Intervention de Agathe Gignoux

Réunion du 11 mai 2016 à 16h30
Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français

Agathe Gignoux, responsable « affaires publiques » de l'association Compassion In World Farming, CIWF France :

L'association Compassion In World Farming est une ONG internationale dédiée à la protection des animaux d'élevage, créée en 1967 par un éleveur laitier britannique en réaction à l'intensification de l'élevage. Nous sommes présents en Europe, mais aussi aux États-Unis et en Chine, et actifs en France depuis 2009, et agissons essentiellement au moyen de campagnes visant à sensibiliser les problématiques liées à l'élevage et à proposer des solutions. Nous menons également des enquêtes afin de montrer la réalité de l'élevage et de l'abattage industriels, ainsi que des actions-plaidoyers, visant à faire évoluer les politiques publiques. Enfin, une partie importante de notre travail consiste à conclure des partenariats avec les grandes entreprises, afin de placer le bien-être animal au coeur de l'industrie agroalimentaire.

Je précise que notre action se base sur le travail scientifique mené par notre équipe de recherche, qui nous fournit des conseils techniques et une expertise en matière de bien-être animal. Nous sommes régulièrement sollicités par les acteurs du monde agricole ou agroalimentaire, à qui nous donnons des conseils et des recommandations.

Nous sommes membres de groupes de travail au niveau européen, et dans les États membres où nous sommes présents. En France, nous sommes membres du CNOPSAV et participons à différents groupes de travail. Nous suivons les problématiques du bien-être animal en abattoir dans les pays où nous sommes présents. En France, nous sommes alertés depuis de nombreuses années par les enquêtes réalisées par différentes associations, ainsi que par l'Office alimentaire et vétérinaire (OAV) de l'Union européenne – deux rapports de l'OAV, publiés en 2007 et en 2015, mettent en évidence des problématiques relatives à l'abattage. Enfin, nous exploitons aussi les vidéos de L214, qui corroborent les différents manquements et montrent qu'il ne s'agit pas de cas isolés.

Les problèmes les plus importants qui ressortent de ces différentes sources d'information ont trait au contrôle de l'étourdissement et des signes de conscience – aggravés par les lacunes constatées dans les modes opératoires normalisés, non corrigées par les autorités vétérinaires de l'État ; à l'étourdissement des volailles, qui constitue un gros point noir du rapport de l'OAV de 2015, et nécessite qu'une action soit menée en France à ce sujet ; enfin, à l'étourdissement des porcs au CO2.

L'accent doit être mis sur le contrôle du poste d'abattage, le point essentiel étant la vérification de la perte de conscience. On retrouve des situations récurrentes d'absence d'étourdissement suffisant, de reprise de conscience non corrigée par un étourdissement d'urgence, de délais d'attente trop longs entre l'étourdissement et la saignée, d'absence de mesures correctives et de sanctions appropriées par les autorités. Ces graves manquements, à l'origine de souffrances pourtant évitables, sont totalement contraires au règlement (CE) n° 10992009 du Conseil du 24 septembre 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort, en vigueur en France depuis le 1er janvier 2013. L'article 3 de ce règlement précise que « toute douleur, détresse ou souffrance évitable est épargnée aux animaux lors de la mise à mort et des opérations annexes » et son article 5 que « lorsque (…) les animaux sont mis à mort sans étourdissement préalable, les personnes chargées de l'abattage procèdent à des contrôles systématiques pour s'assurer que les animaux ne présentent aucun signe de conscience ou de sensibilité avant de mettre fin à leur immobilisation et ne présentent aucun signe de vie avant l'habillage ou l'échaudage ».

