Intervention de Patrick Calvar

Réunion du 10 mai 2016 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Patrick Calvar, directeur général de la sécurité intérieure :

Il faudrait poser la question à Bernard Bajolet ; reste que, globalement, oui, car les frappes ont un fort impact. Mais il s'agit ici de macro-financement, de financement de guerre. Or une opération terroriste ne coûte quasiment rien : louer une voiture, un appartement, acheter des armes, vivre au quotidien… Nous avions saisi la comptabilité de la campagne terroriste de 1995 : elle a coûté au total 150 000 francs – depuis l'assassinat de l'imam Sahraoui jusqu'au démantèlement du réseau. Beaucoup sont issus du milieu de la délinquance donc ils ont les contacts nécessaires et savent commettre des vols, au besoin, pour se financer.

Vous avez également évoqué les casseurs. Je précise que la DGSI est un service antiterroriste. Aussi relèvent-ils du renseignement territorial et pas de nos services. Nous suivons pour notre part le haut du spectre, c'est-à-dire des individus susceptibles de basculer dans des actions terroristes qui visent à porter atteinte aux institutions de la République.

Tous les extrémismes ont intérêt à se manifester. La capacité de résilience de la société est faible et, dès lors, il faut la provoquer, provoquer le maximum de désordre pour aboutir, suivant son bord, à la grande révolution ou bien à un ordre mieux établi. Reste que l'on sent bien qu'une certaine violence s'installe dans la société, qu'il y a un vide idéologique.

Il y a trente ans ou plus, on a fermé les yeux sur les premiers incidents survenus dans les banlieues. Cela a abouti à ce que les zones concernées soient dirigées par de petits caïds – il s'agissait de délinquance et elle n'affectait pas le consensus social. Aujourd'hui nous nous trouvons dans une situation de « conscientisation » d'une partie d'entre eux. Comment expliquer qu'un voyou qui, toute sa vie, n'a eu pour idée que de voler son voisin pour pouvoir jouir de l'existence, va tout à coup basculer dans un extrémisme morbide puisqu'il va l'amener au sacrifice de sa vie. C'est pourquoi j'estime que si l'on ne raisonne qu'en termes de sécurité, on va dans le mur. La sécurité est en effet une sorte de SAMU : or un SAMU a pour mission de vous conduire vivant à l'hôpital mais pas de vous soigner.

Pour être franc avec vous : je crains cent fois plus la radicalisation que le terrorisme. Avec le terrorisme, nous prendrons des coups mais nous saurons faire face – nous avons connu des événements très graves tout au long de l'histoire – ; mais cette radicalisation rampante qui va bouleverser les équilibres profonds de la société est à mes yeux beaucoup plus grave.

Pour en revenir aux casseurs, pourquoi ne parvient-on pas à les neutraliser ? Ils sont très bien organisés et jamais ils ne se mettent en situation d'être « pris ». Et ceux qui se font interpeller sont ceux qui se sont à un moment donné agrégés et qui vont rester sur place alors que les autres auront disparu. Les casseurs sont beaucoup plus professionnels qu'on n'imagine : ils ont des relations au plan international et savent partager leurs modes opératoires ; c'est pourquoi on les retrouve systématiquement dans les grandes réunions internationales et, donc, avec les mêmes modes opératoires.

En ce qui concerne l'Europe, le problème est l'absence de consensus. Il suffit de regarder ce qui se passe avec le PNR. Nous ne parlons pas le même langage et sommes donc incapables d'harmoniser nos législations, ce qui nous place en situation de faiblesse. Il faut accepter l'idée qu'un certain nombre de pays – ceux concernés par la menace – puissent fonctionner différemment. La loi pénale, la répression ne sont pas les mêmes partout.

Les terroristes sont issus du milieu du banditisme. Cette porosité entre terrorisme et banditisme ne concerne pas la finalité, les objectifs, mais traduit le fait que des individus ont grandi ensemble dans les mêmes quartiers, ont parfois été incarcérés ensemble, et ont de ce fait développé une certaine forme de complicité.

Sans prévention nous n'y arriverons pas. Cependant, les individus en question sont largement inaccessibles au discours. Les gamins se « shootent » aux vidéos de Daech. J'aurais pu, pour cette audition, apporter et projeter une de ces vidéos, par exemple « Tends ta main pour l'allégeance ». Leur capacité d'attraction est extraordinaire. Face à cela, nous disons à ces gamins d'aller à la mosquée, alors qu'ils ne comprennent pas tout ce qu'ils y entendent, ne connaissant souvent rien à l'islam et au Coran. Le décalage est très grand. Il faut trouver des gens qui soient crédibles auprès d'eux. C'est difficile avec les repentis car, pour eux, un repenti est un traître.

Nous participons aux campagnes de déradicalisation. Dans ce cadre, nous observons ce qui a été fait dans des pays qui sont très en avance, comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas. Il faut, comme le Premier ministre l'a fait, réunir autour de la table des gens d'horizons divers, des psychologues, des sociologues, des jeunes, afin de ne pas aborder le problème sous le seul angle sécuritaire. Mais ne nous leurrons pas, la situation ne se réglera pas là-bas – si le problème ne s'appelle plus Daech, il s'appellera autrement –, et nous faisons face à deux cancers : l'un ici, l'autre là-bas.

Les militaires peuvent apporter des éléments permettant de se faire une idée plus précise d'un profil ou d'une action qui pourrait être commise. C'est du renseignement ou de l'information de proximité. Mais il est essentiel de disposer de renseignements plus larges depuis la Syrie, par interceptions. Nous nous raccrochons aussi au travail sur les trafiquants d'armes ou sur la logistique… En 1995, le chef des commandos du GIA, responsable de tous les attentats en France, habitait rue Félicien David, dans le seizième arrondissement. Il se promenait en blazer, pantalon gris, attaché-case, et n'a jamais été contrôlé par une patrouille Vigipirate. L'opération Sentinelle a une dimension psychologique importante – les terroristes ne vont pas attaquer une cible où des militaires sont présents car ils savent qu'il y aura une riposte. Mais je suis plus réservé sur le renseignement, car ce n'est pas le métier premier des militaires.

La ruralité est aussi concernée : en tout et pour tout, 91 départements français le sont. Le cas le plus célèbre est Lunel, mais, globalement, le contingent est jeune, d'origine nord-africaine, issu du milieu urbain, et c'est dans ce milieu que se trouve le plus grand danger. Cela ne signifie pas qu'il faille négliger la ruralité. Les gendarmes font à cet égard un excellent travail car ils ont une bonne connaissance des habitants des communes. Il est bien plus difficile de repérer quelqu'un dans la banlieue d'une grande ville.

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