Intervention de Marx Roustan

Réunion du 28 avril 2016 à 9h00
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Marx Roustan, maire d'Alès :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les parlementaires, nous appréhendions un peu cette visite, mais je crois que celle-ci nous permettra de faire la lumière et de faire avancer le schmilblick…

En préambule, la ville d'Alès conteste totalement la pratique consistant à associer dans une même démarche des situations distinctes. L'association L214 se livre à des pratiques à mes yeux scandaleuses, au service d'une orientation abolitionniste. Elle suit une idéologie, que je respecte, mais dans la mesure où on ne l'applique qu'à soi-même. Mais de là à vouloir l'appliquer à tout le monde… Pour ma part, je n'ai pas envie de manger de l'herbe toute ma vie ! Et je considère que la consommation de viande fait partie d'une culture.

S'il y a eu des manquements aux règles d'abattage, comme on a peut-être pu le constater ici ou là, il appartiendra à la justice de se prononcer : inutile d'en faire un long discours. Certes, les images qui ont été projetées ont profondément touché les gens. On ne peut pas le dire autrement : de fait, dans un abattoir, il y a du sang, surtout chez nous, où l'on tue énormément en rituel. Cette manière d'abattre est exigée, et ils en ont le droit, par nos clients musulmans. Nous avons des abatteurs nommés par la mosquée. Leur manière de procéder est conforme à la religion musulmane. Je comprends que les images qu'on en a montrées peuvent scandaliser les gens. Pour autant, on ne peut pas accepter que ma ville soit salie comme elle l'a été, et au niveau mondial, puisqu'internet a une portée internationale. Mais on verra ce que la justice dira.

S'agissant de l'abattoir d'Alès, je ne sais pas s'il y aura à redire. L'enquête administrative n'a pas décelé de faute professionnelle grave, hormis certains dysfonctionnements au regard du code rural.

La ville d'Alès, qui compte 42 000 habitants, se trouve au centre d'un territoire labellisé par l'UNESCO au titre de l'agro-pâturage. L'abattoir fait partie intégrante du projet de territoire de cette ville : je vous rappelle tout de même qu'Alès est un secteur urbain, que je n'ai aucun éleveur chez moi, et que si je fais en sorte que cet abattoir soit en état de fonctionner, c'est par solidarité pour le territoire.

L'abattoir coûte très cher à la collectivité. Nous y avons investi 4,3 millions d'euros en accord avec la Direction départementale de protection des populations (DDPP), les abatteurs, la Caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) et les professionnels locaux. Chiffre d'affaires : environ 2,5 millions d'euros par an. Perte sèche pour la collectivité : environ 2 millions d'euros par an. C'est donc l'impôt des Alésiens qui paie le fonctionnement de cet abattoir. Je suis donc révolté quand j'entends dire que si nous abattons ainsi, c'est par souci de rentabilité ! Si je faisais de la rentabilité, je ne perdrais pas chaque année plus de 2 millions en fonctionnement…

Cela signifie que les efforts consentis n'ont pas eu de retour au plan économique. Nous nous en doutions, car les investissements dans les abattoirs sont très lourds et chaque année, les normes évoluant, il faut réinvestir. Nous le savions, nous le supportons, mais cela devient vraiment très difficile.

On nous reproche de ne pas former le personnel des abattoirs. Or nous organisons, pour les salariés de l'abattoir comme pour l'ensemble des 1 700 salariés de la commune et de la communauté d'agglomération, des formations continues – ce qui nous a d'ailleurs permis de faire baisser les accidents du travail de 60 % en trois ans. Nos agents suivent également une formation sur la bientraitance animale, assurée par le cabinet Barthélemy, spécialiste reconnu dans ce domaine.

Nous nous conformons aux normes en vigueur. Nous avons quatre agents de la DDPP dans l'abattoir, qui font leur travail – malgré quelques manquements dans l'affaire qui nous concerne aujourd'hui.