Les causes des manquements constatés sont multiples, qu'il s'agisse de l'absence de contrôle au poste de mise à mort – par les abattoirs eux-mêmes, mais aussi par les inspections vétérinaires, les contrôleurs étant concentrés sur les carcasses plutôt que sur les animaux ante mortem. On relève des lacunes en matière de formation et de sensibilisation des personnels et des contrôleurs, l'utilisation de matériels défectueux, inadéquats ou mal réglés. Pour remédier aux anomalies constatées, nous prônons l'installation de caméras permettant la mise en oeuvre d'une surveillance continue par des agents de contrôle, essentiellement au poste d'abattage. La vidéosurveillance est mise en oeuvre dans plusieurs pays de l'Union européenne. Au Royaume-Uni, c'est le cas dans 53 % des abattoirs de viande rouge et dans 71 % des abattoirs de viande blanche ; ces systèmes sont également présents dans de nombreux abattoirs des Pays-Bas ; ils sont obligatoires depuis 2016 dans tous les abattoirs d'Israël et de l'État indien d'Uttar Pradesh. En France, des caméras ont été installées à titre expérimental dans un abattoir du Nord, et la généralisation du dispositif ne poserait a priori pas de problèmes particuliers. Nous souhaitons qu'il soit rendu obligatoire, tout en étant strictement encadré par un contrôle indépendant.

Les lacunes des modes opératoires normalisés ont été mises en évidence par le rapport de l'OAV de 2015. Nous y voyons un point essentiel, car la structure de la nouvelle réglementation (CE) n° 10992009 repose sur la mise en place d'autocontrôles par les modes opératoires normalisés. Elle fait reposer la responsabilité sur les opérateurs des abattoirs, et peut avoir un effet positif à condition qu'elle soit vraiment prise au sérieux par les opérateurs, et surtout par les autorités de contrôle, ce qui n'est malheureusement pas le cas en France. Nous souhaitons donc un renforcement en urgence des procédures d'inspection des modes opératoires normalisés et une meilleure application des sanctions, afin de rendre celles-ci suffisamment dissuasives.

Je voudrais insister sur une problématique peu évoquée jusqu'à présent, celle des méthodes d'étourdissement en abattage de volaille, qui constitue l'un des plus gros points noirs du rapport de l'OAV. La France fait partie des plus importants producteurs de volaille : on abat chaque année 900 millions de volailles dans notre pays, sur un peu plus d'un milliard d'animaux abattus en tout. Les problèmes constatés peuvent avoir deux origines : d'une part, certains paramètres de la réglementation ne suffisent pas à garantir un étourdissement effectif de toutes les volailles au moyen de l'électronarcose par bain d'eau, notamment par application des fréquences élevées autorisées par la réglementation ; d'autre part, les paramètres fixés par la réglementation ne sont pas toujours respectés par les abatteurs, qui réduisent les intensités afin de diminuer l'impact de l'application des courants électriques sur les carcasses – il s'agit notamment de phénomènes hémorragiques et de fractures – ou de garantir la conformité des procédés utilisés à certains rituels. Dans ce dernier cas, l'étourdissement n'est pas suffisant et les volailles sont seulement immobilisées ou paralysées : or, selon l'OAV, l'étourdissement d'une intensité insuffisante « ne fait qu'entraîner une douleur supplémentaire » et un abattage effectué en pleine conscience. Nous estimons donc essentiel de développer l'étourdissement des volailles par méthode gazeuse, comme cela se fait au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Allemagne et dans de nombreux autres pays européens.

L'une des vidéos de L214 met en évidence le fait que l'étourdissement des porcs au CO2, autorisé par le règlement (CE) n° 10992009, cause de vives souffrances aux animaux. Les autorités françaises et européennes ont connaissance de ce problème depuis de nombreuses années. La recherche scientifique a montré depuis longtemps que ce mode d'étourdissement provoque des sensations de brûlure et des douleurs aiguës durant quinze à trente secondes avant que le porc ne perde conscience. Il nous paraît donc urgent d'investir dans le développement d'alternatives non aversives.

D'une manière générale, les moyens alloués à la protection des animaux en abattoirs en France sont insuffisants, que ce soit en termes de contrôles ou de manque d'effectifs. Par ailleurs, la réglementation n'est pas toujours compatible avec les cadences appliquées aux chaînes d'abattage, notamment pour ce qui est des volailles.

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