Intervention de Michèle Léridon

Réunion du 11 mai 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Michèle Léridon, directrice de l'information de l'AFP :

Les mutations du métier, le bouleversement du marché et la révolution qui est intervenue à la fois dans la consommation et dans la production de l'information ont été amplement soulignés. Nous nous adaptons au quotidien à ces évolutions : la rédaction est en mouvement, et cela se traduit par de nombreux redéploiements et des changements dans les pratiques. L'entrée par l'image, par exemple, est prise en compte dans nos conférences de rédaction et nous développons beaucoup de produits et de formats différents : outre la vidéo, l'infographie, la vidéographie, les réseaux sociaux, la couverture en live pour le Web, qui inclut texte, photo et vidéo.

Si nous nous adaptons à ces évolutions, j'ai néanmoins ressenti le besoin de rappeler ce qui ne change pas. Le « bug » que nous avons connu en février de l'année dernière et que vous avez eu la cruauté de rappeler – mais vous avez eu raison de le faire – a été un élément déclencheur à cet égard. Nous avons pris certaines mesures le jour même. J'ai notamment rappelé que la fiabilité devait primer sur la rapidité et qu'il fallait porter une attention particulière aux informations concernant les décès – dans ce domaine, qui a des implications humaines évidentes, il ne faut pas chercher forcément à faire un scoop. J'ai également rappelé le caractère collectif du travail de l'Agence, qui est un des éléments qui garantit la fiabilité de nos informations. À la différence de ce qui se passe sur les réseaux sociaux, à l'AFP une information est toujours relue au moins deux fois : par la personne responsable de son bureau puis par ce que l'on appelle le « desk », à Paris ou ailleurs.

Le grave dysfonctionnement qui est intervenu ne nous a pas conduits à remettre en cause nos procédures car, si elles avaient été bien appliquées, elles auraient empêché une telle erreur. Mais nous les avons rappelées, nous avons resserré quelques boulons et pris certaines mesures individuelles. Par ailleurs, j'ai souhaité que le sujet fasse l'objet d'un travail de fond. J'ai donc demandé à un ex-rédacteur en chef central, Éric Wishart, qui connaît bien la question, de préparer la trame de trois documents : une charte très brève qui rappelle les grands principes de l'AFP, une charte plus complète consacrée aux bonnes pratiques et à la déontologie et un troisième document – que nous ne vous avons pas transmis car il est purement éditorial – sur la question des sources qui, dans un environnement de plus en plus complexe, se pose avec davantage d'acuité qu'autrefois.

La charte a été longuement mûrie, car nous ne voulions pas qu'elle soit imposée par la direction. Éric Wishart a commencé par collecter tous les éléments qui existaient au sein de l'Agence – notamment les consignes concernant les photos, l'utilisation des réseaux sociaux, les invitations… – et qui étaient, soit disséminés, soit mentionnés dans le Manuel de l'agencier mais perdus au milieu de consignes quasiment typographiques. Il a ensuite étudié ce qui se fait à l'étranger, puisque certains grands médias se sont déjà dotés de telles chartes – c'est moins le cas en France. Puis, il a complété ce document avec la direction de l'information et les différents services concernés : économie, politique, police-justice… Nous avons enfin présenté le projet à deux reprises au comité d'entreprise, comme le prévoit la loi, ainsi qu'au Conseil supérieur de l'Agence et à la Société des journalistes. Le projet de charte a été adopté et largement diffusé au sein de l'Agence, et il est désormais accessible au grand public puisqu'il est disponible sur notre site internet.

La fiabilité de l'information est assurée par un travail collectif, je l'ai dit, mais aussi par la formation des jeunes journalistes, auxquels on rappelle, par exemple, la nécessité de recouper les sources. S'agissant des réseaux sociaux, nous avons créé une cellule spécifique car, outre des rumeurs et de fausses informations, on peut y trouver des informations exactes, notamment des images. Cette équipe, que nous allons renforcer et qui sera dotée des outils adaptés, vérifie et certifie les contenus. Par exemple, notre équipe basée à Nicosie, qui s'occupe du Moyen-Orient, passe beaucoup de temps à examiner ce qui est diffusé sur les réseaux sociaux et rejette plus de la moitié de ce qu'elle y trouve, tantôt pour de raisons éthiques, tantôt parce qu'elle est incapable de s'assurer qu'une image représente bien ce qu'elle est censée représenter. Nous sommes ainsi très fiers de notre couverture des attentats commis en France car, en dépit de la masse de rumeurs et d'informations qui circulaient, nous n'avons jamais été pris en défaut. Notre équipe a notamment été en mesure d'écarter une image censée représenter le métro de Bruxelles et qui, en réalité, avait été prise dans le métro de Moscou, image qui entre-temps a été diffusée par un certain nombre de médias.

Je conclurai en évoquant la sécurité, qui est un élément important de la charte ; nous sommes très vigilants sur ce point. Le Yémen est en effet l'un des endroits les plus dangereux au monde, bien que l'on en parle peu. Du reste, nous avons dû exfiltrer certains de nos correspondants, qui continuent néanmoins à travailler sur le pays à distance – d'autres correspondants sont restés sur place. Nous avons mis sur pied des formations, nous suivons le matériel – casques, gilets pare-balles, etc. – et nous avons établi des règles très strictes, notamment celle de ne pas utiliser les contenus fournis par des journalistes free-lance travaillant dans des zones où nous ne voulons pas aller. Nous avons ainsi refusé la proposition que nous avaient faite des journalistes qui ont été récemment libérés de travailler pour nous en Syrie. De manière générale, la sécurité revêt une importance de plus en plus grande puisque la carte de presse qui, autrefois, protégeait désigne désormais une cible.

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