L'abattage, je le rappelle, est rituel ; il n'est effectué que par le sacrificateur habilité. Ni le directeur ni moi-même ne pouvons leur ordonner de procéder autrement ; s'ils faisaient autrement, la viande ne serait pas considérée comme halal. Il appartiendra au législateur de dire si l'on doit, ou non, continuer à abattre de cette manière-là. Pour notre part, nous agissons conformément aux règles actuellement en vigueur. L'Europe nous donne l'autorisation de le faire. Et M. le préfet nous a accordé, le 28 juin 2012, l'autorisation de continuer à tuer ainsi.

L'abattoir de la ville d'Alès est contrôlé et reconnu par les professionnels. Il a été créé en 1964 – et je suis arrivé à la mairie en 1995. Il est public, directement géré par la ville d'Alès en régie. C'est un abattoir de proximité, qui touche beaucoup de monde.

Nous respectons les sept critères reconnus dans le classement de la DDPP : la conception, la maintenance et l'équipement de travail ; la procédure de nettoyage et de désinfection – nous n'avons jamais eu de problèmes sanitaires ; la procédure de réception, d'exposition et de traçabilité ; les bonnes pratiques de la bientraitance de l'animal ; la maîtrise des processus et des procédures ; la maîtrise des températures des animaux ; la gestion des sous-produits.

Je m'insurge également contre le fait que l'association nous ait impliqués dans cette fameuse histoire des chevaux. L'abattoir d'Alès n'a jamais été mis en cause dans cette affaire.

La DDPP effectue en permanence des contrôles chez nous ; comme je l'ai dit, quatre de ses agents sont présents au quotidien au sein de l'abattoir, et valident chaque étape du processus. Depuis 2015, la DDPP a toujours souligné le respect des normes et des procédures. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, je vous fournirai le rapport et pour tous ceux qui le souhaitent, des clés USB. Vous aurez donc tous les documents attestant que depuis 2015, il n'y a jamais eu de souci particulier sur cet abattoir. Par ailleurs, l'OABA, que vous avez reçue, a validé en 2011 et en 2016 les procédures mises en oeuvre par l'abattoir d'Alès. Les documents figurent également dans le dossier que je vous remettrai tout à l'heure.

L'abattoir d'Alès est le plus important du Languedoc-Roussillon. Il traitait 5 300 tonnes ; aujourd'hui, depuis ces images terribles, il n'en fait plus que 2 000. On se rabat sur de la viande foraine qui vient d'Australie ou d'ailleurs. Et l'on est content, même si on ne sait pas comment les animaux sont tués là-bas…

Notre abattoir est à l'origine de 580 emplois, directs ou indirects, ce qui représente du monde sur le territoire : 400 entreprises agricoles sont concernées. S'il devait fermer, le plus proche abattoir, d'une capacité suffisante, serait celui de Valence. Imaginez le petit éleveur, qui aurait besoin d'un camion pour porter sa bête à l'abattoir, et d'un camion frigorifié trois jours plus tard pour revenir chercher la viande, puisqu'elle aurait été mise en frigo : cela lui serait totalement impossible. Ce serait donc la mort de toutes les petites exploitations agricoles du secteur. Nous avons plus de 600 clients ; plus de 60 % d'entre eux sont situés dans l'environnement direct de l'abattoir.

Alès est la ville porte du Parc national des Cévennes et des Causses et Cévennes, paysage culturel classé au patrimoine mondial de l'UNESCO pour l'agropastoralisme. Nous avons nécessairement besoin d'un abattoir : sans abattoir, il n'y a pas d'élevage… Ainsi, ma ville s'occupe d'agriculture : c'est un peu mon fonds de commerce personnel. À l'exemple du Pata negra espagnol, bien connu, nous avons lancé l'élevage du « baron des Cévennes », un cochon nourri exclusivement à la châtaigne. Aujourd'hui une dizaine de producteurs agréés y travaillent, à partir d'un cahier des charges très précis. Ces cochons commencent à arriver sur le marché, et surtout le marché parisien.

Quel est notre avenir ? On ne peut évidemment pas passer sous silence les images choquantes que j'ai revues hier soir sur la chaîne 31 de la TNT. J'observe que si l'on avait pu, on aurait mis la caméra dans la gorge de l'animal… Cela m'a semblé un peu exagéré et caricatural, mais après tout, cela fait partie de la communication.

