Intervention de Emmanuel Hoog

Réunion du 11 mai 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Emmanuel Hoog, président de l'Agence France-Presse :

De même que l'AFP travaille en équipe – c'est, du reste, un des éléments de sa fiabilité –, nous répondrons collectivement à certaines de vos questions. Michèle Léridon complétera ainsi mon propos sur la sécurité et la déontologie des journalistes.

En ce qui concerne la loi du 17 avril 2015, elle a modifié les choses, mais elle reste encore à mettre en oeuvre. Quoi qu'il en soit, l'entrée de personnalités extérieures au conseil d'administration contribue à élargir les débats, apporte une expertise et des compétences dont nous ne bénéficiions pas dans certains domaines et « challenge » l'équipe de direction sur certains dossiers. Cet élargissement est donc un point positif, que je mets à l'actif de la réforme.

D'autres organes de gouvernance ont été modifiés. La commission financière sera plus qu'attentive au calcul du coût de la mission d'intérêt général et à son taux de compensation par l'État – dont je rappelle qu'il doit être, selon Bruxelles, inférieur ou égal à 100. Elle vous communiquera prochainement ces éléments qui contribuent à renforcer le contrôle public de l'AFP et à améliorer la transparence. Ils permettent également, d'une certaine manière, d'avoir avec l'État une discussion positive sur le financement public de l'Agence. Ces dernières années, en effet, cette discussion se déroulait sous l'épée de Damoclès de Bruxelles : nous agissions avec précaution mais sans un véritable paramétrage, clair et précis. Ainsi, j'ai constaté en prenant mes fonctions qu'une promesse de subvention de 20 millions destinée à financer le développement technologique de l'Agence et le projet de réforme de son outil de production, d'édition et de diffusion (IRIS) s'était transformée en prêt bancaire… Au moins le nouveau dispositif nous permet-il d'avoir avec l'État un dialogue clair, précis et paramétré.

Par ailleurs, le Conseil supérieur de l'AFP, dont fait d'ailleurs partie M. Françaix, rendra désormais au Parlement un rapport annuel comportant des informations sur les dimensions économique et financière de l'Agence. Là encore, en matière de transparence et de qualité de la gouvernance, les choses vont dans le bon sens. Le dialogue public n'en sera que plus riche et plus intéressant dans les années à venir.

François de Mazières m'a interrogé sur l'équilibre économique de l'Agence. Je tiens à rappeler à ce propos un élément important. Tout d'abord, jamais les recettes commerciales de l'AFP n'ont été aussi importantes : elles représentent près de 70 % de l'ensemble de ses recettes, contre 15 % à 20 % en 1957. Ensuite, le chiffre d'affaires réalisé à l'étranger, qui était inexistant en 1957, représente aujourd'hui 55 % du chiffre d'affaires de l'Agence. L'entreprise s'est donc mondialisée et développée sur les marchés de façon absolument exceptionnelle, si bien que la part relative du financement public n'a jamais été aussi faible. Il en est de même pour la part de la presse française quotidienne nationale et régionale, qui représente moins de 10 % du chiffre d'affaires de l'Agence.

J'ajoute que, si le modèle économique de l'AFP est un peu particulier, ceux des deux autres grandes agences de presse mondiales le sont également. AP est une coopérative de presse et son niveau de pertes est celui qu'acceptent les journaux américains. Quant à Reuters, elle représente 2,5 % du chiffre d'affaires du groupe Thomson Reuters et ses pertes sont mutualisées au sein de cet ensemble, qui est coté. L'une est rattachée à l'ensemble de la presse américaine, l'autre à un groupe beaucoup plus vaste qui réalise des profits par ailleurs. Les trois agences sont donc des objets économiques particuliers ou originaux.

Je rappelle, à ce propos, que le financement public de l'Agence, qui remonte aux années 1920, s'explique par l'existence de son réseau et sa mission d'intérêt général. De fait, ce réseau est à peu près équivalent à celui d'AP et de Reuters – 150 pays, 200 bureaux –, mais ces dernières réalisent l'essentiel de leurs chiffres d'affaires respectivement sur le marché américain et sur le marché anglo-saxon, qui sont beaucoup plus vastes que le marché francophone. Pour financer les coûts d'exploitation de l'AFP, qui étaient à peu près équivalents à ceux de ses concurrentes, l'État a donc décidé de lui verser une compensation, considérant que les charges inhérentes à une agence mondiale ne pouvaient pas être supportées par les recettes sur le seul marché domestique français. Sans cette compensation, il aurait fallu faire payer la totalité de ces coûts à la presse française, ce qui n'était pas possible. La situation de l'Agence est donc peut-être un peu particulière, mais il faut l'inscrire dans une perspective historique et internationale.

