Intervention de Emmanuel Hoog

Réunion du 11 mai 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Emmanuel Hoog, président de l'Agence France-Presse :

Je vous remercie de m'avoir invité à faire le point sur la situation de l'AFP. L'année 2015 a été riche d'une actualité, souvent tragique, exceptionnelle : outre les attentats de janvier puis de novembre en France, qui ont beaucoup mobilisé nos équipes, les conflits et les catastrophes naturelles dans le monde ont placé l'AFP et les autres agences de presse au coeur d'une information qui circule plus vite que jamais précédemment.

L'année 2015 a été une année importante pour l'Agence elle-même, pour la raison que vous avez dite : l'adoption de la loi portant modernisation du secteur de la presse. Ce texte vous a tous mobilisés et vos travaux ont fait évoluer le statut de l'Agence, qui était demeuré inchangé depuis 1957. Je vous en remercie. La modernisation était nécessaire : le conseil d'administration ne pouvait plus rester placé exclusivement dans les mains des clients de l'Agence, et il fallait en finir avec des dispositions statutaires devenues incompatibles avec le droit européen de la concurrence. La qualité de l'élaboration du texte a permis que la réforme se fasse de manière apaisée. La composition du conseil d'administration a été modifiée, un conseil supérieur a été créé et les compétences de la commission financière ont été renouvelées.

L'arrivée de personnalités qualifiées au sein du conseil d'administration entraîne l'approfondissement des débats au sein d'une instance redevenue un lieu d'échanges, une fonction qui s'était quelque peu perdue. Personne n'étant le dépositaire d'une vérité révélée et les agences de presse, fragiles, étant dans une situation compliquée, plus le conseil d'administration est un lieu de débats riches de la diversité de ses membres et mieux l'AFP s'en trouve, je puis déjà en témoigner. Cette évolution est à porter au crédit de la réforme.

L'année 2015 a aussi été celle de la création d'AFP Blue. Cette filiale en mesure de lever des fonds porte la politique d'investissement de l'Agence. Vous le savez, l'AFP a été créée sous la forme d'une société au statut particulier sans capital. Ce statut a pour avantage de préserver l'indépendance de l'Agence mais il n'est pas sans inconvénients pour son développement économique. Il fallait trouver un véhicule apte à mobiliser des financements permettant les investissements nécessaires, dans le respect de la législation européenne. Le temps n'est plus où les journalistes n'avaient besoin que d'un stylo et de papier. À l'heure du numérique, une information de qualité demande d'autres outils : des caméras, des capacités satellitaires, informatiques et de calcul... Le monde de l'information a besoin de capitaux pour investir et sans ce dispositif, l'AFP aurait été très fragilisée. La structure répond à la réglementation européenne, et les prêts déjà consentis par la Caisse des dépôts, Bpifrance et une banque privée nous ont permis de mobiliser quelque 30 millions d'euros pour financer un programme d'investissement principalement tourné vers les équipements vidéo, la sécurisation de nos outils et le développement de notre relation client.

L'année 2015 a encore été celle de la signature du contrat d'objectifs et de moyens (COM) qui tend à sécuriser et à chiffrer la mission d'intérêt général de l'Agence. Jusque-là, environ un tiers des ressources de l'AFP provenait d'un financement public, sous forme d'abonnements. Mais après qu'un concurrent allemand a déposé une plainte pour concurrence déloyale auprès de la Commission européenne, celle-ci a considéré que ces abonnements ne traduisaient pas seulement une transaction commerciale et qu'ils relevaient probablement pour partie d'une aide d'État. Nous avons donc paramétré, avec la Commission européenne, ce qui était d'ordre commercial et ce qui relevait de la mission d'intérêt général ; le COM fixe cette répartition nouvelle. Nous disposons désormais d'une méthode de calcul du paramétrage, et la commission financière veille à la juste ventilation de la ressource publique entre ces deux postes. C'est un tournant dans l'histoire de l'Agence.