Quels manquements ont été constatés ? On avait mis six porcs dans les cages qui sont faites pour cinq. Mea culpa… Le directeur fera le sien tout à l'heure. Je ne vais jamais à l'abattoir, car je ne supporte pas le sang… Mais je fais confiance au personnel agréé qui s'en occupe.

L'abattage rituel pose question, malgré une demande sociale très forte. Entre notre région et la région de Marseille, pratiquement toute la clientèle se fournit en viande halal.

Faut-il maintenir cet abattoir ? Je me pose cette question depuis vingt-cinq ans, puisque nous perdons des sous chaque année. Notre communauté d'agglomération est en passe de comprendre une centaine de communes – toutes les Cévennes ; autrement dit, tout le secteur concerné par la vie de cet abattoir. Selon moi, il serait désolant d'en arriver à sa fermeture. Pour autant, même si c'est un établissement municipal, nous devons assurer un certain équilibre financier, et aujourd'hui nous sommes en difficulté.

Dans ces conditions, comment peut-on améliorer les conditions d'abattage des animaux ? On ne sait pas trop. S'il faut adapter le rituel et des conditions d'abattage, c'est au Parlement d'en décider. Certes, l'Europe permet l'abattage rituel, la France l'a accepté, mais c'est un verrou qui peut sauter. La décision vous appartient.

Plus de 50 % de notre tonnage, et donc une proportion importante, sont en halal. Si on ne peut pas continuer à abattre dans le respect des règles religieuses, on n'arrivera pas à faire tourner l'abattoir. Nous avons joint au dossier les courriers de la mosquée : si certaines autorités musulmanes acceptent l'étourdissement des animaux, les nôtres n'en veulent pas, même sous une forme légère.

La proposition que je ferai aujourd'hui, si j'en avais une à faire, c'est d'organiser une concertation avec le ministère de l'agriculture et de l'intérieur afin de réformer cette réglementation, avec vous, les autorités religieuses et les vétérinaires,

L'enquête vous le dira certainement, je pense que c'est uniquement à ce niveau-là que nous avons des problèmes. Nous avions également rencontré des problèmes particuliers, notamment techniques, avec l'abattage des chevaux. C'est la raison pour laquelle j'ai définitivement abandonné l'abattage des chevaux à Alès.

J'en viens à la formation de notre personnel.

Sur le plan sanitaire, il n'y a jamais eu de souci particulier. Je regrette que sur cinquante heures d'images, on n'ait montré que quatre photos. Mais l'homme est un homme, et celui qui abat des bêtes quotidiennement finit par agir de manière mécanique. Et malgré les formations que l'on peut leur dispenser, il arrive, comme on l'a vu hier dans le film, que pour voir si la bête est vivante, on ne la caresse pas, mais on lui donne un petit coup de pied. L'image peut paraître terrible, mais c'est malheureusement ainsi. Je crois que nous allons continuer à former notre personnel avec ce cabinet spécialisé.

Ce qui est choquant, monsieur le président, monsieur le rapporteur, ce sont les circonstances. Jusqu'à cette vidéo, nous n'avions eu que des rapports favorables de la DDPP et de l'organisation qui est venue voir l'abattoir fonctionner. Et subitement, on nous a avertis qu'une vidéo a été tournée dans l'abattoir – vous avez la chronologie dans le dossier. Bizarrement, deux jours après, l'abattoir a été inspecté de fond en comble. Certaines bêtes n'étaient pas abattues. Le rapport fut défavorable sur quelques points. La coïncidence entre l'action de la DDPP et celle de l'association nous a paru un peu particulière. Quelle relation pourrait-il y avoir ?

Le rapport d'inspection du 18 décembre nous a autorisés à rouvrir l'abattoir, à la suite des nouveaux travaux que nous avons effectués en partenariat avec le Conseil général et la région, qui nous ont aidés financièrement. On ne peut que se féliciter de cette solidarité. L'avis favorable vaut pour l'abattage des bovins camarguais et des bovins de race espagnole, et pour l'abattage rituel des bovins de plus de 350 kg. Nous sommes donc repartis sur un rythme normal.

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