Intervention de Bernard Deflesselles

Séance en hémicycle du 17 mai 2016 à 15h00
Ratification de l'accord de paris — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Deflesselles :

En effet, les rapports du GIEC ont éclairé la communauté mondiale sur la problématique du réchauffement climatique. Le dernier, paru il y a 18 mois, rappelle des choses simples : si nous ne faisons rien, la température moyenne pourrait augmenter de 4,5 degrés voire 4,8 degrés d’ici à la fin du siècle et le niveau des mers d’un mètre, ce qui affecterait 95 % de l’activité humaine. Ces données devraient emporter la conviction des climato-sceptiques – tout au moins nous l’espérons tous.

L’accord de Paris devait atteindre des objectifs forts. D’abord, il fallait parvenir, autant que faire se peut, à un accord juridiquement contraignant et à une application en 2020. Il fallait ensuite maintenir, autant que faire se peut, l’élévation de la température moyenne au-dessous de 2 degrés, voire 1,5 degré.

Il fallait par ailleurs prendre le relais du protocole de Kyoto, qui date de 1997, a été appliqué en 2005 et s’est achevé en 2015. L’accord de Paris était donc absolument nécessaire. Il fallait aussi mobiliser un nombre maximum de pays dans cette aventure, les y embarquer, si je puis dire, afin que la communauté internationale soit à la hauteur des défis. Il fallait également développer et dégager enfin des moyens financiers considérables pour relever le défi du dérèglement climatique et assurer les transferts de technologie.

L’accord comporte des points positifs – et même très positifs – et d’autres qui le sont un peu moins. Mettons-les en balance. Premier point positif : cet accord met fin à presque quinze ans d’immobilisme de la communauté internationale. Tout a commencé à Rio en 1992. Après Kyoto, en 1997, nous avons connu une période pleine d’allant au cours de laquelle la communauté internationale était assez mobilisée. Mais de février 2001 à 2015, nous avons eu affaire, pendant pratiquement quinze ans, à un faux plat à la suite du refus des États-Unis de ratifier le protocole de Kyoto, qui a jeté un froid sur nos relations et sur les espoirs de la communauté internationale. Peu après, comme un château de cartes qui s’écroule, le Japon, la Nouvelle-Zélande, l’Australie et la Russie se sont fait tirer les oreilles, et même le Canada, sorti du protocole juste avant sa ratification.

L’Union européenne s’en est trouvée un peu isolée alors que nous étions en pointe sur ce sujet après l’adoption de la fameuse règle des « trois fois vingt », que chacun ici connaît. Enfin, nous avons vécu l’échec de Copenhague en 2009 : le désappointement a été à la hauteur des espérances suscitées.

Mais les points positifs sont bien là. D’abord, il fallait emporter l’adhésion de la quasi-totalité des États de la planète, ce qui fut le cas. Ensuite, la signature de l’accord à New York le 22 avril dernier a rassemblé 175 pays sur les 195 que compte la communauté internationale, ce qui n’est pas rien.

Signalons aussi un important changement de méthode consistant à passer, selon les termes anglais, du top down au bottom up. Auparavant, on demandait aux pays de se conformer à des desiderata déjà formulés. Dorénavant, au contraire, on part de la base et les pays font remonter leurs desiderata sous la forme des fameuses INDC – Intended Nationally Determined Contributions –, selon le jargon onusien, les feuilles de route remplies par 187 pays, ce qui constitue une avancée majeure.

Enfin, l’accord comporte une clause de revoyure tous les cinq ans dans le cadre de la procédure dite de l’escalier : tous les cinq ans, les pays signataires devront non seulement ne pas redescendre une marche, mais au contraire consentir un effort supplémentaire.

Signalons aussi, au titre des points positifs, le crédit de l’ONU, souvent qualifié de « machin » et vu comme une organisation ayant fait son temps, incapable de mobiliser. Pour ma part, je ne serai pas aussi sévère. Le secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-moon, a consenti des efforts considérables pour emporter l’adhésion de la communauté internationale.

Par ailleurs, je reconnais très librement l’effort de la France, notamment en matière de pilotage de la COP21, grâce à un important travail des ministères des affaires étrangères et de l’environnement, caractérisé par un professionnalisme, une écoute et une humilité qui étaient impératives pour emporter l’adhésion des pays ne croyant plus en la parole des pays développés. Il en est résulté une prise de conscience planétaire grâce à la mobilisation de la quasi-totalité des États.

D’autres points sont moins positifs ou non résolus, et il faut aussi les mentionner.

