Nous accueillons aujourd'hui M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur, pour une séance consacrée à l'état d'urgence. L'examen du projet de loi, adopté par le Sénat, prorogeant une troisième fois l'application de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence est l'occasion, pour Jean-Frédéric Poisson et moi-même, de présenter la quatrième communication d'étape relative au contrôle parlementaire de l'état d'urgence, après celles du 16 décembre 2015, du 13 janvier et du 30 mars 2016.
Sur le fondement des chiffres transmis par le Gouvernement, 3 579 perquisitions administratives ont été conduites entre le 14 novembre 2015 et le 13 mai 2016 dans le cadre de l'état d'urgence. Elles ont permis la découverte de 756 armes, la constatation de 557 infractions, la réalisation de 420 interpellations et le placement de 364 personnes en garde à vue. Seules 152 perquisitions ont été effectuées pendant la période couvrant la deuxième prorogation de l'état d'urgence. On constate donc à nouveau une baisse des perquisitions, mais nous ne disposons de données détaillées que pour 88 des 152 perquisitions annoncées.
Parmi les armes saisies, 558 sont des armes à feu, dont 75 armes de guerre, 226 armes de poing et 257 armes longues – ces dernières étant pour partie des fusils de chasse. Ces chiffres représentent environ 10 % du total des armes saisies au cours d'une année ordinaire par les services des douanes, de la police et de la gendarmerie. Les 191 autres armes sont des armes blanches, des matraques, des pistolets d'alarme et des poings américains. La détention de certaines de ces armes est libre ou soumise à une simple déclaration, si bien qu'elle ne constitue pas forcément une infraction.
La chancellerie nous a indiqué que les perquisitions administratives ont conduit les tribunaux à prononcer 67 peines, dont 56 incarcérations. On a constaté, à l'occasion des perquisitions administratives, 31 infractions susceptibles de se rattacher au terrorisme, dont beaucoup constituent des apologies du terrorisme. Six procédures, résultant totalement ou partiellement d'une perquisition administrative, ont été initiées sur le fondement de chef d'association de malfaiteurs avec une entreprise terroriste et ont conduit à la saisine de la section antiterroriste du parquet de Paris. Cette dernière a ouvert 96 procédures exclusivement judiciaires, sur le même chef, depuis le 14 novembre 2015.
Le risque d'annulation par les tribunaux judiciaires des procédures ouvertes sur le fondement d'une perquisition administrative est bien réel, puisque la procédure pénale s'avère plus exigeante à l'encontre des actes d'enquête que le contrôle a posteriori effectué par la juridiction administrative. La direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la Justice a recensé à ce jour huit procédures dans lesquelles la régularité des perquisitions administratives a été contestée à l'audience. Dans cinq cas, l'insuffisante motivation des ordres de perquisition constituait le moyen avancé ; nous ignorons l'issue de l'une de ces affaires, mais le tribunal a fait droit à cette exception d'illégalité dans deux cas. Dans les trois autres procédures, l'exception d'illégalité tenait à l'insuffisante précision des ordres de motivation concernant les personnes et les lieux visés.
Dans une décision du 19 février dernier, le Conseil constitutionnel a jugé contraire à la Constitution une partie des dispositions du I de l'article 11 de la loi qui lui était soumise, privant ainsi de fondement juridique les copies de données informatiques et d'une partie de leur intérêt les perquisitions administratives. En outre, le total de cibles à perquisitionner ayant diminué, le nombre de ces opérations a baissé.
Entre le 14 novembre 2015 et le 29 avril 2016, 404 personnes ont fait l'objet d'une mesure d'assignation à résidence. Parmi ces mesures, 27 ont été prononcées dans le cadre des dispositions prises par le Gouvernement pour assurer la sécurité de la 21e conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP21). Parmi les 374 assignations visant des individus au titre de leur implication dans la mouvance islamiste radicale, 268 étaient encore en vigueur en février dernier, à la fin de la première période de prorogation de l'état d'urgence. Depuis le 26 février, 69 assignations ont été renouvelées, trois nouvelles ont été mises en oeuvre et 199 n'ont pas été renouvelées.
La loi du 3 avril 1955 permet de prendre des dispositions particulières pour préserver l'ordre public, leur régime juridique allégeant les contraintes et les exigences de proportionnalité requises normalement par la juridiction administrative. Nous avons examiné 135 arrêtés préfectoraux d'encadrement de la circulation des personnes pris entre le 14 novembre et le 14 janvier. Ces arrêtés concernent entre autres des interdictions de réunion prises rapidement après les attentats, comme des rencontres de football, deux spectacles à Paris, un forum philosophique au Mans, le salon Studyrama à Toulon, ou encore la fermeture par le préfet du Val-d'Oise du sous-sol d'un foyer d'immigrés à Pontoise pour une durée indéterminée, au motif qu'on y entendait des prêches radicaux.
Le second alinéa de l'article 8 étend le pouvoir des préfets d'interdire des manifestations sur la voie publique. Les préfets ont utilisé cette disposition à 19 reprises, même si neuf de ces rassemblements avaient été déclarés en préfecture. À notre connaissance, 82 arrêtés préfectoraux d'interdiction générale de manifestation ont concerné, dans la même période, des territoires coïncidant le plus souvent avec le département entier et des rassemblements liés principalement à la COP21.
Enfin, le régime de l'état d'urgence permet de réglementer plus strictement la circulation et l'accès à certains périmètres. Ainsi, le préfet des Pyrénées-Atlantiques a interdit la circulation dans des sites industriels sensibles, son homologue de Mayenne a procédé à des interdictions temporelles afin de favoriser la conduite de perquisitions et celui de l'Yonne a mis en place un couvre-feu pendant trois nuits dans un quartier de Sens. Des interdictions d'accès à certains périmètres ont été prononcées pour la COP21 ou pour la sécurisation d'un site « Seveso ».
Malgré la diminution du nombre de perquisitions, le contrôle parlementaire reste justifié car l'état d'urgence, centré jusqu'à maintenant sur le terrorisme, va se déplacer sur le terrain du maintien de l'ordre public, à l'occasion de l'Euro de football et du Tour de France. Cet élargissement important légitime le maintien d'un contrôle parlementaire, non pour en contester la nécessité, mais pour assurer à la représentation nationale un regard sur les mesures prises. Monsieur le ministre, nous vous demandons donc de nous communiquer toutes les décisions générales ou individuelles arrêtées par les préfets ; en effet, nous devons veiller à garantir le difficile équilibre entre le respect de l'ordre et celui des libertés dans cette période qui reste exceptionnelle.
Mes chers collègues, conformément aux règles et aux usages applicables aux commissions d'enquête, vous vous prononcerez la semaine prochaine sur la publication des comptes rendus des auditions auxquelles nous avons procédé dans les formes applicables aux commissions d'enquête, depuis l'instauration du contrôle parlementaire de l'état d'urgence. Nous souhaitons rendre publics ces documents avant le 3 juin prochain, l'ensemble des membres de notre Commission pouvant les consulter avant le vote qui, en cas d'issue positive, précédera de cinq jours la publication.
Je tiens à remercier M. Jean-Frédéric Poisson de participer à ce contrôle parlementaire, ainsi que les services de la commission des Lois, qui ont effectué un travail précis et minutieux d'examen de toutes les décisions.