L'année 2015 a également marqué l'accélération de la négociation relative à l'accord unique d'entreprise que je souhaite voir instaurer pour l'ensemble des salariés de droit français de l'AFP. Jusqu'à juillet dernier, les collaborateurs de l'Agence étaient régis par 117 accords, pour certains contradictoires, ce qui était source de contentieux. Il en résultait une fragilité juridique certaine. Aussi ai-je souhaité une renégociation générale permettant une cohérence d'ensemble. C'est ce vers quoi nous nous acheminons. La fin de la négociation est attendue pour la fin de l'année 2016 ou le début de 2017. Les choses sont désormais encadrées dans un dispositif clair et partagé par tous.

Pour ce qui est de la performance économique, nous maîtrisons fermement la croissance des charges, qui est très contenue. Lorsque j'ai pris mes fonctions, en 2010, les COM successifs tablaient sur une croissance moyenne de nos charges de 3 % ; elle est maintenant inférieure à 1 %. Cela a été rendu possible par la complète réorganisation des forces journalistiques de l'Agence, qui compte maintenant 300 collaborateurs vidéo alors qu'ils étaient une cinquantaine il y a six ans.

Cet exceptionnel redéploiement tend à faire de l'AFP une agence de référence dans des domaines qu'elle connaissait à peine il y a quelques années : la vidéo d'information et le direct. Cette activité nouvelle a donc été créée en stabilisant les charges et à effectif constant, non par l'allocation de dotations supplémentaires de l'État. Cette très grande performance nous a permis de proposer une offre « photo et texte » qui a suscité du chiffre d'affaires nouveau. Associated Presse et Reuters se sont lancés dans la vidéo il y a vingt ans. L'absence de l'AFP sur ce marché représentait un risque menaçant gravement son avenir puisqu'il est devenu impossible de survivre sur ce marché avec le texte pour seule offre. Un client qui s'adresse à l'AFP ne le fait pas pour avoir des informations sur la France mais sur le monde, et il cherche ces informations en texte, en photos et en vidéo. Si nous sommes incapables de répondre à la demande sous la totalité de ces formes, l'ensemble des contrats, y compris le texte, en pâtit. D'ailleurs, c'est grâce à la vidéo, qui nous permet d'avoir de nouveaux clients pour le texte, que nous parvenons à stabiliser le chiffre d'affaires de notre offre « texte ».

En 2015, notre chiffre d'affaires « vidéo » a progressé de 16 %. Dans un marché particulièrement déprimé, il est essentiel de pouvoir proposer un produit permettant un tel taux de croissance. Notre marge de progression est grande, puisque nos deux grands concurrents réalisent de 30 à 40 % de leur chiffre d'affaires total dans ce segment, et que nous sommes à 10 %.

Nos recettes commerciales ne croissent pas assez vite mais, je le redis, le marché est déprimé. Notre chiffre d'affaires commercial progresse de 0,5 à 1 % par an ; considérant que la plupart de nos clients voient leur propre chiffre d'affaires diminuer, la performance est plutôt bonne, même si nous souhaiterions pouvoir faire état d'une augmentation de 2 à 3 %. Ces résultats s'expliquent par la photo, la vidéo, et l'étranger. Nous réalisons 45 % de notre chiffre d'affaires en France, mais le marché des médias y est en dépression. Nos parts de marché ont tendance à croître et la qualité de notre offre n'est pas contestée mais si le nombre de nos contrats augmente, leur valeur baisse.

Tout cela conduit à un équilibre très fragile, avec un excédent brut d'exploitation positif – et même en croissance de 20 % par rapport à 2013 – mais à un résultat net négatif en raison des provisions passées pour risques juridiques et fiscaux. Nous avons en effet engagé avec l'État un débat sur la structuration de notre réseau. Constitué de 200 bureaux répartis dans 150 pays – le 201e va s'ouvrir à Pyongyang –, il a été construit comme une sorte de millefeuille de formes juridiques, commerciales, fiscales et sociales disparates. Nous devons impérativement le remettre à niveau et le consolider. L'importance de cette question ne saurait être mésestimée car notre réseau, notre actif le plus précieux, est au coeur de la mission d'intérêt général de l'Agence : sans lui, l'AFP ne serait pas une agence mondiale mais une agence nationale comme il en existe beaucoup.

Telle fut 2015 pour l'AFP : une année très riche sur les plans de la gouvernance et de l'organisation, dans le contexte commercial et économique que je vous ai décrit.

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