Pour conclure sur la question de la nouvelle organisation, je vous confirme que vous bénéficierez prochainement d'éléments objectifs qui préciseront et enrichiront votre information, notamment le taux de compensation de la mission d'intérêt général.

Qu'en est-il du positionnement de l'Agence vis-à-vis de l'« uberisation », du développement des réseaux sociaux, de la rumeur ? Jamais le besoin d'agence n'a été aussi fort. En effet, la rumeur médiatique augmentant, les grandes signatures, qui sont des repères et des références, sont absolument essentielles et stratégiques pour éviter que l'ensemble du système ne parte à la dérive. Bien entendu, les agences ne sont pas les seules boussoles : au niveau mondial, dix à quinze institutions sont des éléments de certification, de fiabilité et de cohérence du système. Aujourd'hui, les réseaux sociaux ne diminuent pas la demande qui nous est adressée, bien au contraire : dès qu'une rumeur surgit sur Twitter, nos clients nous demandent si elle est vraie ou fausse. La démultiplication de l'information crée ainsi de nouveaux besoins, d'autant plus importants que la taille des rédactions a par ailleurs tendance à diminuer et que celles-ci sont composées de personnes moins expérimentées. Le problème ne réside donc pas dans la diminution du besoin, qui continue à augmenter, mais plutôt dans la difficulté qu'ont nos clients à le financer.

Par ailleurs, les réseaux sociaux contribuent à multiplier les alertes, c'est-à-dire qu'ils nous informent dès qu'il arrive quelque chose – un accident, par exemple. Immédiatement, se pose la question de savoir ce qu'il se passe vraiment. Or, cela n'est pas résumable en 140 caractères. Les rédactions, ou tout autre abonné à l'AFP, se tournent donc vers l'Agence, qui déterminera s'il s'agit d'un événement qui mérite d'être traité ou non et qui contextualisera l'information, l'enrichira, etc.

Les agences de presse, qui sont toutes nées dans les années 1830, restent des éléments très stables du paysage médiatique. Elles ont connu les révolutions de la radio, de la télévision, et elles sont encore présentes, parce qu'elles se sont réformées bien entendu. L'AFP de 2016 n'a strictement rien à voir avec celle de 1835. À cet égard, le développement des réseaux sociaux est un défi supplémentaire qui suscite des demandes supplémentaires. Dès lors que l'Agence sait y répondre, ce phénomène contribue davantage à la réassurer qu'à la fragiliser. Bien sûr, cela nécessite des investissements, car cette activité suppose des équipes, le recrutement de compétences nouvelles, des formations, des outils nouveaux : « monitorer » Twitter en permanence ne se fait pas avec un simple smartphone !

J'en viens maintenant à la vidéo. Aujourd'hui, à l'AFP, 300 personnes produisent de la vidéo : 150 le font à temps plein, les 150 autres le font en plus d'autres activités, comme le texte ou la photo. Nous produisons ainsi environ 200 vidéos par jour dans le monde entier, soit un nombre à peu près équivalent à celui de nos concurrents. Par ailleurs, nous avons lancé, en 2015 une offre de télévision en direct qui comprend une trentaine de directs par semaine. Ce dispositif implique des investissements importants : régie finale, équipements, réseaux... Je citerai un seul chiffre : le week-end du 13 novembre 2015, nous avons fait 69 directs ! Aujourd'hui, 600 clients dans le monde recourent à l'AFP vidéo, parmi lesquels 220 chaînes, dont l'ensemble des chaînes d'information, sont abonnées à notre fil vidéo.

Aussi, je ne doute pas que la chaîne d'information publique, qui n'est pas une concurrente, s'abonnera à ce fil. Aujourd'hui, France Télévisions se nourrit du fil d'AP et de celui de Reuters et elle est abonnée, comme Radio France, aux fils texte et photo de l'AFP. On peut imaginer qu'en 2016, cette chaîne publique s'abonnera à notre fil vidéo, à l'instar de CBS, CNN, BFM, Al Jazzera, la BBC ou la NHK. Elle sera donc, je l'espère, un client supplémentaire. Du reste, on peut imaginer que, cette année, d'autres grandes télévisions françaises s'abonneront également à l'Agence. Tous les médias auxquels l'AFP s'adresse sont généralement abonnés à AP et à Reuters. Pour eux, la question est d'ordre économique : sont-ils prêts à s'abonner à une troisième source ou envisagent-ils de substituer la nôtre à l'une des deux autres ? Nous représentons en effet désormais – et tel était notre objectif – une offre de substitution, et non plus une offre de complément, comme c'était le cas jusqu'à une date récente.

