procédure est donc suffisamment bordée. Rien n'empêche donc à mon sens que le code de procédure pénale soit modifié pour permettre aux associations de protection animale de se porter partie civile pour les infractions prévues par le code rural.

Pour ce qui est de la comparaison avec l'étranger, je vous rassure : on ne peut pas dire que la France est le vilain petit canard de l'Union européenne. Nous nous référons aux rapports de la Commission européenne qui portent chaque année sur des audits menés dans certains pays soit sur l'élevage, soit sur le transport, soit sur l'abattage. Les dernières études de l'OAV, qui portent sur la Grèce, l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, la Pologne, ne montrent pas dans ces pays une situation meilleure que la France. Les pays les plus attentifs au bien-être animal sont surtout ceux d'Europe du Nord : le Danemark, la Suède et les Pays-Bas.

Comment quantifier les dysfonctionnements dans les abattoirs, nous avez-vous demandé. Il s'agit d'une tâche extrêmement difficile car cela nécessite de disposer d'une grille d'analyse bâtie sur des critères objectifs. Nous avons mené une étude au sein de l'OABA durant les années 2011 et 2012 portant sur cent vingt visites d'abattoirs : nous avons constaté que dans 5 % des cas, les abattoirs respectaient parfaitement la réglementation « protection animale » ; pour les 95 % restants, on relevait 55 % d'irrégularités mineures et 45 % d'irrégularités majeures. Exemple d'irrégularité mineure : la coupure de l'eau dans les zones d'attente pour éviter le gel, problème qui peut pourtant être aisément résolu en en mettant des bassines ou des seaux dans les parcs pour donner à boire aux animaux. Et si les animaux les renversent, il suffit de les mettre dans de vieux pneus, qui ne coûtent rien… Les dysfonctionnements majeurs concernent les animaux mal étourdis ou les animaux suspendus alors qu'ils sont encore conscients.

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