Premièrement, l’accord n’est pas juridiquement contraignant et le prétendre est un abus de langage. Il est tout au plus politiquement contraignant, ce qui n’est déjà pas si mal, mais il n’existe aucun dispositif de contrôle ni de sanction en cas de non-respect des engagements pris, ce qui constitue à nos yeux un vrai problème. Prenons l’exemple du protocole de Kyoto, signé en 1997, mis en oeuvre à partir de 2005 et achevé en 2015. L’objectif était modeste : il s’agissait de réduire les émissions de gaz à effet de serre de tous les pays signataires de 5 % de 2008 à 2012. Résultat : elles ont augmenté de 34 %, en dépit de l’existence d’un traité international, faute de possibilité de contrôle et de sanction. Il y a là une faiblesse de l’accord, qui tient à sa nature.

Deuxièmement, l’objectif d’une réduction de 2 degrés ou de 1,5 degré de la température peut-il être atteint ? Les engagements pris dans les différentes feuilles de route et collationnés par les Nations unies aboutissent selon les scientifiques non à 2 degrés ou 1,5 degré mais plutôt à 3 voire 3,5 degrés. Il s’agit en effet d’engagements volontaires, comme chaque pays le souhaitait. Les pays ne sont donc pas contraints de respecter leur feuille de route à la virgule près. Cela pose à nos yeux un problème clair : en cas de réchauffement climatique de 3,5 degrés et en l’absence de nouvelles dispositions au mitan du siècle, nous connaîtrons de graves désagréments à la fin du siècle.

Troisièmement, un accord me reste en travers de la gorge – passez-moi l’expression –, celui qu’ont signé les États-Unis et la Chine, qualifié d’« historique » par un grand journal du soir. Je l’ai étudié de près : les États-Unis s’y engagent à réduire leurs émissions de CO2 de 26 % à 28 % d’ici à 2025. Je rappelle que l’Union européenne a retenu une baisse de 40 % par rapport aux chiffres de 1990, tandis que les États-Unis se fondent sur ceux de 2005, ce qui n’est pas tout à fait pareil. Traduit en langage européen, on obtient une baisse d’environ 10 % contre 40 % pour l’Union européenne. L’engagement des États-Unis est donc un peu faiblard, si je puis me permettre. Quant à la Chine, elle promet de stabiliser ses émissions de CO2 en 2030 et s’autorise donc à les augmenter de 2015 à 2030. Or l’année dernière, 21 millions de véhicules ont été vendus en Chine, contre 14 millions dans l’Union européenne ou aux États-Unis. Qui plus est, la Chine ouvre une centrale à charbon chaque semaine ou presque.

Cet accord est donc un premier pas, une main tendue permettant d’emporter l’adhésion de la Chine et des États-Unis qui représentent plus de 40 % des émissions de CO2 mondiales – contre environ 11 % pour l’Europe, ce qui veut dire que, seuls, nous n’y arriverons pas. Mais cet accord demeure modeste par rapport à l’engagement européen.

En matière de transfert de technologies, nous n’avançons guère. Les Nations unies ont mis en place un groupe de haut niveau il y a quelques années, mais nous sommes en butte à des difficultés en matière de brevets et de transfert de technologies qui privent de succès les pays qui en ont besoin.

S’agissant du financement, on a beaucoup évoqué le Fonds vert, doté de 100 milliards de dollars, mais les engagements fermes ne s’élèvent qu’à environ 10 milliards de dollars. Il y a bien eu un rapport de l’OCDE évoquant une somme totale de 62 milliards de dollars, mais il est très contesté car il recycle beaucoup de crédits qui ne sont pas destinés à l’environnement.

Quant aux huit projets retenus en décembre 2015 – au bénéfice des zones humides au Pérou, de l’utilisation des informations climatiques au Malawi ou encore des infrastructures résilientes au Bangladesh, vous les connaissez –, seul celui concernant la restauration des bases productives des terres salinisées, au Sénégal, est mis en oeuvre de façon concrète. Là aussi, nous avons besoin de renforcer notre crédibilité vis-à-vis des pays en voie de développement.

Après quinze ans d’atermoiements, parfois de quasi-immobilisme, la communauté internationale semble avoir pris la mesure du défi planétaire du XXIe siècle. La France n’y est pas pour rien, nous pouvons nous en féliciter ; notre pays est en mouvement, c’est très positif.

Nous devons être attentifs à la période de ratification. La France montre l’exemple, c’est très bien. Quand à l’Union européenne, elle doit accélérer le pas. Pour certains pays, c’est un peu plus compliqué. L’accord n’entrera en vigueur que lorsque cinquante-cinq pays responsables d’au moins 55 % des émissions de gaz à effet de serre l’auront ratifié, ce qui pourrait être fait fin 2017 ou début 2018.

Il ne nous reste donc qu’à faire, ce qui n’est pas le moins exaltant, vous en conviendrez. Le rapporteur a cité J. F. K. Chacun a ses sources – qui ne sont d’ailleurs pas exhaustives – et, pour ma part, je citerai André Malraux : « Dans un univers passablement absurde, il y a quelque chose qui n’est pas absurde, c’est ce que l’on peut faire pour les autres ». Dont acte.

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