Intervention de Gérard Clemente

Réunion du 28 avril 2016 à 11h00
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Gérard Clemente, directeur de l'abattoir du Pays de Soule :

Qu'il y ait un ou dix bovins « bio », tous passent en premier. S'il y en a beaucoup, il faut arrêter la chaîne cinq minutes, désinfecter tout ce qui entre en contact avec les carcasses, puis continuer. Un animal bio peut cependant passer en fin de chaîne si son état de propreté ante mortem n'est pas satisfaisant. C'est un élément déterminant sur le plan sanitaire. Les animaux sont classés en quatre catégories, de A à D, de propre à très sale. Un animal classé B, C ou D passera systématiquement en fin de chaîne pour éviter toute contamination. Autrement dit, un animal bio classé en C passe en dernier.

Le box d'immobilisation est agréé par les instances européennes. Nous avons un box mixte bovinveau, avec un anti-recul, une des deux parois contenant l'animal – cet appareil n'est pas dernier cri, car il existe des boxes en théorie plus perfectionnés, dont les deux parties latérales peuvent être rapprochées pour contenir l'animal. Mais ça, c'est de la théorie, faite par des gens certainement plus compétents que moi, mais qui ne sont pas des gens de terrain. Nous tuons beaucoup d'animaux de la campagne, très dynamiques, contrairement aux animaux des élevages intensifs. Or je vous prie de croire qu'un veau de six mois de 350 kg, au mieux de sa forme, qui entre dans un piège de contention, il faut pouvoir le contenir ! Un profane qui n'a jamais vu un animal affolé dans un piège ne restera pas longtemps à côté… Comme nous avons remarqué que les choses se passaient beaucoup mieux lorsque deux animaux étaient côte à côte, nous avions pris la décision pour des considérations de bien-être animal, et en accord avec la vétérinaire, de ne plus passer un par un les animaux de plus en plus vifs – du fait des conditions actuelles d'élevage, des boxes de contention, des couloirs, etc. –, mais par deux. Mais si l'on en met trois animaux, c'est un non-respect de la procédure.

En pratique, le système comporte un couloir d'amenée avec des portillons de séparation et la porte du piège. Les veaux s'engouffrent dans le couloir, mais si jamais la porte du piège n'est pas fermée, ils vont entrer à trois. L'action corrective consiste alors à anesthésier immédiatement les animaux, certainement pas de les faire reculer. Mais ce sont des cas de force majeure – ils ne se produisent pas régulièrement. En fait, nous sommes tombés dans le panneau : nous n'aurions jamais dû décider de passer les veaux deux par deux. Mais nous l'avons fait dans un souci de bien-être animal, et la vétérinaire l'a bien compris. Je précise que c'est elle qui nous tire vers le haut et que c'est grâce à elle que nous sommes performants.

En fait, les contrôles d'un abattoir ne portent même pas sur l'établissement lui-même ni sur les personnes, ils portent sur les documents. Malheur à celui qui n'a pas de documents – si vous en avez une pile d'un mètre de haut, vous arrivez à passer entre les gouttes ! Je ne dis pas que les documents sont inutiles, mais ils ne font pas tout.

Dans le cadre de la procédure d'embauche pour l'abattage, je cherche un autochtone ou, du moins, une personne désireuse d'en faire sa profession. On discute, je tente de comprendre son approche du métier – car il m'arrive de tomber sur des gens qui voudraient entrer chez nous, mais sans occuper ces postes-là. Je leur explique que s'ils ne veulent pas être polyvalents, ils ne pourront pas entrer chez nous. On parle aussi des questions de sécurité, des conditions sanitaires et de bien-être animal Cela étant dit, entre le discours de l'intéressé et la réalité de son fonctionnement ensuite sur le terrain, il y a souvent un écart – mais cela n'est pas propre à notre métier. Certes, quarante-huit heures de formation, c'est un peu léger. Mais un nouvel embauché n'est jamais mis en situation : pendant deux à quatre mois, il ne fait pratiquement rien. Pour former un abatteur, il faut donc au minimum trois ans. Si on abat vingt vaches, par exemple, on va le mettre sur la dernière ; il va peler un peu, faire deux ou trois gestes – pas quatre, parce qu'au quatrième, il va trouer le cuir, ou faire un trou dans la cuisse de l'animal, le client vous rectifiera le prix de la prestation et le marchand de cuir refusera la peau ! Tout cela se fait petit à petit, en voyant faire et en écoutant les collègues.

Nous sommes allés voir nos confrères d'Alès, où nous avons rencontré le responsable qualité, et nous avons décrypté la vidéo comme des gens de terrain : il y a des choses impardonnables et d'autres explicables ; nous en avons discuté. Ma démarche n'a pas visé à dire à mes collègues : « Attention, j'espère que vous ne faites pas ça » ; elle a été d'indiquer ce qui n'est pas normal, ce que nous ne devons pas faire. Ce métier ne nous exonère pas d'une approche éthique.

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