J'ajoute que l'une de nos originalités est qu'à l'AFP, à la différence de ce qu'il se passe chez nos concurrents, la vidéo est très intégrée à la rédaction elle-même. Il s'agit évidemment d'équipes dédiées, mais elles ne dépendent pas d'une filiale et ne sont pas séparées de la rédaction.

Un mot sur le sport. Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, la croissance de notre chiffre d'affaires provient essentiellement de l'international car, en France – hormis quelques grands acteurs qui finiront par nous rejoindre –, nous sommes déjà très présents sur le marché, où nous sommes pourtant en concurrence frontale avec AP et Reuters sur les segments de la photo et de la vidéo. Or, il est essentiel pour l'AFP de se présenter sur le marché international à la fois comme une agence généraliste – couvrant l'ensemble de l'actualité du monde 24 heures sur 24, sept jours sur sept – et comme une agence spécialisée dans un domaine. En effet, AP et Reuters sont également des agences généralistes, mais la première a pour spécialité naturelle une couverture plus profonde et plus fine de l'actualité des États-Unis et la seconde s'est spécialisée, depuis une trentaine d'années, dans l'économie et la finance. L'AFP n'avait pas un tel « plus » ; il lui manquait une spécialité.

Nous avons donc déterminé quelles étaient les grandes dominantes mondiales, et le sport s'est imposé naturellement, qu'il soit traité bien entendu sous l'angle de la performance, ou sous celui de la santé, de l'économie et du social. En effet, l'actualité sportive, nous avons pu le constater ces dernières semaines, ne concerne pas uniquement les compétitions. Outre le texte et la photo, nous avons décidé de présenter, dans le cadre de cette spécialisation, une offre vidéo comprenant une quinzaine de sujets sur le sport, contre cinq à six sur le fil généraliste. Nous proposerons ainsi une quinzaine de sujets pendant l'Euro, puis durant les Jeux olympiques et, à partir de la rentrée, cette offre sera maintenue pour l'actualité sportive en général.

Ne pouvant pas nourrir cette offre en rachetant des droits, nous nous intéresserons à ce qu'il se passe avant, à côté et après la performance : conférences de presse, entraînements, interviews des joueurs... Ainsi nous présentons une offre complémentaire aux médias qui détiennent les droits des compétitions et nous permettons aux autres de relater l'environnement de la performance. Pour vous donner un ordre de grandeur, l'AFP enverra, à Rio, pour couvrir les Jeux olympiques, 180 personnes qui produiront 5 000 photos et 15 à 20 vidéos par jour. En outre, nous proposons à ceux de nos clients qui le souhaitent de suivre plus particulièrement un joueur ou une performance, par exemple.

J'en viens maintenant aux négociations en cours à l'AFP. Nous avons évoqué un délai d'un an, car la loi prévoit que la dénonciation des accords ouvre une période de trois mois de préavis puis de douze mois de négociations. Leur terme légal sera donc échu en début d'année prochaine. Ces négociations portent, non pas sur une remise en cause des conventions collectives nationales, qui s'appliquent à l'AFP comme ailleurs, mais sur un certain nombre d'avantages complémentaires qui ont pu être accordés par le passé, sur le temps de travail, les rémunérations, les parcours professionnels, et sur une harmonisation des règles, les différents accords pouvant présenter des contradictions entre eux. Une dizaine de sujets sont inscrits à l'ordre du jour. Compte tenu de l'ampleur du chantier, qui est inédit à l'agence, il mérite que l'on y consacre du temps. L'ensemble des partenaires sont autour de la table et les propositions que nous faisons correspondent à des références métiers existant déjà dans un certain nombre de groupes.

En ce qui concerne la sécurisation de nos équipements technologiques, ils bénéficient de dispositifs adaptés. C'est un souci permanent car nous faisons partie, physiquement et techniquement, des entreprises attaquées.

Un mot sur Marseille. Les effectifs de ce bureau n'ont pas baissé – ils comprennent douze personnes – et il s'agit sans doute du bureau régional qui produit le plus.

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